Mise en garde : cet article ne se veut pas scientifique mais informatif. Il est destiné à vulgariser une notion afin de permettre au(x) lecteur(s) d’en prendre connaissance et conscience. S’il exprime un schéma de pensées et de comportements, et met en lumière un acte dangereux et criminel, il est surtout fondé sur l’écoute, l’observation en consultation et/ou en groupe et les témoignages reçus.
– Pourquoi tu ne dis rien ? Quand il te pousse à bout, quand il ment, pourquoi tu te tais ?
– Parce que j’ai peur de ce qu’il pourrait faire…
Une personne qui se retrouve victime de violences psychologiques vit dans la peur. La peur de son quotidien, la peur de ce qu’elle connait ; mais aussi la peur de ce qu’elle imagine, anticipe, prévoit. Et ce qu’elle imagine, anticipe, est toujours le pire. Aussi, elle se tait. Elle se contraint au silence pour éviter de se mettre en danger, psychologiquement et physiquement.
Ce que la victime ne peut décrire précisément, mais ce qu’elle pressent, c’est la possibilité d’un passage à l’acte. La possibilité que la situation qu’elle croit pour le moment encore maîtriser, même dans la souffrance, ne se transforme, et ne se transforme à son complet désavantage.
Ce qu’elle pressent, c’est que son agresseur, qui, à l’instant, exerce essentiellement de la violence psychologique, ne supporte pas d’être démasqué, critiqué ou rejeté ; et dans ce cas, qu’il s’en prenne à elle jusqu’à la tuer.
Et la victime a raison.
Une personne qui fait acte de violence psychologique afin de nourrir uniquement son ego, son narcissisme déconstruit souvent depuis l’enfance, une telle personne qui a avancé dans la vie en se sublimant au travers de celles et ceux qu’elle a réussi à duper et manipuler à son seul profit, sans tenir un instant compte des potentielles conséquences sur les autres, une personne, donc, qui n’a aucune compréhension réelle de l’altérité dans la relation, si ce n’est pour mettre l’autre en situation d’objet et s’en servir pour assouvir ses uniques ambitions, ne peut supporter de perdre ce qui lui permet d’exister.
Car sans l’autre, il n’st plus rien. Sans l’autre, l’image construite afin de justifier de sa toute-puissance, de son existence même, s’effondre. Et n’ayant rien d’autre pour exister, il disparaît avec . Ce qu’il ne put supporter.
Le pervers narcissique vit en étant toujours « sur le fil du rasoir ». Il est constamment mis en danger, par lui-même, car il peut à tout instant être découvert. C’est pour cela qu’il isole la victime, construisant un mur réel ou virtuel afin d’éviter les regards extérieurs, et les influences qui lui feraient perdre son emprise.
À la question de la conscience qu’aurait un pervers narcissique de ses actes, il est difficile de répondre, car il faudrait pour cela qu’il ait avant tout conscience des notions de bien et de mal.
En revanche, il est certain que le PN a conscience de l’absolue nécessité qu’il a de l’autre pour pouvoir être lui-même.
S’il l’autre n’est plus, il n’est plus.
Mais ne pouvant s’imputer la responsabilité du départ de l’autre (départ qui est le plus souvent une fuite pour survivre), il va le vivre comme le plus terrible des abandons. Et ne pouvant se reprocher de ne pas savoir vivre sans l’autre, et sans glorifier son self sublime si mal nourri, il va projeter sur l’autre, sur la victime, sa colère. Sa rage.
« Il est maintenant évident que la rage narcissique survient quand le soi ou l’objet déçoivent les aspirations absolues qui font appel à leur fonction – que ce soit pour l’enfant, qui, plus ou moins conformément au stade approprié, reste attaché à la mégalomanie et à l’omnipotence du soi et du soi-objet, ou pour l’adulte, narcissiquement fixé, dont les structures archaïques narcissiques sont restées inchangées, séparées du reste du psychisme en cours de croissance, après que les demandes narcissiques infantiles appropriées au stade ont été traumatiquement frustrées. » Heinz Kohut
C’est ce que devine la victime. Et c’est ce pressentiment qui ne fait que renforcer le sentiment d’être attaché à son bourreau par une chaîne invisible mais terriblement solide et serrée, une chaîne avec un collier étrangleur qui maintient en place, empêche de parler, et empêche même de respirer.
Les victimes qui ont pris la parole face au bourreau, qui ont exprimé leur volonté de partir, de le quitter, de ne plus être dépendante, ont vécu ce raptus(1). face à elle, le bourreau n’est plus le même. Qu’il soit homme ou femme, il est surtout envahi par une rage (2), une fureur que rien ne peut calmer. Il ne voit plus du tout sa victime comme un être humain, mais uniquement comme un objet, et un objet qui le met face au plus grand des dangers : celui de perdre définitivement non seulement tout ce qu’il a acquis pendant des années, mais encore toute crédibilité et tout pouvoir.
ce qui est insupportable et insurmontable.
Les victimes qui décrivent le passage à l’acte parle d’une force inhumaine qui traverse alors le bourreau, et que rien ne semble pouvoir arrêter. Elles décrivent aussi une transformation physique. Ce n’est pas la simple colère qui fait pousser des hurlements, ou encore qui tend les traits du visage ou fait rougir la peau de l’individu énervé.
C’est ce qu’on pourrait appeler un « morphing » un temps réel. Les yeux exorbités, la face transformée par la haine et l’envie de détruire, allant parfois jusqu’à baver… comme si l’image réelle du bourreau reprenait le dessus, et, une fois le masque « social » retiré, seule l’image du monstre subsistait.
La force déployée est surhumaine. Les hommes victimes voient leur compagne, en apparence petite chose fragile, capable de les frapper, de les repousser, de les soulever de terre. Les femmes sont écrasées par la violence, et la force projetée en l’instant.
Et le bourreau ne cessera son geste qu’à condition qu’une force plus importante le domine Ou lorsque l’objet de sa colère, sa victime, ne sera plus.
C’est ce que savent sans pouvoir le verbaliser les victimes de pervers narcissiques.
C’est ce qui les retient de parler.
C’est pour cela qu’il faut les entourer, les écouter, les accompagner. Les aider à préparer leur départ. Dans le silence et le secret.
©Anne-Laure Buffet
(1)Raptus : Impulsion paroxystique à type de décharge explosive, souvent violente, à la limite de l’activité volontaire et du réflexe : agression meurtrière, suicide, automutilation, fuite éperdue.
(2)Rage : état mental le plus extrême du spectre de la colère. Lorsqu’un patient est sujet à la rage, cela se termine lorsque la menace n’est plus oppressante ou que le patient atteint de rage est immobilisé.
WordPress:
J'aime chargement…