QUI TÉMOIGNERA À MA PLACE SI JE NE LE FAIS PAS ?

Bonjour,

Je voulais juste vous envoyer un message de reconnaissance pour les comptes rendus (compte-rendus adressés suite aux groupes de parole). Cela fait beaucoup progresser et l’on se sent moins seul, même sans avoir pu y participer. C’est courageux de votre part je trouve. Bien sûr, tout est à lire avec grande prudence, et à cet égard, vous avez une rédaction juste : non édulcorée dans le politiquement correct / non dramatisée.

Les émotions, si nombreuses, parasites et difficiles à canaliser, vous en tenez compte, mais sans les nourrir: c’est libérateur! On se sent entendu et compris, mais pas identifié à sa souffrance.
Évidemment, tout cela est pour vous un pensum, mais pour moi une nouveauté!
Il y a des réflexions de bon sens et vous n’imaginez pas comme cela soulage! Par exemple sur le déni parental et les prétendus syndromes en vogue. Le bon sens n’est pas commun, pas forcément l’apanage des JAF non plus…

Quand on est enfermé dans la toile que l’autre a tissée pendant des années, une toile bien reluisante et d’apparence sociale irréprochable; qu’il faut lutter pour démontrer que tout ceci est du vent, que c’est vous qui avez joué le rôle de fusible pour que l’univers des enfants soit intact, qu’il faut se ravaler sa propre bêtise (vis à vis de soi, vis à vis de ceux à qui l’on veut démontrer tout cela) quand on prend conscience qu’avec cette stratégie, c’est VOUS-MêMES qui lui avez fourni les moyens de sa brillante et indémontable image!! Quelle crédibilité peut-on avoir quand on explique cela? Qui peut croire que vous avez sciemment choisi de vous écraser pendant des années, par amour au début (ou culpabilité d’ailleurs…), puis devoir conjugal, puis devoir familial, toujours dans l’espoir d’une prise de conscience, puis par protection, pour attendre ad minima que les enfants grandissent, et gagner ainsi en sécurité pour « après la séparation » (car plus ils sont grands, pense-t-on, plus ils seront capables de se défendre, d’alerter en cas de problème etc…).

Quand on est enfermé dans ce système, on a besoin de savoir que des gens comprennent de quoi l’on parle, que le bon sens existe et que c’est lui qui guide pour agir dans l’intérêt des enfants.

Et cela donne du courage, pour faire ce que l’on aurait dû faire des années avant : le laisser agir seul, même si l’on sait que les enfants en pâtiront, pour qu’enfin tout se voit! Ainsi, sacrifier des intérêts immédiats des enfants, pour obtenir une décision judiciaire qui impose un cadre (ma fille cadette a 8 ans, j’ai 10 ans à protéger!) que l’on a pas été soi-même capable de maintenir vaille que vaille, qui impose des limites à quelqu’un qui n’en connaît aucune, sauf celles imposées par l’image qu’il a de lui-même et qu’il veut étaler (car donner n’est pas un terme approprié). Un cadre qui impose des devoirs minimums de père, avant d’accorder aveuglement des droits. (Qui aujourd’hui dit que l’on doit être digne des droits que l’on prétend avoir? Qui comprend la subtilité entre dénier ses droits à un père et alerter sur son incapacité à les assumer vraiment?)

Bien sûr, je le précise, pour le moment, aucune violence physique n’a été mise en jeu. Je parle de protection psychologique pour mes enfants. La différence n’est pas dans la gravité des souffrances et des conséquences, mais dans le déploiement éminemment insidieux du mal dans le temps.
Le mal physique est soudain, même s’il est réitéré, descriptible car matérialisé, c’est un acte. Il peut être refoulé mais par nature, il est tout de même mémorisable (je ne sais trop comment exprimer cela sans caricaturer).
Le mal psychologique s’installe dans la durée, car il y a tout un travail de sape diffuse qui précède la mise à mort; il est extrêmement difficile à détecter, à décrire, à caractériser. On ne peut pas croire qu’on est dans le vrai en trouvant l’autre inhumain. On croit qu’on se trompe, qu’on est pas assez affectivement autonome etc… Et les paroles et les petits évènements ou non évènements souvent s’effacent de la mémoire. C’est une influence, un fléchissement insensible de la volonté et de la conscience. C’est comme une musique, morcelée note par note, dont on diffuse chaque note avec de longs silences, puis on commence à se dire que ces notes-là, on les a déjà entendues; au fil des années on finit par comprendre que c’est une partition, et quand on tente de se révolter la partition est jouée de plus en plus vite jusqu’à assourdir. (moralité : CVP devrait être sponsorisé par Quillès; un peu de sarcasme, c’est ma distance à moi…)

Ce n’est qu’une fois le fil complètement déroulé que j’ai obtenu la certitude (chancelante) que oui, c’était bien cela pendant toutes ces années, je n’avais pas fabulé, ce n’est pas moi qu’il fallait remettre en cause toujours et toujours (en tous cas pas de cette façon!)… Qu’il ne s’agissait pas d’un manque de compassion et de compréhension de ma part, il ne s’agissait pas de prendre de la distance entre gens rationnels, vis à vis de comportements, plus ou moins excusables, plus au moins « curables », mais que j’avais bien affaires à une structure, irrémédiable, inhumaine et qui me dépassait totalement. Car je lui avait donné toutes les clés pour me détruire et que, oui, il les avait sciemment utilisées (…ce que sans aucun doute ma névrose réclamait inconsciemment!! ça, je n’en ai pris conscience que très tard, trop tard).

Mais je n’arrive toujours pas à vraiment concevoir ce qu’est une personne sans affect, sans conscience morale de ce fait. C’est en réalisant que j’avais fini par être d’accord avec ma propre mise à mort, la tenant pour méritée et pour seule issue, et en constatant in extremis (l’intérêt des enfants joue indéniablement) que tout est totalement incohérent avec ce que je voulais au fond de moi (vivre et faire vivre), que j’ai accepté. Je ne voulais pas (j’étais empêchée?) accepter l’inacceptable: d’avoir raté ma vie et celle de mes filles. Il y a de l’orgueil là-dedans n’est-ce pas? Car personne ne m’a mis un fusil sur la tempe pour me marier avec ce type. C’est bien moi qui ai choisi de ne pas tout faire exploser. Je me sentais piégée, sincèrement, mais l’esclave choisit d’obéir… Ma vraie responsabilité et culpabilité était là, de m’être obstinée à croire que ce pouvait être remédié, ne pas avoir sorti la tête de l’eau en disant obstinément que je n’avais aucun point d’appui pour cela, vouloir à tout prix que ce mariage soit ce que je voulais qu’il soit, et que mon point d’appui, c’était mon mari, vouloir contre toute évidence que ce mari idéal soit ce type.

Il est difficile de faire le tri des solutions qu’on a rationnellement adoptées de celles influencées par un inconscient malade (car franchment pour tenir autant d’années avec un type pareil, il faut avoir de grosses failles…).
La lecture des comptes rendu aide énormément, par la diversité de points de vue et d’expériences, par la description du cheminement des participants. Ce partage, car là c’est du partage, aide énormément à une saine prise de distance, la plus objective possible, la plus déculpabilisée possible. C’est une petite bulle de bienveillance dans un univers de brutalité.

Je voulais juste vous dire merci et je vous ponds un roman! Mais c’est un témoignage du bien fondé de votre démarche. Bien sûr, vous ne l’auriez pas entamée, si vous n’en aviez été persuadé! Ce n’est pas de l’ordre de l’encouragement, ou alors en direction de gens comme moi. C’est bon en soi de dire les choses. Personne ne peut faire votre travail à votre place, mais qui témoignera à ma place si je ne le fais pas?

Merci.

Merci à vous pour ce témoignage…

©Anne-Laure Buffet

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