HARCELEMENT AU TRAVAIL – LE POIDS DES INSTITUTIONS

Le témoignage ci-dessous retrace une forme précise de harcèlement, le harcèlement au travail : isolement vis à vis des collègues, dénigrements, critiques, mises à l’écart… En dix mois, l’envie, l’énergie, la motivation et la confiance en soi s’écroulent.
Ce qui rend ce témoignage d’autant plus pénible, outre la souffrance de celui qui a vécu cette situation, c’est que le cadre professionnel est une institution accueillant des jeunes placés par l’ASE.
Des jeunes déjà en souffrance et en difficultés.
Des jeunes qui ne peuvent trouver ni encadrement ni sérénité dans ce cadre qui leur est souvent imposé, et dans lequel ils ne reçoivent pas d’écoute saine et raisonnable.
Il y a donc la victime des faits, privée de toute envie de travailler, de toute énergie, et de ressources.
Ici, il y a aussi ces jeunes…Tous, victimes d’institutions qui se bouchent les oreilles et ferment les yeux.

 J’ai été stagiaire éducatrice spécialisée durant une année scolaire dans une institution accueillant des jeunes placés par l’Aide Sociale à l’Enfance. Je tenais un journal de bord, qui m’a permis de retracer les choses de façon très précise lorsque j’ai porté plainte pour harcèlement moral. 

J’ai fait mes premiers pas dans l’institution le 19 octobre 20xx, au sein d’un groupe de garçons, âgés de 10 à 15 ans et encadrés, normalement, par 6 éducateurs. J’ai été quelque peu refroidie par l’accueil que j’ai reçu. Aucun enfant ne semblait au courant de ma venue, quant aux éducateurs, peu le savaient. Je n’apparaissais pas sur le planning. Mes horaires m’ont été données à l’oral, et le chef de service m’a dit, toujours de manière orale, qu’il fallait que je suive les horaires de ma tutrice de stage.

 

Lors de mon troisième jour de stage, le 21 octobre 20xx, j’ai assisté à une scène particulièrement violente. Le chef de service a, pour des raisons qui lui appartiennent, attrapé un enfant, l’a jeté dans le couloir, lui a donné un coup de pied pour qu’il se relève, puis il a poussé l’enfant qui s’est retrouvé plaqué au mur.

Les adolescents se sont révoltés face à un tel déchainement. Les éducateurs sont restés muets, sauf une que j’ai entendu murmuré « j’avais déjà entendu parlé de cela mais je ne l’avais jamais vu de mes propres yeux ». J’apprendrais, quelques jours plus tard, que le chef de service avait déclaré qu’il n’avait rien fait, et que l’enfant en avait rajouté.

 

Début novembre, une éducatrice s ‘intéresse à moi, et à mon travail. Elle me demande mes premiers ressentis, me parle des jeunes … cela me fait du bien, car je commençais à me sentir très seule. Je n’apparaissais jamais sur le cahier de transmission alors que j’étais là quasiment tous les jours. Mon planning n’était toujours pas défini, je dois suivre les horaires de ma tutrice. Certains soirs, les éducateurs ne m’adressent pas la parole, et c’est constamment moi qui doit les solliciter. La relation ne se construit que d’un seul côté. Avec les enfants, en revanche, la relation commence à se bâtir tout doucement.

 

Le 19 novembre, le directeur adjoint, décide de faire une rencontre entre ma tutrice, lui et moi, pour parler de mes premières impressions. Ca a été un moment très difficile pour moi. J’ai essayé de mettre en avant le fait que je n’avais pas l’impression de compter dans l’institution. On me répond alors que je suis individualiste, et que je me mets à l’écart toute seule et que je suis donc entièrement responsable de ce qui arrive. J’ai aussi tenté de parler de cet accueil un peu froid qui m’avait été réservé. Je n’ai pas eu le temps d’expliquer pourquoi je ressentais cela, le DA m’ayant coupé la parole en me disant que mon arrivée avait été très préparée.

 

Une nouvelle éducatrice arrive sur le groupe le 23 novembre, en prévision de la démission d’une autre. Elle restera une semaine, et me confiera qu’elle ne se sent pas de travailler dans une équipe où personne ne lui parle à part une stagiaire qui n’est sur le groupe que depuis à peine un mois.

 

J’ai tenté de prendre une initiative et je me suis proposée pour participer à une sortie pour aller voir une comédie musicale avec certains jeunes le 24 novembre. Mon chef de service m’a répondu « oui pourquoi pas ». Cette fois ci cependant, il a fait mon planning, et je me suis retrouvée à travailler le matin le jour de ce concert. Je n’ai pas eu de « non » officiel, mais bien officieux.

 

J’assiste à une réunion institutionnelle le 1er décembre 20xx. J’apprends que l’institution est fragile, parce qu’il y a eu une grande vague de démission. La question du pourquoi n’est pas abordée, et le reste de la réunion n’est que du blabla autour de « il faut prendre le temps de se connaître, c’est pas facile ».

 

La fête de Noël se déroule le 15 décembre 20xx. Je me retrouve à une table où je ne connais quasiment personne, exceptée ma tutrice de stage avec qui les relations sont tendues. J’ai eu l’impression, encore une fois d’être inexistante pour la plupart des adultes de la maison. En revanche, les jeunes me sollicitent beaucoup. Je n’ai toujours pas de planning, et je dois voir le chef de service chaque jour, pour qu’il me donne mes horaires un jour pour le lendemain. Cela commence à être réellement très handicapant, mais je ne dis rien, et je fais profil bas.

 

Le jeudi 17 décembre, je passe pour la première fois une soirée seule avec un éducateur. Il semble y avoir un manque d’effectif, alors je comble les trous. Je constate aussi que je ne travaille que le soir sur le groupe, et que de ce fait, je n’ai absolument plus de vie à côté. J’ai du attendre le 17 décembre pour connaître mes horaires sur les deux semaines qui arrivaient (vacances scolaires).

 

Le 30 décembre, j’ai eu un retard assez important (dû à la suppression d’un train), et je n’avais pas de forfait pour contacter la maison. mon chef de service semble s’être souvenu de mon existence alors que cela devait faire une demi heure que je devais être arrivée. Il m’appelle et je lui explique la situation. Je me fais alors « gronder », comme une adolescente, je me sens très mal, d’autant plus que je suis quelqu’un de très ponctuel. Le soir, je quitte le travail à l’heure pour deux raisons : non seulement quelqu’un venait me chercher, mais en plus j’ai eu un problème de santé important et inquiétant qui m’handicapait dans mon travail. Le chef de service était parti faire des courses avec deux jeunes. Il est revenu après mon départ. Je n’avais pas mon planning pour la semaine d’après, et lorsque je lui ai dit, il m’a répondu « tu es partie avant que je rentre, tu aurais attendu, je t’aurais fait tes horaires, t’avais qu’à rester ».

 

Le mercredi 6 janvier, il y a eu un quiproquo avec un jeune, qui est rentré seul de l’école, alors qu’une éducatrice devait le récupérer. L’après midi, ce jeune me demande de le « détresser » (il avait des tresses que lui avait faites sa mère ). Je le fais, puis en sortant de sa chambre, je me fais reprendre par un éducateur « il est puni, tu n’as pas à passer du temps avec lui ». J’ignorais qu’il était puni. Je me suis encore une fois sentie à l’écart.

 

Je ne peux avoir accès aux dossiers des enfants, il m’est parfois difficile de comprendre certains de leurs actes ou de leurs comportements. J’ai pu lire deux dossiers, mais je me suis fait « vertement » reprendre par le directeur adjoint, qui m’a expliqué que ces documents étaient confidentiels. Pourtant, lors du premier contact avec ma tutrice, celle ci m’a dit que les dossiers étaient consultables …

 

Pour avoir des échanges avec ma tutrice, elle me fait mon planning et m’explique qu’elle n’a eu d’autres choix que de me faire terminer à 23h plusieurs jours d’affilée, pour que l’on puisse parler toutes les deux. 

Le jeudi 7 janvier, je travaille seule avec une éducatrice. Un jeune me demande « tu finis à quelle heure ce soir ? » je lui ai répondu  « 22h », il m’a alors demandé « ben pourquoi G****** a dit qu’elle travaillais seule ??? ». Encore, une fois, je n’existe pas, je suis sans cesse rabaissée.

Le mardi 12 janvier, j’alerte mon école vis à vis des problèmes rencontrés, en envoyant un mail à mon référent pédagogique. Celui ci prendra rapidement rendez vous avec moi pour que je puisse lui parler de la situation difficile que je rencontrais.

Le 18 janvier, j’ai passé une soirée sans qu’aucun éducateur ne m’adresse la parole. Était prévue une réunion avec les cadres et les jeunes pour parler de la violence. Les éducateurs le savaient, moi non, et je me suis sentie à la même place que les enfants : je suis arrivée dans cette réunion sans savoir ce qui se passait.

 

Le Mardi 19 janvier, je travaille seule avec une éducatrice. Le taux d’encadrement est normalement de deux éducateurs pour le groupe. Je suis sensée être en plus

 

Le mardi 26 janvier, un enfant est exclu définitivement de la structure. Une fois encore, la décision est d’abord annoncée aux éducateurs, puis aux enfants et moi. Je me sens de plus en plus rabaissée.

 

Le jeudi 28 janvier, on m’annonce, dans le couloir, que je dois prendre en charge l’accompagnement scolaire de trois jeunes en même temps dans trois salles différentes. C’est une idée du directeur adjoint. Encore une fois, personne n’est venu en discuter avec moi, et je suis mise devant le fait accompli. J’essaye de me sentir valorisée par cette décision, mais cela reste assez compliqué, car la tâche confiée est ardue, et je n’ai absolument aucun accompagnement d’éducateur pour me guider. A cette époque là, je commence à être non seulement très fatiguée par ce stage (je travaille tout le temps du soir, je n’ai plus de temps pour moi), mais je commence à douter de mes capacités, étant donné que j’ai l’impression d’avoir le même statut qu’un adolescent placé.

 

Le lundi 8 février, une nouvelle éducatrice arrive. J’étais partie pendant une semaine (j’avais un retour à mon école pour une semaine de cours). Pour la première fois, mon chef de service se montre agréable avec moi. Je n’arrive plus à comprendre son comportement : il est la plupart du temps cassant, et me fait culpabiliser dés qu’il le peut, mais pourtant, il semblait content de me revoir.

 

Le mardi 9 février, j’accompagnais comme prévu les trois jeunes pour leurs devoirs. Le travail que je fais avec les jeunes ne semble pas à la hauteur, et le directeur adjoint ne se gène pas pour me reprendre assez violemment devant les enfants : celui ci estimait qu’ils n’avaient pas assez travaillé, alors qu’ils avaient tous relus leurs leçons pendant une demi heure. J’essaye de défendre les jeunes et mon travail, mais je me fais rabaisser, toujours devant les jeunes. Ce même jour, il avait beaucoup neigé, et je n’ai pu me rendre le matin aux réunions, qui ont lieu de 10h à 13h (je me déplaçais en scooter, le sortir sous 10 cm de neige était tout simplement trop dangereux, et les transports desservent très mal la structure, encore plus par temps de neige). J’ai tenté de contacter une demi douzaine de fois le chef de service, qui n’a jamais répondu, j’ai fini par appeler ma tutrice, qui m’a dit de ne pas venir, et qu’elle expliquerai la raison de mon absence.

 

Mercredi 10 février : arrivée d’un nouvel éducateur.

 

Le samedi 13 février, je travaille seule avec ma tutrice. Celle ci dit devant les jeunes et devant moi « je travaille seule aujourd’hui ». Les jeunes lui répondent « mais Camille elle est là aussi ! ». Ma tutrice a répondu « oui mais Camille … ».

 

Le mardi 16 février, j’arrive comme prévu à 14h pour une réunion générale. J’apprends qu’elle a été annulée, mais que personne ne m’a prévenue. En revanche, un jeune est là, et il fallait quelqu’un pour le surveiller. Ce quelqu’un était moi. Le jeune rentre rapidement en conflit avec moi. Je n’arrive plus à communiquer avec lui, il me menace. Je me suis sentie seule, j’avais besoin que quelqu’un prenne le relais à ce moment là, mais il n’y avait personne. En désespoir de cause, je vais voir le directeur adjoint, qui était avec le chef de service, et sous le coup de la tension, je me mets à pleurer. Ils ne semblent pas spécialement touchés par mes pleurs, et me demandent pourquoi je suis dans cet état là. Cela n’avait rien à voir avec le conflit avec le jeune, mais plutôt avec le fait que j’ai pris violemment conscience que j’étais totalement seule sur le groupe, et que tout le monde s’en fichait. Le directeur adjoint m’a dit que c’était fort possible, et qu’il faudrait peut être qu’on en parle. A la suite de cela, je prends le chef de service à part, pour lui demander quelque chose par rapport à mes horaires. En effet, pour une fois, j’apparaissais sur le planning des vacances scolaires, seulement, je devais travailler : samedi 27 février (18h-22h), lundi 1er mars (16h-23h), mardi 2 (12h-19h), mercredi 3 (14h-21h), jeudi 4 (12h-19h), le vendredi 5 j’étais en cours (mes retours école étaient systématiquement les vendredi, et sont comptés comme 7h de travail dans la semaine) et je travaillais aussi le samedi 6 (14h-21h). Je lui ai expliqué que 50h de travail en une semaine ce n’étais pas légal (je ne devais passer que 28h en stage dans une semaine). J’avais aussi émis la demande, via ma tutrice, d’être de temps à autres allégée le jeudi, de ne pas finir systématiquement à 22h ou 23 h. Je devais aller en cours le lendemain matin, et mon école est à plus d’une heure et demi de chez moi, et j’étais bien souvent totalement épuisée lors de mes retours école. Le chef de service m’a alors expliqué que les horaires, ce n’était pas à la carte; que c’était un stage et pas de la rigolade; De même, je me suis faite reprendre par rapport à l’incident du 9 février, lorsque je n’étais pas venue le matin à cause de la neige. Je lui ai rééxpliqué que venir en scooter était dangereux sous cette neige, que j’ai tenté à de nombreuses reprises de le prévenir, et que finalement j’avais eu l’accord de ma tutrice de stage … il m’a répondu qu’il aurait fallu que je prévois à l’avance qu’il allait neiger.

 

Le lendemain, mercredi 17 février, nous fêtons le carnaval. Les éducateurs présents sur le groupe ne m’adressent qu’une seule fois la parole ; alors que j’étais en train de me changer, ma tutrice m’a demandé de me dépêcher, parce qu’ils voulaient utiliser mon appareil photo (j’étais visiblement la seule adulte sur le groupe qui avait pensé à ramener mon appareil photo). Le reste de la soirée, je n’ai eu aucun échange. Les éducateurs ont oublié de mettre que j’étais présente pendant cette journée et cette soirée dans le cahier de transmission.

J’ai une semaine de vacances, du 20 au 26 février, les enfants partants tous en séjours (séjour pour lesquels je me suis proposée, car je trouvais intéressant d’y participer … je n’ai finalement pas été comptée dans les effectifs, j’ai « été oubliée »).

Le 27 février, je me rends chez mon médecin, et j’éclate en sanglot. Je lui explique que je me sens de plus en plus mal dans mon travail, que j’ai l’impression d’être inutile, incompétente, et de ne servir à rien. Mon médecin me suit depuis ma naissance et me connait donc très bien. A la fin du rendez vous, qui a duré 45 minutes, il a préféré m’arrêter une semaine, car je n’étais pas en état de retourner sur mon lieu de stage. Il m’a cependant prévenu qu’il faisait cela exceptionnellement, et qu’il faudrait à un moment ou à un autre que je prenne une décision : soit continuer et faire face, soit arrêter ce stage. Mon médecin m’a aussi prescrit des décontractants.

J’ai appelé le chef de service pour lui annoncer que j’étais en arrêt maladie. Il s’est mis à me rire au nez. Je l’ai prévenu du jour de mon retour, il m’a dit « OK », et il a raccroché.

 

J’avais un dossier à rédiger pour mon école, et le lieu de stage a exigé de le lire avant que je le présente. J’ai fini par leur donner, et c’est ma tutrice qui m’a corrigé. Nous nous sommes rencontrées le 16 mars 2010 pour en parler. Elle n’a fait que des critiques, et m’a dit que dans mon dossier, je n’avais fait que m’approprier l’avis des éducateurs, et que mon travail n’était pas bon. Que j’aurais du prendre plus de temps pour le faire. Le fait est que je n’avais pas ce temps, j’étais tout le temps au travail. J’ai rendu le dossier tel quel à mon école. Mon intervenant m’a mis la note de 14/20.

 

Le 17 mars, j’ai eu, comme prévu, une visite de stage. Mon référent pédagogique, qui était au courant de mes difficultés a rencontré le directeur adjoint et ma tutrice. J’étais présente, et durant ce temps, j’ai réussi à aborder certaines choses, notamment le fait que je me sentais très isolée, et que l’on me faisait comprendre que je ne servais à rien. Certains faits ont été repris, et cette visite, bien qu’éprouvante pour moi, finissait par une sorte de note d’espoir. Il a été convenu que je pourrais avoir accès à certains documents qui m’étaient essentiels dans ma pratiques, certaines décisions me concernant, prises sans mon consentement m’ont été mieux expliquées, et ma tutrice a semblé prendre conscience qu’elle était elle aussi responsable de cet isolement que je ressentais. Il m’a cependant été reproché le fait de ne pas en avoir parlé avant. Je ne me sentais pas en confiance, d’où mon silence.

 

A noter qu’au cours du mois de mars, trois éducateurs ont démissionné, et l’éducatrice en alternance a elle aussi démissionné. Deux nouvelles éducatrices sont arrivées sur le groupe. Je me suis retrouvée l’une des adultes les plus anciennes du groupe, et de ce fait, les nouveaux éducateurs, du fait de ma présence constante durant les soirées, se tournaient très souvent vers moi et prenaient appui sur mes connaissances. J’étais un véritable soutien. Au delà de cela, j’ai pu, avec cette nouvelle équipe nouer de vrais liens, et avoir de véritables échanges.

 

J’avais proposé un projet d’écriture pour trois enfants du groupe. J’ai rédigé et donné mon projet à lire au mois de janvier à mon directeur adjoint et ma tutrice. Mon projet a été validé fin avril. Cela m’est reproché, et il est dit dans mon évaluation de stage que j’ai traîné à mettre en place ce projet.

 

Le mercredi 14 avril, des enfants du groupe des petits du pavillon (âgés de 4 à 9 ans) ont frappé une éducatrice, alors qu’elle contenait une enfant à terre (enfant qui avait juste avant poussé la chaise où était assise l’éducatrice, ce qui l’a fait basculer en arrière et tomber).

Suite à cela, les cadres administratifs ont proposé deux solutions : soit « virer » tous les enfants du pavillon et les mettre dans d’autres institutions, soit les reloger sur les groupes des adolescents. Bien entendu, les éducateurs, devant ce « faux choix », ont préféré garder les enfants et tenter de les accueillir sur les groupes des adolescent. Le pavillon a donc été fermé, les enfants répartis sur les deux groupes de grands. Nous travaillons donc, pour le groupe des garçons, avec un effectif de 15 enfants, alors que nous avons une capacité de 12. 

 

A la fin des vacances de Pâques, nous retrouvons les enfants tendus, angoissés, gênés de cette cohabitation forcée. Nous n’avons pas eu le temps de trouver une organisation satisfaisante et nous « tâtonnons ». Nos réunions n’ont pas conduit à quelque chose de constructif. On nous raconte qu’un fantôme hanterait les murs du groupe des petites, métaphore qui est à mon sens de mauvais goût, et qui n’explique pas grand chose. Ou encore que le groupe des petits est malade et qu’il faut le soigner.

 

Lundi 3 mai, les deux cadres décident de faire le ménage dans le vestiaire (là où les jeunes entreposent toutes leurs chaussures). Le directeur adjoint me lance une paire de chausson à la figure et m’aboie dessus, en me disant de retrouver immédiatement le propriétaire de ces chaussons.

 

Mardi 4 mai, un adolescent a poussé une éducatrice dans les escaliers.

Mercredi 5 mai, un autre adolescent a insulté et frappé notre aide familiale.

Mercredi 5 mai, un troisième adolescent, après m’avoir insultée, manqué de respect et menacée, a tenté de se jeter par la fenêtre « pour se tuer ». 

Jeudi 6 mai, je n’ai pas eu de détails, mais un quatrième adolescent a passé la soirée à insulter une éducatrice.

Mardi 11 mai, un enfant a fugué de l’établissement.

 

Suite à tous ces évènements, à mon sens graves, j’ai parlé durant une réunion, du fait que je trouvais que les enfants étaient en grande détresse. Les éducateurs m’ont largement approuvé, cependant, bien après la réunion, le direceur adjoint m’a attrapée dans son bureau, et, devant une jeune, m’a demandé « ou j’avais vu des enfants en détresse ». Il m’a ensuite dit que je n’avais pas le droit de dire ce genre de chose, surtout en réunion.

J’ai eu, en rentrant de cette journée, un accident de scooter, sans gravité heureusement …

 

Le 19 mai, nous étions 4 (trois éducateurs et moi), un éducateur qui est là depuis 2 semaines et demi, une éducatrice présente depuis un petit mois, et une éducatrice qui est la seule à venir du groupe des petits, qui a encore du mal à les gérer, et qui travaille dans la structure depuis janvier (à sa décharge, c’est un groupe très difficile à cadrer, qui se sent en grande insécurité, et face auquel il est très compliqué de s’imposer). J’étais donc la plus ancienne de l’équipe. 

 

En fin d’après midi, le directeur adjoint a ramassé une brique de jus de fruit vide par terre. Il me l’a tendue, en me demandant de retrouver son propriétaire. 

 

La soirée est montée en tension, j’ai essayé d’aider à la prise en charge des petits, malgré mon mal de dos (j’ai de gros soucis de santé). Voyant que j’avais beaucoup de mal à me faire entendre, j’ai fini par passer le relais à un éducateur (un homme, je m’étais dit que ça pouvait peut être être plus contenant que moi). Cela a été très compliqué pour mon collègue qui ne sait pas plus comment s’y prendre. Nous étions trois adultes à agir sur les petits, j’ai fini par leur hurler dessus (cela ne me ressemble pas …), puis peu après je suis partie, je me suis enfermée et j’ai beaucoup pleuré. J’ai finalement rejoint les ados, qui ont vu mes yeux rougis, qui s’en sont inquiétés, et cela m’a refait craquer. Quasiment tous les adolescents sont venus me voir, pour me consoler, me soutenir, m’écouter. Je leur ai expliqué que j’envisageais de partir plus tôt de ce stage, car j’étais usée, ce qui les a mis dans une grande colère. Ils m’ont montré beaucoup d’attachement envers moi, et ont aussi été capables de dire que la situation dans laquelle les deux groupes se trouvent est trop complexe, et devient difficilement supportable. Une adolescente m’a même avoué qu’elle restait un maximum à l’école pour éviter de rentrer et de supporter les tensions et la violence constante.

 

J’ai dit beaucoup de choses aux jeunes ce soir, et j’ai notamment parlé des difficultés que l’on rencontrait aussi avec les cadres. Ils m’ont dit que le chef de service et le sous directeur ont déjà levé la main sur eux … Je ne sais pas si je dois croire les enfants …

 

Je finissais à l’origine à 21h, je suis partie à 22h30, puisque je suis restée 1h30 avec les petits, à tenter de les calmer avec mes collègues. Les petits sont très tendus et angoissés, et ils sont 5 à partager une chambre ; si l’un n’arrive pas à dormir, il va faire monter en tension le reste du groupe.

 

Je me suis vertement faite reprendre par mon chef de service le lendemain, car j’avais pris le temps, pendant mes heures de travail, de répondre à un coup de fil important. Il estime qu’il faut suivre tous les jeunes à la trace, et que je ne fais pas bien cela. De plus, une éducatrice m’a demandé de récupérer des photos sur l’ordinateur du groupe, en prévision du départ d’un jeune. Lorsque le chef de service m’a vue seule dans le bureau, il m’a directement demandé de sortir, je n’avais rien à faire là, il fallait que je sois près des enfants. Il y avait 5 jeunes ce jour là, pour trois éducateurs. Il m’a ensuite dit que j’avais sûrement peur des jeunes, mais que ce n’était pas la solution que de prendre refuge dans le bureau. J’ai compris à ce moment là qu’il ne me connaissait absolument pas, que je ne l’intéressais pas. 

J’étais très perdue à ce moment là, car j’étais à la fois en position de responsable, et à la fois réprimandée si je prenais des responsabilités.

Sur la fin de mon stage, je ne passais que des soirées où les jeunes criaient et les éducateurs hurlaient. J’ai continué à faire ce que j’appelle « le bouche trou », (il m’est arrivé de me retrouver seule sur le groupe, alors que c’est illégal, ou alors à travailler en binôme avec un seul éducateur, sans compter les jours fériés durant lesquels j’ai du venir sur le lieu de stage).

 

J’ai tout de même pu mettre en place et lancer mon projet, j’ai fait trois séances, qui se sont très bien passées. Les enfants étaient investis, enthousiastes et très respectueux. Cependant, je n’ai eu aucun encouragement de la part des cadres. le chef de service m’a dit que mon projet « semblait intéressant ». LE directeur adjoin tlui, m’a demandé de planifier toutes les séances, parce qu’il pensait que je n’arriverai jamais à tenir un groupe de trois enfants. Je n’ai pu faire que 3 séances, étant donné que la plupart du temps, les jeunes à qui j’avais proposé le projet étaient privés de veillée, punis … Ma tutrice de stage a pris conscience de cela, et m’a dit qu’elle s’était rendue compte que depuis le début, personne ne m’avait réellement laissé de la place.

 

J’ai décidé de démissionner le mardi 14 juin, après que mon directeur adjoint, le directeur adjoint, m’ait qualifiée de Sarkozyste, en pleine réunion, devant tout le monde. Il a trouvé cela très drôle. Il fut le seul à rire avec le chef de service.

Ma démission a été effective à partir du 17 juin 2010.

J’ai fait de nombreux cauchemars liés à la structure (j’ai rêvé par exemple que des enfants se faisaient assassiner devant moi et que j’étais totalement impuissante, c’est un cauchemar qui est devenu récurrent). Je me suis fait arrêtée pour troubles d’anxiété généralisés. J’ai failli arrêter tout simplement ma formation. D’autant plus que le directeur adjoint m’a dit à plusieurs reprises que j’étais individualiste, et que à la vue de cela, il fallait que je revoie mes choix professionnels. Ma famille et mes amis proches m’ont vue dans un état de grande fatigue et à la limite de la dépression. Aujourd’hui encore, parler de cette expérience est difficile, car relire mon journal de bord, et revoir ce que j’ai subi reste une expérience assez violente pour moi.

Lors de ma démission, le directeur adjoint, plutôt que d’essayer d’en comprendre le sens, m’a dit que je n’étais pas professionnelle (je devais normalement le lendemain accompagner des enfants à la plage avec un éducateur … Le chef de service était en colère car en fait, je le mettais en difficulté, étant donné que si je ne venais pas, il manquait un éducateur pour cette sortie). Il m’a ensuite dit « je dirais aux enfants que tu es partie » et m’a raccroché au nez.

Ma plainte pour harcèlement n’a pas eu d’échos positifs, et je sais qu’à l’heure actuelle, le chef de service sévit toujours … 

 

LA PREUVE DU HARCÈLEMENT MORAL AU TRAVAIL

Le harcèlement moral est-il compatible avec l’exercice du pouvoir hiérarchique ?
Si l’on devait interroger les salariés, il est probable qu’une large majorité d’entre eux affirmeraient qu’ils ont, à un moment ou à un autre de l’exécution de leur contrat de travail, été victimes de harcèlement. Il est vrai que les occasions ne manquent pas : entretiens houleux avec le supérieur hiérarchique, fixation d’objectifs élevés, pressions exercées par la Direction, envois intempestifs de mails, dénigrements, etc. La situation économique actuelle semble d’ailleurs exacerber cet état de fait.

 

VOIR TOUT L’ARTICLE DE LES ECHOS BUSINESS

MOBBING AU LUXEMBOURG

Selon l’asbl présidée par Marcel Goerend, 11.400 salariés auraient été en situation de harcèlement moral en 2012.

La détresse ressentie par les salariés concernés entraîne fréquemment des incapacités de travail: l’an dernier, plus de la moitié (54%) des personnes se disant victimes de mobbing et ayant sollicité l’aide de l’asbl étaient en arrêt de travail lors de leur première consultation. En moyenne, leur absence dure près d’un mois (3,75 semaines).

VOIR L’ARTICLE DE PAPERJAM

GROUPE DE PAROLE CONTRE LE HARCÈLEMENT AU TRAVAIL EN AVIGNON

À l’hôpital de Montfavet, à Avignon, un groupe de parole, animé par le psychiatre Jean Rodriguez et la psychologue Mélanie Ragot, aide les victimes à sortir de l’isolement. Une rencontre, deux lundis par mois, où la parole des salariés, issus de tous les domaines d’activités, se libère.

« Quand la parfumerie où je travaille depuis vingt-deux ans a été rachetée, on s’est mis à avoir des objectifs à tenir heure par heure. Il fallait faire 5 % de plus que l’année précédente à la même heure, parfois 20 %. Si on ne fait pas le chiffre, on nous dit “attention, il y a un poste de trop”. Il faut se justifier toute la journée, pourquoi on a vendu tel produit et pas tel autre, pourquoi on n’a pas vendu plus. J’allais au travail en pleurant, raconte l’esthéticienne en arrêt maladie, pour dépression, depuis novembre. Dans la boutique, deux autres filles sont aussi malades. » Malades de leur travail… Une histoire parmi tant d’autres. Deux lundis matin par mois, autour d’un café qui réconforte, une dizaine de victimes de harcèlement au travail se retrouvent à l’initiative du psychiatre Jean Rodriguez et de la psychologue Mélanie Ragot, au centre hospitalier de Montfavet.

« Une violence insidieuse, pas toujours bien comprise »

Le rendez-vous est, pour beaucoup, devenu un rituel rassurant. Pour sortir de l’isolement, témoigner, se reconstruire et trouver la force de lutter contre cette violence insidieuse, pas toujours bien comprise des autres et dévastatrice. « On perd ses repères, on culpabilise, on croit devenir fou, si on n’en parle à personne, le pire… » La voix d’une femme se noue dans une émotion encore à vif. « C’est un système totalement pervers qui isole, le partage d’expériences rend plus fort », assure Jean Rodriguez, effaré de la multiplication des cas. « Personne n’y échappe, les employés comme les cadres. » Une grande lessiveuse qui essore les salariés dans un système économique rendu plus précaire encore avec la crise. « L’organisation du travail génère le harcèlement« , explique Jean Rodriguez, d’un ton très militant. Avant, on suivait sa tâche de bout en bout. Aujourd’hui, c’est la finance qui prime, on perd le sens de ce qu’on fait. Seul compte le résultat. On isole les syndicats, on rabote les lois sociales, même l’Accord national interprofessionnel (ANI) va dans ce sens. L’humain ne compte plus. »

« On prend tous des cachets contre l’anxiété »

Des salariés malmenés, meurtris, choqués qui, tous, dans leur histoire singulière, décrivent la même mécanique implacable qui les a broyés, comme une lente descente aux enfers. « Vous savez, ici, on prend tous des cachets contre l’anxiété… » « Je ne savais même pas ce qu’on me reprochait, on m’empêchait de parler à la DRH », confie Sandrine, vendeuse en boulangerie. D’abord des insultes devant les clients, des chefs odieux, « des roquets puis des rottweillers », et les coups qui tombent… « À la gendarmerie, pour recevoir ma plainte, on m’a dit qu’on ne m’avait pas fait assez mal… »

Des affaires pendantes au tribunal

Il y a aussi Laurence, vendeuse en hypermarché, qui a besoin d’horaires aménagés pour s’occuper de son enfant handicapé : « La DRH a demandé à mes collègues de me faire craquer. C’était diviser pour mieux régner. Ma plainte est bloquée au tribunal. L’enseigne est un des plus gros employeurs de la région… » Même Sophie, infirmière dans cet hyper a payé ce management « autoritaire » : « Aujourd’hui, je ne soigne plus, c’est moi qu’on soigne… » Ou Mireille, trimballée de service en service, sans explication, à France Télécom. Et encore, ce syndicaliste accusé de vol par un patron qui veut se séparer de lui. « L’enquête a prouvé que c’est le patron qui avait organisé le vol, le dossier est toujours bloqué en justice », déplore Jean Rodriguez.

Pour que le harcèlement soit reconnu maladie professionnelle

Quand les victimes craquent, le chemin de croix n’est pas fini. Plaintes non reçues, médecins sceptiques, « il faut qu’ils prennent leurs responsabilités », lance le psychiatre dont le combat est que le harcèlement soit validé maladie professionnelle. Ni la médecine du travail ni la Sécurité sociale ne reconnaissent le harcèlement comme accident du travail. Ou alors, à force de procédures longues, usantes et hasardeuses.

Un salarié harcelé : « Il a monté mon équipe contre moi »

« La justice est très frileuse, dénonce-t-il. Les décisions des prud’hommes d’Avignon sont presque systématiquement cassées en appel à Nîmes. » Pourtant, les cas douloureux se multiplient. « Après 27 ans de boîte, j’ai voulu me suicider, mon travail me tenait tellement à cœur, témoigne, avec beaucoup d’émotion, Dominique. D’un seul coup, du matin au soir, je recevais des ordres à l’envers, le chef faisait du zèle et me disait : “Tu vois, un col blanc, c’est intouchable !” Il a monté mon équipe contre moi. Ils ont dit que je les battais… » Usure, larmes, Dominique est en arrêt depuis deux ans. « Mais c’est important de se battre contre l’injustice et de témoigner. » Autour de la table, on s’écoute, on s’aide, on rigole aussi. La vie reprend son cours, petit à petit…

OÙ COMMENCE ET COMMENT FINIT LE HARCÈLEMENT ?

« Le harcèlement n’est jamais involontaire. S’il a lieu entre collègues, c’est toujours avec la caution de l’employeur », prévient le psychiatre, qui a des dizaines d’exemples en tête. « Or, il est tenu de préserver la santé mentale et physique des salariés, c’est dans la loi. » Ordres et contre-ordres, petites et grandes humiliations quotidiennes devant les collègues, remise en cause constante de votre travail, de votre efficacité, interdiction qu’on vous adresse la parole, mensonges, objectifs inatteignables, surveillance intempestive… La liste est longue et interminable des actes de harcèlement.

Une méthode de management

« Le harcèlement est même devenu une méthode de management pour se débarrasser de salariés sans indemnités. Un système cynique et organisé », dénonce Jean Rodriguez, qui cite le management par la terreur plus “rentable” que le management participatif. « Et on l’enseigne ! Je connais des gens qui ont arrêté leur formation de DRH quand ils ont vu ce qu’on leur demanderait de faire… »

Pas reconnu comme maladie professionnelle

« On ne dort plus, on ne pense plus qu’à son travail, à son chef, on doute de tout, de soi, des autres… », décrit Jean Rodriguez, qui accompagne des centaines de harcelés. Et puis, s’installent les symptômes d’anxiété post-traumatique, la dépression. « Dans les cas les plus graves, ça va jusqu’à l’invalidité permanente ou jusqu’au suicide, comme à France Télécom, par exemple. » Pour le psychiatre, il faut absolument que le harcèlement au travail soit reconnu comme accident du travail et maladie professionnelle, comme le sont certains cancers de l’amiante. « Il n’entre pas dans les maladies répertoriées comme le stress post-traumatiques ou le burn-out. »La CPAM rejette systématiquement les demandes en ce sens « et la médecine du travail est soumise aux employeurs ».

Devenue la spécialiste du harcèlement au travail sur Avignon, où elle suit une centaine de dossiers, maître Bénédicte Anav admet : « C’est très compliqué de le faire reconnaître, ça représente un cas sur deux aujourd’hui, les tribunaux sont épidermiques. Il faut dire aussi qu’il y a beaucoup d’abus. Moi, je retiens deux dossiers sur dix qu’on me présente. » Car des heures supplémentaires non payées, des jours de congés refusés ou une dispute, ce n’est pas du harcèlement. « Il faut qu’il y ait une dimension perverse, difficile à prouver. »

Accumuler des preuves

C’est là que l’avocat intervient pour bétonner le dossier avec des attestations, des certificats médicaux, des preuves. « Il faut en accumuler le plus possible, on est dans le subjectif », explique l’avocate qui vient de gagner trois dossiers devant les prud’hommes. « Avec 180 000 € dans un cas. » Trois dossiers partis en appel à Nîmes, « on est tombé à 50 000 € ». La justice est frileuse. « Avec la crise, le harcèlement est devenu une façon de licencier. Ça touche toujours à une fragilité du salarié. On a envie de dire qu’il suffirait de taper du poing sur la table pour se faire respecter. Ce n’est pas toujours si facile… »

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