L’INALIÉNABLE

epouvantail

Un témoignage reçu sous forme de fiction.
Merci à elle.

« Un jour de février, d’elle, il ne resta rien. Juste une femme en apparence, une coquille vide.

L’ayant dévorée toute entière, il la chassa de leur maison, il lui interdit les lieux où ils avaient vécu ensemble, il traça d’elle, à leur amis communs, un portrait tel qu’ils lui fermèrent leur porte.

Et parce qu’il ne la voulait plus, elle disparut. Elle devint comme une usine désaffectée, les mécanismes appris tournaient encore mais produisaient à vide ; s’accumulaient les gestes inutiles : les gestes d’amour sans amour, les draps changés pour personne, les légumes épluchés pour personne et les terribles chariots de supermarché où se perd la nourriture des solitaires : une soupe en sachet, trois tranches de de jambon sous cellophane, une pomme…

A trop disparaître, l’on meurt. Il y eût donc tout un hiver où elle fut morte.

Mais au printemps suivant, arrivant de très loin, envoyé par l’enfant magique qu’elle était avant de la connaître, revint timidement le désir d’écrire. Revenant à la vie, elle fut d’abord une main, une main qui traçait des mots, des mots qui se firent chair et qui peu à peu la remplirent. Redevenue dense, compacte et neuve comme un nouveau-né, elle recommença à rire.

De cette graine d’elle qu’il n’avait pu détruire parce qu’il ne l’avait pas trouvée, naquit tout un monde qu’il ne pouvait appréhender : bien plus haut que lui, hors d’atteinte…

Alors, au milieu du jardin suspendu qu’elle avait fait éclore, elle fit de lui un épouvantail dont les oiseaux se moquent. »

A.M L

NOUVEAU TÉMOIGNAGE

Les noms sont supprimés de ce témoignage afin de préserver l’anonymat de celui, ou celle (…) qui me l’a adressé. 

 

Notre fille vient de m’appeler au secours car tu refuses de t’intéresser à sa scolarité musicale et de lui acheter les cordes nécessaires à son instrument.
A l’inverse de ce que tu lui déclares, sa scolarité est de ta responsabilité cela est indéniable :
1°- Tu l’as inscrite au Conservatoire;
2°- Tu perçois pour nos enfants une pension d’éducation et tu en as la domiciliation;
3°- Le fait que j’assume seul l’achat de son instrument te fait économiser 300€ par an. Tu trouveras bien 100€ pour remplacer les cordes qu’il est nécessaire de remplacer et même avoir des cordes de rechange.
Evidemment si tu te dépassée et incapable d’assumer la domiciliation de nos enfants et ses obligations, il te suffit d’aller voir un JAF pour le mentionner. J’assumerai, dans l’intérêt de nos enfants, au quotidien mon rôle de père, comme je le réclame depuis toujours.

LE « BON PARENT »

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Demandez à un enfant lequel de ses deux parents il préfère… Le choix est impossible.
Il se doit d’aimer autant son père que sa mère. Il se doit le respect. Il se doit de ne pas avoir de préférence.

Vient l’heure de la séparation. Dans un monde idéal, pour l’enfant, il pourrait voir autant l’un et l’autre de ses deux parents, à sa guise, et en fonction de son envie, de ses attentes, de son humeur.

Dans un monde un peu moins idéal, il doit se soumettre aux décisions d’adultes. Non seulement ceux dont il descend, mais également d’avocats, de juges, qui ne connaissent de son quotidien que les lignes écrites sur le dossier. Si les parents ont pu se mettre d’accord « dans l’intérêt de l’enfant », il n’est peut-être pas heureux de cet accord. Mais il le vit sans supporter un conflit. Si les parents ne sont pas d’accord, le juge tranche… et l’enfant supporte cette décision à laquelle il n’a pas pris part, et souvent sans pouvoir donner son avis. On sait que les enfants peuvent être entendus, la loi précisant que c’est à partir de l’âge du discernement. Encore faut-il pouvoir discerner si l’enfant est justement capable de discernement…

Dans un monde encore moins idéal, il devient l’objet d’une guerre. Les deux parents s’arrachent cet enfant qui devient autant sujet de discorde qu’une télévision, une pile d’assiettes ou une douzaine de verres. Sans y faire attention, pour pouvoir « l’avoir » avec eux, et qu’il ne soit pas « chez l’autre », ils vont se battre. Parfois, tous les moyens sont bons. Ils oublient seulement qu’en se jetant les assiettes à la tête, on les casse, mais que ce que l’on casse dans la tête d’un enfant ne se voit pas, et peut être bien long à réparer.

Dans le monde du pervers narcissique, l’enfant devient objet. Il est chosifié, comme l’est la victime du PN. Il est une arme, une source de conflit, de reproches, de critiques, de chantage. Tout ce que la victime entreprendra pour son enfant sera décortiqué, passé à la loupe, examiné au plus près. La moindre erreur, la plus petite faille, le premier rhume, la mauvaise note qui surgit du bulletin, et l’accablement recommence. L’enfant devient aussi victime que la victime elle-même. C’est un dommage collatéral inévitable.
Le pervers narcissique va le chosifier d’autant plus qu’il reportera toutes ses tentatives de séduction sur l’enfant. Blâmant encore et toujours l’autre parent, qui ne saura plus se comporter naturellement avec son enfant de peur du jugement inévitable, le PN va se montrer généreux, à l’écoute, attentionné avec sa progéniture. Aux yeux de tous, il passera alors pour le bon parent. Celui qui prend les décisions nécessaires et justes, celui qui sourit, celui qui organise, celui qui comprend… Pendant ce temps, la victime tentera de se débrouiller avec ses propres armes, cherchant à faire au mieux, n’osant pas, en faisant trop, attendant des réponses aux demandes qu’elle peut formuler – réponses qui viennent trop tard, ou jamais. Au mieux, elle sera vue comme une pauvre chose trop fragilisée par sa séparation. Au pire, elle fera l’objet des critiques de son entourage – et ce d’autant plus qu’elle sera souvent à l’initiative de la séparation. « Non seulement elle a eu ce qu’elle voulait, mais elle n’est même pas capable d’assumer ses gosses…! »

Et l’enfant devient une balle de tennis, renvoyée de l’un à l’autre de revers en smash. Comme une balle de tennis, il se déforme. Comme une balle de tennis, il prend des coups. Comme elle, il doit apprendre à rebondir, ou à s’écraser. Comme elle, il s’use. S’abîme.
Mais une balle de tennis, lorsqu’elle est trop usée, on peut la changer. Pas un enfant. Le PN s’en moque, tant que l’enfant nourrit son intérêt. 

©Anne-Laure Buffet

DOUBLE CONTRAINTE ET INJONCTION PARADOXALE

On nomme double contrainte (double-bind) une paire d’injonctions paradoxales consistant en ordres explicites ou implicites intimés à quelqu’un qui ne peut en satisfaire un sans violer l’autre.

Cette notion a été découverte par l’Ecole de Palo Alto et Gregory Bateson.

Par exemple, celui cité par Bateson de la mère balinaise, qui dit à son fils :

« Tu ne m’embrasses pas ? » et qui se raidit quand celui-ci vient lui faire un câlin. Or, comme on sait que le non-verbal domine toujours le verbal, cette mère dit à son fils à quel point elle ne l’aime pas.

En matière de manipulation, les piliers principaux de la communication perverse sont confusion, induction, culpabilisation. En fait le mot « communication »  est  particulièrement mal adapté puisqu’il s’agit en fait de ne surtout pas communiquer.

Son but : affaiblir l’autre, le faire douter de lui, de ses pensées et de ses affects. La victime va y perdre le sentiment de son identité. Puisqu’il s’agit à la fois d’éviter le conflit direct avec elle, et de l’amener à une totale docilité, elle doit  être privée tant de son sens critique que de sa capacité à se rebeller. Alors seulement il sera possible de l’attaquer pour la mettre à sa disposition.

To bind (bound) signifie « coller », « accrocher » à deux ordres impossibles à exécuter avec un troisième ordre qui interdit la désobéissance et tout commentaire sur l’absurdité de cette situation d’ordre et de contre-ordre dans l’unité de temps et de lieu. Sans cette troisième contrainte, ce ne serait qu’un simple dilemme, avec une impossibilité de décider plus-ou-moins grande suivant l’intensité des attracteurs.

Dans la double contrainte, les instructions sont confuses et contradictoires, et interdites de parole. Cette situaion peut se produire de parent à enfant, mais également entre adultes. Quoiqu’il fassen celui a qui s’adresse la double contrainte n’a pas le droit de faire remarquer les contradictions. Il est réduit à l’impuissance et au renfermement.

La double contrainte existe seulement dans une relation d’autorité qui ordonne un choix impossible et qui interdit tout commentaire sur l’absurdité de la situation. Dans une situation d’indécidabilité, le dilemme est une nécessité conjointe à une impossibilité de choisir (comme par exemple dans le Cid de Corneille), tandis que l’injonction paradoxale est une obligation, un ordre, de choisir.

Pour illustrer la double contrainte, on cite souvent l’histoire de cette mère qui offre à son fils 2 cravates, l’une bleue, l’autre rouge. Pour recevoir sa mère quelque temps plus tard, le fils va mettre la cravate rouge ce qui lui vaudra d’entendre « Tu n’aimes pas la cravate bleue ! ». Le week-end suivant, pour lui faire plaisir, il met la cravate bleue et sa mère lui dit « Tu n’aimes donc pas la cravate rouge ! ». Il est donc toujours « perdant »

L’injonction paradoxale est bien illustrée par l’ordre « sois spontané(e) », où devenant spontané en obéissant à un ordre, l’individu ne peut pas être spontané.

La capacité à se sortir d’une double contrainte dépend bien évidemment de l’âge et des ressources personnelles pour s’en sortir.

Selon G. Bateson (école de palo Alto), la conséquence positive de la double contrainte est d’obliger l’individu à développer une « double perspective créative ».

En clair, pour s’en sortir, l’individu est invité à :

  1. Repérer la double contrainte, en prendre conscience.
  2. Métacommuniquer et recadrer, autrement dit, communiquer sur la communication en dévoilant les non-dits, en relisant la situation à un niveau différent. Par exemple, communiquer sur l’absurdité d’une demande peut être une façon de la dépasser.
  3. Adopter un comportement différent : oser l’humour, la métaphore, la créativité, la spontanéité, s’impliquer, oser se révéler, oser être qui l’on est, faire différemment plutôt que davantage, etc… C’est une véritable prise de risque identitaire qui encourage à être créatif plutôt que réactif.

Pour en revenir à l’histoire des cravates, cela pourrait consister à dire« Merci maman, tu viens de m’apprendre à être original car je vais porter désormais 2 cravates » (comme l’évoque Serge Villaverde).

Tous les deux, pourraient ainsi rire et prendre du recul par rapport à l’absurdité de la situation. Pourraient… car l’humour et l’ironie se marient mal avec le manipulateur qui inflige la double contrainte.

©Anne-Laure Buffet