LE SYNDROME DE LA FÉE CLOCHETTE

« Les fées adorent danser, voyez-vous ; et bien qu’elles oublient les pas, quand elles sont tristes, elles ont tôt fait de les retrouver quand elles redeviennent gaies. C’est la raison pour laquelle les fées ne disent jamais : « Nous nous sentons heureuses », mais : « Nous avons envie de danser ». Je suis sûr que vous avez remarqué que cela veut dire presque la même chose. La joie vous descend très facilement dans les pieds. »

Peter Pan, Sir J.-M. Barrie

fantasywire-wire-fairy-sculptures-robin-wight-26

Après le syndrome de Peter Pan, et celui de Wendy, il apparaît incontournable d’évoquer le troisième, l’inséparable, le collatéral des précédents : le syndrome de la Fée Clochette. On le doit à Sylvie Tenenbaum, thérapeute, qui a identifié une nouvelle typologie « représentative de quantité de jeunes femmes actuelles », ainsi qu’indiqué en 4eme de couverture de son livre éponyme : Le syndrome de la fée Clochette, ces femmes qui font du mal et se font mal (Le Moment éditeur).

Et elle définit ainsi ces Clochette modernes : « Aussi charmante qu’insupportable, aussi enchanteresse qu’ensorceleuse, agressive et jalouse. Aussi intelligente que manipulatrice et cruelle. »

Petit retour en arrière, sur la Clochette la plus connue, la plus populaire pour tous : celle de Walt Disney. Clochette suit partout Peter. Où qu’il aille. Quoiqu’il fasse. Elle ne dit rien, elle secoue ses ailes, elle boude, elle fait la moue, elle ne répond à ses demandes que si celles-ci lui conviennent, elle le punit, elle s’éloigne et revient. Elle se fait enfermer et se cogne entre les parois de cette lanterne qui la maintient prisonnière (la lumière serait-elle un piège ?) Elle se montre d’une jalousie féroce, elle complote, elle s’en veut – mais jamais longtemps. Elle se montre espiègle et prépare des tours pendables. Elle pleure, aussi, elle se replie sur elle-même, et elle s’éteint lorsqu’elle ne fait plus rire.

« Chaque fois qu’un enfant dit: «Je ne crois pas aux fées», il y a quelque part une petite fée qui meurt. » (J.-M. Barrie)

1c5e138705728e3442930020531585a4

 

Clochette est donc absolument insupportable. Capricieuse, orgueilleuse et colérique. Exigeante et autoritaire. Pour autant, elle est charmante, séduisante, séductrice, mutine et coquine. Et Clochette (celle du conte et non celle du syndrome) en souffre. Car elle sait que non seulement elle a besoin de Peter Pan pour exister, qu’elle ne peut vivre sans lui et sa fantaisie, mais qu’elle est tout de même condamnée à être abandonnée par le même Peter s’il lui prenait l’idée de grandir, de mûrir. Aussi, et sans en comprendre le sens ou la raison, elle alterne ses sentiments, usant de l’un ou de l’autre, tout comme elle le fait avec ses comportements. Elle agit plus par instinct et impulsion que par réflexion… sa réflexion la menant le plus souvent au calcul stratégique.

Et le corollaire est vite fait. Si elle est stratège pour ses intérêts et seuls intérêts, la voilà manipulatrice. Le cercle se referme. Peter Pan, cet enfant qui ne grandit jamais, a besoin pour se protéger de l’âge adulte de sa Clochette, de sa fée. Elle le guide et veille sur lui, et le maintient dans ce monde imaginaire sans lequel il serait perdu. Quant à Clochette, elle vit dans une relation tout autant faite de dépendance. Si Peter, cet enfant impatient qui semble par instants lui appartenir, la quitte, elle n’est plus rien. Elle disparaît.

Dans ce même monde imaginaire où l’âge adulte est un danger tout autant qu’une crainte – puisqu’il mène aux responsabilités et à la mort – Clochette se sert de ce qu’elle fait le mieux : semer sa poussière d’étoiles et permettre de voler. Elle titille et pinaille et fait des blagues, et les enfants perdus en rient, et Peter applaudit. Quant à l’ego de Clochette, il ne fait que gonfler.

Peter Pan, comme Clochette, ne vivent pas leurs émotions, ne les ressentent pas profondément, et sont même incapables de les nommer.

« Clochette n’était pas totalement mauvaise ou, plutôt, elle était totalement mauvaise à ce moment-là tandis qu’à d’autres, elle était entièrement bonne. Les fées doivent être une chose ou l’autre: elles sont si petites qu’elles ne peuvent malheureusement héberger qu’un sentiment à la fois. » Sir J.-M. Barrie

Qui seraient alors ces femmes de notre monde actuel vivant en souffrant de ce syndrome ?
Si nous ne pouvons vivre sans nous ranger dans des cases au nom prédéfini, que contient celle de la fée Clochette ? En revenant sur ces grands traits de caractère de cette fée de conte, on peut penser à des femmes perfectionnistes, ambitieuses, d’apparence à la fois distante, et séductrices. Qu’on ne peut ni ne doit ignorer, sous peine de subir leurs foudres, et non leurs étoiles, mais qui vont jeter aux yeux de celles et ceux qui les admirent cette poudre qui « fait voler ». Stratagème pour endormir. Et de là à ce qu’un petit malin roublard crée une nouvelle analogie entre cette poudre aux yeux, cette poussière d’étoiles, et une autre poudre bien plus toxique, il n’est pas loin.

Elles sont donc forcément instables, sur le plan affectif. Elles séduisent, charment, ensorcellent, mais sont perpétuellement insatisfaites, courent (ou plutôt volent) derrière un absolu et une perfection qui, comme tout absolu et toute perfection, sont toujours inatteignables.

Et si elles se perdent autant dans cette quête d’absolu, c’est bien pour ne pas penser. Ni à elles, ni à leur histoire, ni à leur passé (bien sûr douloureux et pas réglé), ni à cette peur de ne plus être aimée, de ne plus être désirée.

Elles vont apparaître (ou laisser comme souvenir) comme des femmes insensibles, tyranniques, despotiques, instables, insensibles et jalouses. Le tableau manque de charme, puisque le charme est contenu dans cette illusion qu’elles projettent mais qui demeure bien loin de leur réalité.

Et bien sûr, elles sont inconscientes de tout cela. Si elles en souffrent, elles en projettent la cause sur les autres. Sur ce Peter qu’elles ont croisé, mais qui, lui, a décidé devenir un homme. Sur cette Wendy qui a su amadouer Peter, s’en occuper, et le retenir.
Certains pourraient, par une déduction d’une rapidité extrême, les voir comme des Amazones. Sauf qu’elles ne cherchent pas l’homme pour se reproduire ou combattre, elles le quêtent pour exister, tout en le détestant d’exister lui aussi.

Bien évidemment, c’est dans leur enfance que la cause de ce comportement sera cherchée. Une enfance où l’on croisera forcément un parent « toxique », une place « à part » d’enfant mal aimé ou moins aimé, une violence psychique ou physique refoulée, un besoin de se venger pour exister, une peur de perdre et d’être abandonnée, un besoin d’exister et d’être reconnue, une dissociation du moi… et que sais-je encore.

L’apparence prime, le décor l’emporte sur la réalité. Ce culte esthétique pourrait conduire à une nouvelle comparaison : ces femmes cherchant à être remarquables et remarquées à tout prix se transformeraient peu à peu et sans s’en rendre compte en femme – objet, prête à tous les sacrifices physiques pour peu qu’ils lui apportent le sentiment d’être.

Et au-delà de tout ça demeure une profonde et inévitable colère.

Colère contre tous, colère contre elles-mêmes.

Colère qu’elles contrôlent ou croient contrôler, comme elles imaginent tout contrôler, tout gérer. Ou comme elles le souhaitent, ce qui seraient pour elles tant un moyen de s’affirmer, que de prendre cette fameuse revanche sur la vie dont elles semblent avoir tant besoin.

C’est souvent face à la solitude que la colère se développe. Le désespoir aussi,

A la fois femme – enfant (ou adolescente) car trop immature pour mettre un nom sur ses émotions, pour les appréhender et les affronter, avec un besoin cruel de s’affirmer dans des « Non » répétés à qui mieux-mieux, et à la fois femme méprisante, castratrice, qu’on pourrait dire misandre, ce sont avant tout des personnes en souffrance. Et qui ont besoin d’aide même si elles ne le disent pas ou ne le demandent pas.
Parce que leur confiance en elles est et a été entamée voir interdite. Et que leur moyen de l’exprimer ressort dans cette dépendance affective inavouée et dans cette affirmation brutale d’un moi pas construit et non consolidé.

Il n’est donc absolument ni ludique, ni facétieux ni charmant de se retrouver sous l’étiquette du syndrome de la fée Clochette. De petite fée virevoltante, les femmes ainsi qualifiées deviennent des prédatrices manipulatrices et vengeresses. En s’alliant à une Wendy, on retrouve presque la caractérologie des personnages féminins du film Les diaboliques, de Henri-Georges Clouzot.

Et le risque demeure qu’en lisant rapidement ce type de terminologie, une femme en souffrance continue de se fuir, niant la réalité, ou sombre en dépression, croyant se reconnaître et ne sachant que faire.

Peut-on en guérir ?

Pour en guérir, il faudrait avant tout que ce soit une maladie.
Or, ce n’en n’est pas une, et il faut arrêter de voir et de mettre de la maladie, du pathologique, partout. Les fées Clochette, les Wendy, les Peter Pan ne sont pas malades, ils n’ont pas de troubles psychiatriques. Ils souffrent d’un trouble du comportement, d’un défaut d’estime d soi, d’une personnalité mal construire, d’un dysfonctionnement et d’une inadéquation entre réel, réalité, et vécu.

En revanche, si la lecture inquiète, surprend, rappelle « quelque chose que je connais très bien », elle est alors un signal. Non pas d’un « Mais qu’est-ce qui ne va pas chez moi (ou chez elle) ? » mais d’un « Il existe une solution, une aide, un soutien possible et constructif ». Si une, voir des prise(s) de conscience sont nécessaires, si elles vont être difficiles car génératrices de culpabilité (en soulignant que d’autres ont pu souffrir du fait de ces comportements instables), la construction de la personnalité effective est possible.

La fée Clochette souffre d’une faille. Narcissique, affective, abandonnique… Ce n’est ni en un article ni et encore moins en restant dans la théorie qu’il est possible de la déterminer, puisque nous parlons d’individus, de personnes, d’histoires personnelles et familiales, parfois de transgénérationel. Nous parlons aussi de relations interpersonnelles, d’affect et d’émotions. La personne en souffrance, en demande d’aide – même si elle n’en est pas consciente – doit pouvoir recevoir cette aide, et qu’elle lui soit bénéfique. A elle en tout premier lieu. Il ne s’agit pas de construire un monde individualiste, égoïste, ou chacun agit dans l’indifférence la plus complète et en ne se préoccupant en rien de ce qui l’entoure.

Il s’agit de se confronter, à soi, de se mettre face à son miroir, de chercher à être entendu(e), mais aussi d’entendre.

Alors syndrome de Peter Pan, de Wendy, ou de Clochette, que faut-il en retenir ?

Nous sommes aujourd’hui confrontés, de manière assez générale, à un paradoxe. On peut presque le comparer à cette double injonction qui détruit et est une arme de la violence psychologique. Il faut aller bien – c’est obligé puisque les clés sont distribuées facilement dans un certain nombre de périodiques. Mais si vous allez bien, si vous avez du caractère, si vous vous affirmez, si vous osez dire non ainsi qu’on vous y invite ; ou si encore vous êtes une personne « gentille », empathique, bienveillante ; ou encore, si vous avez un caractère joueur, espiègle… bref, qui que vous soyez, vous risquez d’aller mal si vous ne le vivez pas encore. Vous risquez de vous effondrer si vous ne l’avez pas déjà fait. Vous voilà prévenu.

Aussi, déterminer ce type de syndromes (qui n’ont, il faut encore une fois le répéter, aucune reconnaissance médicale mais reposent sur des analogies typologiques ou comportementales), communiquer sur ces syndromes a le mérite de mettre un nom sur une situation, une relation ou un comportement. Et c’est à la fois tout l’avantage et tout le danger des lectures. Elles sont éclairantes, mais insuffisantes. Elles s’adressent à tous, mais ne résolvent pas une situation. Elles peuvent également induire un autre danger : à défaut de s’y « reconnaître » et de mettre en place une démarche active pour « s’aider, soi », elles autorisent à se concentrer sur l’autre, et de ce fait à déplacer tant le problème que la difficulté. Ce qui maintient la personne en souffrance dans sa souffrance sans lui permettre d’aider qui que ce soit d’autre, puisque ses comportements seront toujours instables, disproportionnés ou inadaptés. Ce qui parfois peut même justifier ce qui sera ressenti comme une absence de progrès, d’évolution : se concentrant uniquement sur « l’autre », la personne en demande d’aide ne fera aucun travail réel sur elle.

Elle sera alors doublement en souffrance, le vivra comme une double peine, et se bloquera dans une forme de déni : y aurait-il tout de même un avantage à ne pas parler de soi, un « profit » à ne pas avancer ? Car la découverte de soi oblige toujours à une rupture : celle avec la personne que l’on était « avant ». Et accepter cette séparation est aussi difficile que salvateur. Accepter ouvre surtout la porte à une réalité : Je n’étais pas (plus) moi, je me retrouve, et je m’aime ainsi. Je suis un(e) humain(e), et non l’étoile que l’autre doit contempler, admirer, ou tenter de décrocher.

« Les étoiles sont très jolies mais elles ne peuvent prendre part à aucune action; elles se contentent de regarder sans fin. C’est une punition qu’on leur a imposée pour quelque chose qu’elles ont fait il y a si longtemps qu’elles-mêmes ne se rappellent plus ce que c’était. »
Sir J.-M. Barrie

©Anne-Laure Buffet

 

RENCONTRE AVEC SOPHIE CHAUVEAU LE 23 JUIN 2016

unnamed

Je serai le 23 juin 2016 , à 19H, à la librairie Gallimard, 15 boulevard Raspail, 75006 Paris, pour une rencontre dédicace avec Sophie Chauveau. 

Les violences psychologiques et sexuelles et particulièrement les agressions sexuelles sur mineurs, l’inceste, et les schémas familiaux destructeurs, seront au coeur de cet échange.
La discussion se poursuivra avec vous, et autour d’un verre, si vous souhaitez nous rejoindre.

Anne-Laure Buffet

 

LES DANGERS DU VIRTUEL (1) – LA SÉDUCTION

1b6a3fb4

Premier opus des articles concernant les dangers du virtuel, c’est de séduction qu’il va tout d’abord être traité. 

La personnalité toxique dans une relation de couple en devenir commence toujours par le même procédé : la séduction. Elle enjolive, flatte, console, écoute, « comprend » – car elle se montre volontiers très compréhensive. Elle ne veut pas « précipiter » les choses mais elle « ressent de la douleur, de la souffrance », chez son interlocuteur, la proie. Elle fait mine de s’oublier, elle parle peu d’elle, elle invite en revanche à parler. À se confier, se raconter. Les pleurs et la timidité ne la gênent pas, bien au contraire. Là encore, elle « comprend ». Elle fait montre de patience – déguisement pour mieux dresser ses filets autour de sa proie.

Elle s’adapte à ce qu’elle entend, et répond de façon anticipée aux demandes qui lui sont faites. Elle écoute les blessures qu’on lui livre, y cherche le moyen matériel de les combler, le moyen concret, visible, et en profite.

Par pur intérêt.

Elle va avoir un comportement qui sera en apparence le total contre exemple de ce que sa proie a connu auparavant, et des souffrances ou failles qu’elle doit réparer.

Sur Internet, que ce soit sur les réseaux sociaux ou sur les sites de rencontre, ce comportement est d’autant plus pernicieux. Les premiers contacts sont écrits.  Le téléphone, Skype, les webcam ne sont pas le premier outil utilisé par la personnalité toxique. Bien au contraire elle peut encourager à prendre du temps. « Ne nous pressons pas, laissons-nous le temps de parler, d’échanger… après tout, une voix, un physique, est-ce si important ? «  Rassurant ainsi sa proie qui se sentira loin de tous les dragueurs des bacs à sable et autres malheureux en amour, celle-ci va tomber dans le piège, en pensant simplement qu’elle a enfin trouvé un confident(e), une oreille, quelqu’un sur qui elle peut compter. Il ne faut pas oublier que la proie souffre en général d’un manque évident de confiance en elle, et la fausse assurance soudain donnée par la personnalité toxique devient un miroir aux alouettes dans lequel elle aime à se regarder pour se convaincre qu’elle « vaut quelque chose ».

La proie est séduite, confiante. C’est elle le plus souvent qui proposera le premier échange, la première rencontre « réelle », se sentant totalement hors de danger. « S’il avait une idée derrière la tête, il m’aurait proposé qu’on se voit depuis longtemps… »
Et même en proposant que l’échange soit plus concret, elle n’aura pas toujours droit à une réponse positive. La personne toxique fait trainer. Tous les arguments sont bons, amenant peu à peu la proie à se poser des questions, à se demander si elle est trop entreprenante, à vouloir en savoir plus. Ce comportement de la personnalité toxique développe chez la proie à la fois curiosité, impatience, et doute. Doute sur elle-même : « Peut-être sis-je dit ou fait quoi que ce soit qui ne lui plait pas ? Peut-être que j’en demande trop ? »

C’est au moment où la proie s’y attendra le moins, où elle ne demandera rien, que la personnalité toxique à son tour va demander cette rencontre « réelle ». Et la proie accepte.

Les premières heures, les premières semaines peuvent prolonger le temps de la séduction. Mais que la proie soit prudente, si elle le peut encore – et elle le peut trop rarement. À la première remarque qu’elle osera faire, manifestant une incompréhension, un reproche, une interrogation, elle se fera répondre : « Je ne comprends pas… C’est toi qui voulais qu’on se connaisse. Je t’avais dit que ce n’était pas utile. Qu’on pouvait être amis, juste ainsi, derrière nos écrans. Tu as insisté. J’ai fini par céder. Et aujourd’hui, tu me le reproches… »

Les filets sont resserrés. La proie est prise au piège. Et convaincue d’être responsable de cette situation. Alors, elle baisse la tête, se tait… et se plie aux exigences de son nouveau maître.

©Anne-Laure Buffet

J’AI OUVERT LA BOITE DE PANDORE

2416982_1e6bd4588436913e1_16-post

 

Si j’avais été présente le jour de la découverte du corps de mon père j’aurais demandé à ce qu’une autopsie soit pratiquée mais je n’étais pas sur place et avec le recul je ne sais même pas si j’aurais eu la présence d’esprit de la demander ni même si elle aurait été pratiquée.

 

J’ai des doutes sur les circonstances de la mort de mon père et même si je suis consciente que les doutes ne constituent pas des preuves, ni mon intime conviction; pas même les faits qui me troublent. Je ne veux pas disparaître sans avoir confié mon témoignage.

 

La violence morale est une maltraitante psychologique qui ne laisse aucune trace mais elle peut entraîner des troubles graves et pour en avoir été victime lors de la succession de mon père j’ai la conviction profonde que mon frère a usé et abusé de la confiance de l’entourage de mon père (famille et amis)  afin de l’isoler et de le laisser mourir à petit feu. Il avait besoin d’argent.

 

J’ai appris par l’intermédiaire de la banque dans laquelle nous devions ouvrir un compte en indivision que mon frère était interdit bancaire sans autre précision car seule la justice pourrait me dire à combien s’élevait cette dette. J’étais déboussolée quand seulement quelques heures après l’annonce du décès, mon frère m’a demandé une procuration pour s’occuper seul de la succession mais j’en ai compris la raison bien plus tard lorsque nous avons été face à face. J’ai découvert la personnalité de mon frère en étant confronté à lui pendant les mois qu’ont duré cette succession. Je ne savais pas avant d’être confronté à mon frère qui il était vraiment et pourquoi sinon jamais je n’aurai accepté de le laisser seul auprès de mon père malade et dépressif.

 

Mon frère et moi n’avons jamais eu d’atomes crochus, chacun a fait sa vie de son côté. Avant le décès de notre père nous n’avions quasiment aucun contact. Nous sommes proches en âge mais avons été élevé dans des univers sensorielles différents. Paradoxalement malgré mon éloignement géographique j’étais plus proche de notre père que ne l’était mon frère. Lorsque ma mère a quitté mon père pour aller vivre avec un autre homme, mon père qui venait juste d’être grand père pour la première fois et qui regrettait d’avoir été un père plutôt absent a tenté de se rapprocher de ses enfants pour rattraper le temps perdu. J’ai été la seule à ne pas choisir entre mon père et ma mère. Mes parents se disputaient beaucoup et j’ai été comme on dit un enfant « tampon ». Ma mère m’utilisait, alternant le chaud et le froid, exerçant sur moi une violence morale insidieuse et efficace. J’ai fini par me nier totalement et être exactement ce qu’elle voulait que je sois. Soumise et inexistante. Comme elle préférait mon frère j’ai tout fait pour ressembler à un garçon. J’ai bloqué mon développement de femme et suis restée très longtemps androgyne.

 

Mon frère et mon père ne se sont jamais entendus et lorsque ma mère a quitté mon père  mon frère a choisi de le dénigrer. Il disait qu’il n’avait été qu’un géniteur et ne se parlaient quasiment plus. Mon frère a eu très vite besoin d’argent. Il vivait au dessus de ses moyens. Ma mère lui a donné ce qu’elle avait pour qu’il conserve son train de vie et qu’il préserve les apparences. Quand la source s’est tarie, il n’a plus eu d’autre choix que de se rapprocher de notre père qui a très mal pris ce rapprochement intéressé plus de dix ans après la séparation de nos parents. Mon père va obliger mon frère à signer une reconnaissance de dettes afin que je ne sois pas lésée. Cette reconnaissance de dettes ne sera jamais acceptée par mon frère qui prendra ses distances à nouveau avec lui après avoir encaissé l’argent.

 

Quelques années plus tard, la situation de mon frère ne s’est pas arrangé et mon père fait une grave chute dans les escaliers de sa résidence et se retrouve à l’hôpital avec six cotes cassées et un traumatisme crânien. Mon frère était venu le voir le jour même de sa chute pour « discuter ».

 

Malgré le divorce, ma mère gardait une emprise sur mon père. J’ai trouvé des lettres qui prouve sa jalousie maladive.Elle écrit souvent qu’elle ne supporte pas de le savoir avec une autre femme et conseille à mon père de séparer sa vie privée de sa vie avec moi afin dit elle de protéger ma « santé » fragile.

 

Lorsque mon père est tombé dans les escaliers elle sortait de l’hôpital et je devais aller chez elle pour m’occuper d’elle. Quand je lui ai dit mon souhait d’aller voir notre père cela faisait déjà plusieurs jours que j’étais chez elle et elle a essayé de me l’interdire prétextant que mon frère était aussi capable que moi et que nous n’avions pas besoin d’être deux etc…Ma mère s’est mise dans une rage folle lorsqu’elle a appris que la compagne de mon père avec laquelle il avait des hauts et des bas, était auprès de lui. Elle disait que cette femme était auprès de lui pour nous prendre notre héritage…
J’étais hors de moi d’entendre de tels propos de la part de ma mère et nous nous sommes disputées. Je lui ai fait fait comprendre que la vie sentimentale de son ex mari ne la regardait pas ni moi ni elle et qu’il avait le droit d’être heureux peu importait le père qu’il avait été pour nous ou le mari qu’il avait été pour elle.

Jamais je n’avais osé tenir de tels propos à ma mère mais à ce moment là j’avais 40 ans, une vie amoureuse épanouie, un enfant, et le fait d’être mère avait comblé un vide affectif. Avec les années j’avais gagné en maturité et aussi en confiance.

 

Comme mon frère et ma mère échangeaient des informations sur la santé de notre père sans me tenir au courant cela me mettait en colère et très rapidement mon frère et ma mère m’ont jugée parano, jalouse et hystérique. J’avais déjà entendu ses termes lorsque j’étais plus jeune quand je me plaignais de ne pas être élevée de la même manière que mon frère. Nous avons eu un père démissionnaire. Ma mère était omnipotente. Alors qu’elle ne fixait aucune limite à mon frère et le mettait sur un piédestal elle se montrait autoritaire et cassante avec moi.
J’ai souffert de ne pas avoir de relations avec mon frère et j’ai tout fait pour être aimée de ma mère sans jamais y parvenir. La présence de mon père me sécurisait, il est arrivé que je somatise en son absence, lorsque j’avais peur d’être abandonnée ou lorsque ma mère me faisait peur.

J’exprimais ces peurs en dehors du cercle familial.

 

Je me suis construite en dehors de ma famille, être mère m’a apporté beaucoup au plan psychologique même si le départ du père de mon fils après 10 ans de vie commune a été un choc, j’ai surmonté l’épreuve et j’en suis sortie grandie.

 

J’ai compris depuis le décès de mon père que ma mère n’était pas seulement jalouse des femmes de mon père mais aussi de moi. Elle a tout fait pour m’empêcher d’aller voir mon père et l’argument le plus percutant c’était de me dire qu’il fallait que je donne une chance à mon père et mon frère de se réconcilier. Quelle soeur et/ou fille normalement constituée pourrait empêcher un fils et un père de se réconcilier ?.

 

Pendant des mois, j’ai accepté de me plier à cette volonté et je m’en suis rendue malade. J’étais montée voir mon père à l’hôpital et, apprenant qu’il irait en cure, j’étais un peu rassurée. Il avait également ses soeurs, des amis je n’aurai pas pu croire que mon frère serait seul à rendre visite à mon père pendant trois mois. Je ne l’ai su qu’après son décès qui s’est produit la semaine précédent mon arrivée prévue chez lui…

 

Lors d’une conversation mon père m’avait dit que mon frère refusait de lui rendre le double de ses clefs et je trouvais cela anormal, je voulais y voir plus clair et j’étais déterminée à y aller avec ou sans l’avis favorable de ma mère ou de mon frère. Bien sûr l’argument a été de dire que comme il était « responsable » de mon père il fallait que mon frère puisse ouvrir l’appartement en cas de soucis seulement mon père a été trouvé mort deux jours après son décès présumé et mon frère n’a pas voulu se déplacer quand le gardien l’a informé que les volets n’étaient pas remontés. Des informations mises bout à bout, l’emprise exercée par mon frère sur l’entourage, le soutien de ma mère à distance et le fait que mon frère ait menti pour pouvoir mieux se débarrasser de la compagne de mon père qui était la seule à se méfier tout comme moi de la position de « sauveur de situation » prise par mon frère. De nombreuses personnes qui souhaitait le voir à l’hôpital se sont vu refouler par mon frère.

 

Mon père était dépressif depuis qu’il était à la retraite, je n’ai eu vraiment conscience de la gravité de son addiction à l’alcool que lors de son hospitalisation. Sa mort prématurée est pour moi le résultat d’un isolement psychologique,physique et de violences morales.

 

Mon frère a utilisé contre moi les mécanismes pervers narcissiques c’est ce qui me permet de dire qu’il a pu sans remord laisser mon père mourir par haine et par besoin d’argent. J’ai appris plus récemment qu’il n’a pas hésité à envoyer certains de mes mails à mon fils avec lequel il n’avait eu jusque là aucun contact régulier puisque je n’avais moi même aucun contact régulier avec lui. Mon frère a divisé pour mieux régner. J’ai cru perdre la confiance de mon fils alors que nous n’avons jamais eu aucune difficulté à nous comprendre et à nous entendre. Si je n’avais pas eu auprès de moi une femme qui me connaît depuis l’enfance à qui j’ai pu confier mes doutes et partager mes informations et découvertes au fur et à mesure du temps depuis l’annonce de la mort de mon père et tout au long de la succession, j’aurais pu perdre la raison.

Les violences morales sont quasiment impossibles à contrer parce qu’elles sont parfois déguisées.

 

Lors de la succession, j’ai compris assez rapidement que les conversations orales ne menaient à rien et nos confrontations juste tous les deux me mettait dans un état de stress insupportable. J’ai exigé les échanges mails et demandé à mon époux de m’accompagner au cas où je devais le revoir.

 

Je me suis renseignée sur ce « profil psychologique » et j’ai compris que tous les ingrédients étaient réunis pour qu’il en soit victime. Mon frère n’avait que ma mère ; moi je me suis construite avec d’autres référents maternels ; c’est je crois ce qui m’a sauvé. Construire ma propre famille m’a aidé à me réconcilier avec mon passé. Mon frère n’a pas eu d’enfant et vit avec une femme avec laquelle il n’est pas engagé (pas de pacs, ni mariage) Le comportement de ma mère après le décès de mon père, sa position vis à vis de moi,  son discours et son attitude m’ont tellement révoltée que j’ai décidé de rompre également mes relations avec elle pour me protéger.

 

Lorsque mon père est mort et que j’ai commencé à poser des questions et à m’interroger sur le rôle joué par ma mère et mon frère dans ce drame à huis clos, on m’a qualifié de folle. Lorsque je me suis sentie exclue de la famille, cela a entraîné un traumatisme. Le deuxième choc psychologique après l’annonce du décès.

 

Mon frère a réuni pas loin d’une centaine de personnes à l’enterrement de notre père. Pour l’occasion il avait même préparé un discours mais en face de moi il n’a fait que le dénigrer et il a tenu les mêmes propos à mon fils. En dehors il est aimable,serviable peut même jouer les victimes mais en privée il peut se montrer d’une grande perversité et faire peur. Il a agit comme si je n’existais pas et les gens de la résidence se sont étonnés de me voir seulement pour les obsèques de mon père et non pendant les mois qui ont précédé son décès. Il a fallu que j’explique moi même la situation pour qu’ils me regardent autrement et même en leur expliquant je ne suis pas sûre d’avoir été crue.

 

Si notre père avait souffert d’un cancer, tout le monde aurait trouvé normal de venir le voir mais comme notre père s’isolait lui même à cause de la honte et de la culpabilité qu’il éprouvait vis-à-vis de lui même, il a été facile pour mon frère de l’isoler encore plus et de faire semblant de prendre soin de lui tout en assurant à l’entourage qui le contactait que tout était sous contrôle et qu’il « gérait » la situation.

 

Une seule personne a essayé de se mettre entre notre père et son fils et mon frère l’a fait partir en faisant en sorte qu’elle soit rejetée par la famille. Mon père était désorienté et ne savait plus à quel saint se vouer.Je crois qu’il a fini par ne plus faire confiance à personne.

 

J’ai ouvert la boite de pandore, découvert avec effrois la vrai personnalité de ma mère et de mon frère. Cette mère dont j’ai compris qu’elle me maltraitait psychologiquement parce que j’étais une fille mais aussi parce qu’elle était jalouse de moi et de la relation que j’avais réussi à établir avec mon père et qui en plus m’utilisait pour ne pas que le lien soit rompu entre eux deux. Paradoxalement si le décès de mon père m’a beaucoup affecté ce sont les violences morales exercées conjointement par mon frère et ma mère qui auraient pu me faire perdre la raison. J’ai choisi de rompre les relations de manière définitives avec ce couple toxique. Je sais que mon frère est victime de cette mère trop aimante et omnipotente mais aujourd’hui je le considère comme un bourreau tout comme elle.
Ma mère a projeté sur moi ses propres défauts pendant plus de 30 ans, jalousie maladive, hystérie sont des termes qui s’appliquaient à elle et non à moi. Mon frère a projeté ses propres défauts sur mon père qui n’était pas fin psychologue et n’était plus en état de se défendre et se réfugiait probablement dans l’alcool et dans le déni pour échapper à une réalité trop dure. La mort de mon père m’a ouvert les yeux sur un huis clos sordide. J’ai aujourd’hui toutes les pièces du puzzle et j’essaye de me reconstruire. A la mort de mon père ma mère ne m’a pas serré dans ses bras en voyant mes lunettes noires elle m’a dit en souriant « tu es venue incognito? » puis elle s’est penchée plus bas a tiré mon collant en me reprochant de n’avoir pas mis un collant plus fin « avec la chaleur qu’il fait ». Quand j’ai mis en doute l’intégrité de mon frère on m’a traité de folle et si je n’avais pas construit une famille « bis » autour de moi je n’aurai pas supporter le traumatisme du rejet.

 

Emma, le 21 avril 2014.

MORT VIVANTE – EXTRAIT 7 (Fiction, à paraître)

249191_167410550087067_2104926757_n

Tu ne me fais plus peur.
Terminé. Basta. Fini.

Tu ne me fais plus peur ;  tu devrais commencer à avoir peur. Ce que tu as fait naître en moi ? La honte. L’angoisse, qui fige le cerveau et paralyse chaque membre, qui fait écumer et pleurer. Qui nous fait ombre de nous-même, ombre de rien.
Puis, la culpabilité. Et le doute, le doute insidieux. Il rentre sous la peau, comme ces vermines qui pondent et font grouiller leurs oeufs sous l’épiderme. Quand on le découvre, il est trop tard. Il ne reste qu’à inciser, profondément, la chair ; voir couler la plaie déchirée et le pus qui s’en échappe. L’infection est latente. La vermine pond autant qu’elle peut, aussi souvent qu’elle peut. Partout où elle peut. C’est la gangrène, c’est le corps qui hurle de douleur, se tord, se brise. C’est une blessure coulante, purulente ; c’est la mort qui s’installe à petits feux.

Tu es cette vermine, et tu as voulu ronger chaque partie de mon corps, chaque instant de mon âme. Mes émotions, mes sentiments, mes envies, mes désirs, mes joies, mes secrets, mes confiances, mes réussites… Tout est devenu poussière entre tes mains; Tu les as serrées l’une contre l’autre si fort que tu as tout broyé. Tu as fait en sorte qu’il ne reste rien de moi.

Alors, tu t’es mis à jouer.
Chat monstrueux, chat aux dents de vampire et aux griffes acérées, chat bavant, chat miteux mais enflé de suffisance et de cruauté, tu m’as donné des coups de pattes, m’assenant ce que tu as fait passé auprès de tous, de tous ceux qui t’entendaient, pour la Vérité. Tu as fait de moi un portrait si laid, si immonde, que j’en vomissais en te lisant, en découvrant chaque jour un peu plus à quel point tu me trainais dans la boue. Dans ta boue, sale cochon que tu es.
Chaque fois je relevais la tête ; et face à mon visage se dressait celui de la Justice, habillée de noir et les yeux bandés, les oreilles bouchées, refusant d’entendre l’appel étouffé d’une femme brisée, d’une mère écrasée. Chaque fois je dressais le poing, mais chaque fois moins fort, perdant mes forces. Lentement. Comme celui qui s’endort avant de cesser de respirer. Moi, je n’avais pas cette tranquillité ; tu ne me laissais pas dormir.
J’y ai laissé ma santé.

J’y ai laissé mon temps. Et si je n’avais perdu que mon temps…

Toujours sans rien dire ; plus personne n’écoutait.

Je t’ai presque cru. Tu as presque gagné.

Puis, il y a eu ce jour, où tu es allé trop loin. Ce jour, je ne sais plus lequel. J’ai ouvert les yeux. Mes mains n’ont pas tremblé. Je me tenais droite. Je me suis relevée.

Vas-y, crache encore, bave encore, hurle encore, pleure encore. Tu ne cesseras jamais.
Mais je m’en fous. Tu ne me fais plus peur.

C’est à mon tour de parler. C’est à ton tour de trembler.

©Anne-Laure Buffet