CONFERENCE : L’EMPRISE – LA COMPRENDRE POUR S’EN LIBÉRER

CONFERENCE : L’EMPRISE – LA COMPRENDRE POUR S’EN LIBÉRER

Vendredi 25 novembre 2016 Anne-Laure Buffet était invitée par la mairie d’Issy les Moulineaux à donner une conférence sur : 

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Un commentaire reçu suite à cette conférence : « J’ai rarement entendu une conférence aussi pertinente. L’analyse est selon moi, fine, juste et suffisamment analogique pour faire sens. La mise en place de l’emprise, l’apparition des symptômes, les conséquences, sont clairement expliquées. Conférence bien menée par Mme Anne-Laure Buffet qui a su aborder cette problématique sous divers angles. »

DEUIL, ACCEPTATION, PARDON – NOTE DE SYNTHÈSE

Que veut dire « faire son deuil » ?

Le mot ‘deuil’, qui dérive du latin ‘dolus’, déverbal de ‘dolere’ (souffrir), désigne, au Xe siècle, la douleur ou l’affliction que l’on éprouve lors de la mort d’un proche.

Au XVe siècle il désigne aussi le décès, la perte d’un être cher. Il aura également plus tard divers sens plus ou moins figurés, tous liés à la mort ou à une grande tristesse.

C’est dans la première moitié du XIXe siècle qu’apparaît notre expression qui ne s’applique d’abord qu’à une chose -qui peut disparaître, mais ne meurt pas- avant, bien plus récemment, de s’utiliser aussi à propos d’une personne.
 Elle marque bien la difficulté qu’il y a à accepter la perte d’une chose à laquelle on tenait beaucoup ou d’un proche et, pour ce dernier, à se faire à l’idée de ne plus jamais le voir, la résignation n’étant qu’un sentiment forcé, non naturel, une acceptation par obligation.

Un des points essentiels est de se réapproprier ce qui s’est passé.

Le deuil renvoie à toute la palette des apprentissages de la perte. Il en résulte une grande diversité des réactions possibles. Il n’existe pas d’attitude « bonne », et la seule réaction « mauvaise » est de laisser les difficultés – une fois comprises – s’enfermer dans un cercle de souffrance inaccessible mais agissant.

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AUCUN DIPLÔME À LA CLÉ

977928_6_34bb_ludmilla-tcherinaPhoto de Ludmilla Tcherina

Alors que les mois de février et mars ont été consacrés aux enfants en souffrance, alors que avril et mai reviennent sur l’emprise, la violence psychologique, et l’éventuel pardon, il me semble essentiel une fois de plus de dire que l’objet de CVP est de se consacrer aux victimes de violences psychologiques, et aux potentielles victimes, aux proies, en informant, en dénonçant, en tenter de prévenir et en accompagnant lors de de la (re)construction de la personne en souffrance.

Pour ma part, il n’est pas question de délivrer un diagnostic sur l’auteur des violences. Diagnostic qui ne peut être que tronqué, l’auteur desdites violences ne se présentant jamais comme auteur. S’il vient à parler, c’est bien pour se victimiser, et faire accuser l’autre. Aussi, dire : « En effet, untel ou unetelle est sans conteste un(e) manipulateur pervers narcissique » est à la fois difficile et dangereux.

Difficile, ainsi que ce vient d’être dit, car porter un diagnostic sans avoir reçu la personne « à diagnostiquer » va à l’encontre de toute déontologie. Un avis, une opinion, est possible. Les faits, paroles, actes rapportés fournissent un faisceau d’indices à partir duquel il devient possible, de considérer qu’il y a en effet violence psychologique, comportements destructeurs, intentionnels ou non. De même, il faut prendre en considération la souffrance de la personne reçue et entendue. Il faut être capable d’appréhender un état de stress post traumatique, un état d’anxiété généralisée, une dissociation, des troubles qui se développent, comme la claustrophobie, l’agoraphobie, les intentions suicidaires.

Dangereux, car le diagnostic une fois porté, celui-ci peut plonger la victime dans divers états :
– convaincue d’être victime d’un « PN » (terme trop médiatisé qui empêche tout recul), elle peut focaliser sur ce terme, justement, et ne pas arriver à effectuer pour elle le travail nécessaire de deuil et de reconstruction. Elle devient victime « par définition » et consacre sans s’en rendre compte son énergie à lutter contre le (la) PN, ou à vouloir faire entendre que l’autre est un monstre. Ce qu’elle fait essentiellement, si son psychisme ne se détache pas de « l’autre », c’est continuer de lui consacrer et son temps, et son énergie, et sa vie.
– elle peut également se mettre à chercher comment prouver que l’autre est « PN ». Comment le prouver aux yeux de son entourage, mais aussi comment le prouver devant la société et en justice. Là encore, elle se consacre à « l’autre ». Pas à elle, la victime. Elle se plonge dans un combat presque perdu d’avance en justice. S’il est vrai que devant un juge on peut aujourd’hui arguer de la violence psychologique subie, des conséquences et du traumatisme, et qu’il est même possible de prouver cette violence, il est bien plus risqué et hasardeux de vouloir montrer que « l’autre » est PN, psychopathe, fou et dangereux, et souvent tout à la fois. La justice jugera sur des faits. Sur des éléments concrets.
C’est le travail des avocats, c’est aussi celui de la victime, c’est enfin celui de celles et ceux qui accompagnent la victime, que de lui permettre d’ordonner des faits chronologiquement, de mettre en avant l’intention de nuire, de montrer la répétition de comportements destructeurs.
Et contrairement à ce que pensent de trop nombreuses victimes, c’est possible.
En outre, cette réflexion permet de se recentrer sur « soi », de s’attacher à ce qui est concret, et de se détacher de « l’autre », le bourreau.
– il ne faut pas oublier non plus que si certaines personnes peuvent dire : « je suis victime d’un PN », et le démontrer, d’autres n’en sont pas encore là dans leur parcours, n’arrivent pas encore à prendre pleinement conscience de leur vécu, à le « ressentir », ou à l’exprimer. Parfois, la mémoire occulte des faits, des moments, des périodes. C’est au thérapeute de permettre à la victime de retrouver un accès à ses émotions et à son vécu. Mais tant qu’elle ne le peut pas, la victime va considérer que « finalement ce que j’ai vécu c’est pas si grave que ça, je dois pas être vraiment victime… »

Se rattache à cela un autre élément à prendre en considération : le terme « pervers narcissique » est devenu tellement médiatisé, sur employé, commercialisé et demeure si contextuel, que se développe aujourd’hui une méfiance presque légitime face à l’utilisation de ce « présupposé ». La décision de justice ne sera pas plus lourde pour le bourreau, que le juge développe une intime condition de la perversion narcissique (ou non) de celui qui en est accusé. Et le suremploi du terme aurait même tendance à rendre les magistrats d’autant plus prudents et défiants. « Tiens, « encore » un cas de PN… ». Car aujourd’hui, ils sont pléthore…

En revanche un dossier détaché de l’affect lié, qu’on le veuille ou non, au terme de « PN », un dossier reposant sur des comportements destructeurs et sur la mise en place d’une relation fondée sur la violence psychologique, donc, de fait, une relation où il y a abus, maltraitance, dénigrement de l’individu… est entendu devant la Cour.

Mener un combat pour se faire entendre, mener un combat pour être reconnu(e) victime – ce qui est un état et non un statut, mener également un combat personnel pour sortir de cet état de victime pour faire reconnaître sa souffrance et ses conséquences, mener en somme un combat pour être validé(e) comme individu à part entière et non objet d’un autre, et réhabilité(e) dans son droit à être, est essentiel.
Mener un combat pour entendre que effectivement, l’autre est PN, est secondaire. Encore une fois, c’est continuer à lui consacrer du temps. Or, la seule personne qui compte, c’est celle en souffrance. C’est lui permettre de dire : « Je suis victime, j’ai été victime de violences ». C’est l’amener sur la voie d’une vie libérée de ces contraintes, de ces incompréhensions, de ces violences. Une vie faite de vie, et non d’inexistence.

©Anne-Laure Buffet

LE MANQUE EST LÉGITIME

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– Je ne sais pas. Peut-être que je me suis trompée…
– Je pleure tout le temps. Je me sens mal. Il me manque. Peut-être que j’exagère.
– Je ne veux plus parler d’elle. Si je dis que je la regrette, on me répond que je suis dingue ; que je n’ai qu’à y retourner, et que je ne vienne pas me plaindre…
– Personne ne me comprend. Je sais qui il est. Mais j’angoisse sans lui…

Angoisse. Anxiété. Peur. Culpabilité. Doute…
Il y a eu séparation. De votre fait. Un jour pas fait comme un autre, vous êtes parti(e). Vous avez pris vos cliques et vos claques, ou encore la poudre d’escampette… Appelons ça comme vous voulez. Vous êtes parti(e) parce que la situation n’était plus tolérable. Parce que vous vous sentiez en danger. Psychologique. Physique. Un danger parfois mortel. Les intentions suicidaires, les TS (tentatives de suicide), les maladies d’origine somatique, parfois invalidantes, sont la conséquence de ces mois, de ces années passés au contact d’une personne toxique.

– Mais je l’aimais… Et parfois tout allait bien…

Oui, parfois tout allait bien. Parfois. Le toxique séduit. Mais sous contrôle, et le fait au début sans contrainte. Sans violence; Il (elle) charme, promet, enjolive, flatte. Il (elle) endort la vigilance, imite vos qualités, s’appuie sur ce que vous détestez, le conflit, et fait en sorte de ne pas en provoquer. Il est si tendre, elle est si attentive... Bien sûr parfois il (elle) s’emballe, s’énerve… Mais tout le monde est ainsi, n’est-ce pas ?

Oui, tout le monde. Mais chez le toxique, le parfois devient souvent. La norme est dans le contrôle, et le sentiment de malaise qui en découle. Je ne sais pas comment expliquer, il n’y a rien de tangible, c’est un sentiment, c’était son regard, je savais que je ne devais pas aller plus loin, je préférais me taire…
Le toxique anesthésie, d’abord en douceur, puis de manière encore plus insidieuse, en laissant planer le doute du possible conflit si vous n’étiez pas d’accord avec lui. Et si vous n’êtes pas d’accord avec cette personne si parfaite, c’est que vous avez tort, il faut vous remettre à votre place. Vous gronder. Vous punir.

Un jour, le conflit est inévitable. Un jour qui peut être suivi de tant d’autres. Les critiques pleuvent. Le dénigrement suit, les moqueries, les accusations. La diffamation. Le geste brutal, le ton acerbe, le regard glaçant. La main qui se lève et retombe sur vous. Plusieurs fois.

Vous partez.

Et pourtant, quelques temps après, il (elle) vous manque. Vous ne pardonnez pas, mais vous cherchez à l’excuser. À justifier ses gestes. Ses paroles. En bon samaritain, vous voulez encore croire que le changement est possible. Il (elle) vous a appris à croire que vous avez tort. Et ce message contraignant vous poursuit, malgré la séparation, et la distance. Vous avez tort… alors vous regrettez. Vous occultez le pire, cherchant à sauver le meilleur. Vous hésitez… À vouloir recommencer, essayer, encore…

Vous entamez la période de deuil. La nécessité de l’acceptation d’une fin. D’une fin sans retour possible. L’obligation de mettre un terme à tout espoir – vous, l’optimiste le (la) bienveillant(e), vous devez vous interdire de l’être. C’est le deuil d’une histoire sentimentale dans laquelle vous avez été instrumentalisé(e), une histoire d’amour dans laquelle vous vous êtes investi(e), épuisé(e), sans partage.
Le deuil est angoissant, il plonge dans l’abîme, dans la réflexion, dans l’obligation d’être seul(e) avec soi. Il fait naître ou développe les doutes et la culpabilité. Il accroit la honte… Comment raconter tout cela, qui peut l’entendre, qui peut le comprendre ?

Le deuil est nécessaire. Il permet de mettre un terme complet au sentiment qui retient et excuse le toxique. Pas à ses actes, qui peuvent continuer. Mais au sentiment d’amour, d’affection, de dépendance.

Il faut accepter le deuil. Il faut admettre de passer par cette étape douloureuse. Le deuil permet d’avancer, de se reconstruire. Il n’excuse pas le toxique. Il est la conclusion de cette relation.

©Anne-Laure Buffet