C’EST FINI ET BIEN FINI

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« Alors là, j’ai bien compris, on ne m’y reprendra plus. »
« Terminé. C’est terminé. Plus jamais je ne tomberai dans les mains d’un monstre pareil. »
« Au moins, j’ai reçu une bonne leçon. Maintenant je vais me protéger. »

La prise de conscience d’une situation d’emprise s’accompagne, pour beaucoup, de ces affirmations. Outre la colère, la culpabilité, la victime dit avec certitude qu’elle sait. Qu’elle ne retombera jamais dans le piège d’un pervers narcissique, d’un manipulateur, d’une personnalité toxique. Elle se sent protégée et grandit. Elle se sent prête.
Certaines même annoncent avoir désormais un « radar à toxiques », se déclarant capables de les repérer à 500 mètres à la ronde.

Bien.

Mais à quoi est prête la victime d’emprise, qui en prend conscience et avance vers la reconstruction ?

Sait-elle, avant tout, ce qui a permis l’installation de cette relation toxique ? Parfois, de ces relations toxiques… Car plusieurs peuvent se succéder. Parfois dans des contextes très différents. Une victime d’un parent maltraitant peut être consciente de cette maltraitance et l’exprimer. Pour autant, c’est dans son cadre professionnel que va se nouer une nouvelle relation d’emprise. Un parent, libéré de son « monstre quotidien », ne verra cependant pas le piège se refermer sur lui, piège mis en place par son propre enfant. Un adulte se dégageant d’un couple où il serait soumis par son conjoint, ou sa conjointe, va faire preuve d’une extrême prudence. Jusqu’au jour où celui-ci ci sera plus aimable, celle-ci plus avenante.

Il n’est donc pas suffisant de comprendre le mécanisme d’emprise vécue et d’en sortir en y mettant un terme. Il n’est pas suffisant de se faire accompagner pour permettre une reconstruction. Il faut que cette reconstruction s’ancre avec des fondations solides. Et pour cela il faut très souvent aller chercher la cause première ayant permis la mise en place de la relation toxique. Il faut aller chercher la part de soi, et la part de l’autre, qui ont agi en interaction, permettant à l’un des deux interlocuteurs de devenir l’agresseur du second.

« Mais j’étais un enfant… »
Les personnes victimes de relations toxiques, même adultes, sont toujours des enfants. Il n’y a pas à culpabiliser en lisant ces mots. Il y a à se poser une question : quelle part de moi est restée enfant ? Quel enfant ai-je été ? Quel enfant étais-je pour mes parents, pour ma famille ? Quelle place m’a t’on donnée dans une histoire familiale ? Comment ai-je été construit, et par qui ?

Il est frappant de constater que toutes les victimes de personnalités toxiques ont une faille dans leur construction. Une faille qui remonte à l’enfance. N’allez pas chercher à la lecture de ces lignes des signes de mauvais traitements ou de violence. Ce n’est pas toujours le cas.
« Mes parents s’aimaient. Et m’aimaient. Je n’ai manqué de rien.Ni d’amour, ni de temps, ni de protection. »
Peut-être d’une forme de protection tout de même… les parents trop bienveillants, trop présents, faussent la vision du monde de leur enfant. Le mal n’existe pas. Il ne peut pas être. Chacun est digne de confiance. Chacun peut être bon et de bonne foi. Et puis un jour, cet enfant qui, en toute confiance, va aller vers l’autre, ne verra pas que cet autre-là est différent. Dangereux. Car il n’a pas été armé pour.

Chaque histoire appartient à celui ou celle qui la vit. Chaque histoire est particulière et mérite une attention particulière. Toutes les histoires ont un point commun : l’adulte en souffrance souffre des blessures enfantines incomprises et mal soignées, ou mal refermées, de blessures parfois très profondes, ou parfois légères comme une plume, mais qui chatouillent sans cesse, jusqu’à ce que le chatouillement devienne insupportable.

©Anne-Laure Buffet

CONTRÔLER SA COLÈRE

dormeuse assassinée

Cent fois de suite que vous le (la) regardez, avec cette envie de lui casser une assiette sur la tête. De lui jeter au visage ce qui vous passe sous la main. De hurler, de le (la) secouer comme un poirier. Vous rêvez de le (la) pousser dans l’escalier, vous imaginez des poisons, vous espérez le (la) voir souffrir, le (la) voir crever. Pas la peine de mâcher ses mots. La victime de PN passe toujours par cette phase, celle qui montre qu’elle est arrivée à saturation. Son cerveau s’échappe un instant ; elle se défoule, en pensée, en concevant des plans pour supprimer son bourreau. Elle veut le voir disparaître, mais avant, elle veut le voir souffrir comme elle a souffert.

C’est normal. C’est salutaire. Votre esprit a ainsi sa « soupape de sécurité » ; il vous envoie un message : vous avez assez enduré, assez souffert, il faut que cela cesse.

C’est lorsque ces signaux commencent à se répéter, lorsque la montée de colère, et de violence, se fait sentir, que la victime commence sa « prise de conscience ». Il va lui falloir agir. Elle sait qu’elle ne peut plus supporter plus. Mais comment faire pour stopper cette machine infernale et retrouver sa liberté ? C’est une reconquête de soi, de la vie. C’est un combat à mener, car souvent la victime se retrouve seule, et ne sait pas vers qui se tourner ni comment se faire aider.
Mais c’est possible. Beaucoup s’en sortent.

Parfois, cependant, la victime « craque ». D’une personne douce, aimable, aimante, bienveillante, patiente, elle change en un instant, quand elle n’en peut plus; Et dans son geste, dans sa claque, dans les coups qu’elle va donner, elle y met toute sa force et tout son désespoir.
Et ça réjouit le bourreau.
Il a une nouvelle prise. Ainsi, il avait raison, elle est violente. Ainsi, il le savait, elle peut être dangereuse. Ainsi, il l’avait compris, elle est malade, et refuse de se soigner. Il a maintenant toute latitude pour vous accuser. Pour faire constater les coups, pour constituer un dossier. Pour aller pleurer sur la première épaule compatissante. Il ira même plus loin dans le double jeu : on l’entendra dire que c’est terrible, mais ce n’est pas de votre faute, vous êtes malade, il ne faut rien faire contre vous. Et dans le même temps, il ira porter plainte. Votre entourage vous fuit d’autant plus, se mettant de son côté en vous isolant. La justice se tourne contre vous.
Fin du match; Le bourreau a gagné.

Facile à dire, moins facile à faire, pourtant vital : retenir les coups que l’on veut donner. Dénoncer les premiers reçus. Ne pas avoir honte d’en parler. Ne pas avoir honte de dire que vous aussi vous voudriez frapper. C’est légitime. C’est humain.
Chaque mot plus haut que l’autre, chaque colère, chaque geste d’énervement, ou plus, que vous portez contre votre bourreau, il le retourne contre vous. Immédiatement. Et plus tard aussi, le gardant en réserve pour mieux vous abattre.
Donnez-lui le moins de prise possible. Montrez-vous le plus imperméable possible. Défoulez-vous autrement, dans le sport, dans la cuisine, devant la télé, sur un jeu vidéo, en chantant… Trouvez votre échappatoire qui vous permet quelques instants de ne plus l’entendre et de ne penser à rien.

Accrochez-vous. La violence à laquelle il vous pousse, il l’attend. Il la guette. Elle vous soulagera un instant. Pour se retourner contre vous ensuite.

©Anne-Laure Buffet