En février 2013, lorsque j’ai ouvert ce blog, il s’appelait « Harcèlement moral et perversion narcissique ».
Son objet était de témoigner, non pas de ma vie , mais de la vie de toutes ces personnes sous emprise, qui me contactent pour un accompagnement chaque jour. Personnes contraintes dans leurs faits, leurs gestes, leurs pensées, leur quotidien. Qui vivent isolées, au moins psychiquement, de celles et ceux dont elles étaient proches. Qui connaissent la peur, le doute, la culpabilité, la honte, le « deuil » d’une relation à affronter, la crainte du regard de l’autre, des autres.
Les commentaires, les partages d’expériences, les demandes de conseils ont été chaque jour plus nombreux.
Les appels au secours tout autant.
Les remarques, les constats : « Vous dites ce que je ressens, ce que je ne lis pas ailleurs. Vos mots, ce sont mes mots… » sont devenus quotidiens.
Deux mois après l’arrivée du blog sur la toile, je me suis rendue à l’évidence : la souffrance sourde, tue, dissimulée, la violence quotidienne, sournoise, insidieuse, la destruction d’une personne, d’une vie, sont bien plus fréquentes, bien plus cachées dans notre société que je ne voulais le croire. La protection accordée à ces personnes « victimes », le soutien, l’écoute qui leur sont apportés sont bien maigres, bien faibles.
Au-delà d’un quotidien insupportable – au sens propre – il y a ce sentiment de portes qui se ferment, de murs qui se dressent. D’incompréhension et de rejet.
Un autre constat s’est imposé aussi vite. La souffrance n’a pas de sexe. Les appels à l’aide ne viennent pas de femmes. Mais également d’hommes, d’enfants, de parents, de proches. Parfois même de voisins, réduits à l’impuissance derrière un mur ou une porte, et pourtant conscients que de l’autre côté de cette porte, de ce mur, un drame se joue chaque jour.
Les commentaires sur la page ont encore plus éclairé ce constat : nombreux sont les hommes qui y interviennent, et je les en remercie. Mais qui interviennent justement parce qu’ils ne trouvent ailleurs comme réponse, comme soutien, qu’un regard et une écoute qu’on pourrait qualifier de « sexiste ».
J’ai fait encore un constat : le terme « pervers narcissique » se retrouve partout. Si ce n’était si affreux, si dramatique, ça deviendrait presque « chic » et « parisien », de connaître un pervers narcissique. De pouvoir glisser dans le cours d’une conversation, d’un dîner, entre la poire et le fromage : « Ah tiens, moi aussi je connais un (une) PN. Ohlala, c’est terrible quand même quand on y pense, à ces pauvres gens qui subissent ça… ».
Oui, c’est terrible. Car « ces pauvres gens qui subissent ça » ne sont plus entendus. Rarement écoutés. Très peu crus. « Ah, vous aussi, c’est votre cas… Ça doit pas être facile… ». Ne voulant pas d’une vulgarisation gênante, empêchant les victimes d’être entendues, je parle de personnalité toxique. Je refuse les amalgames. Je m’intéresse à celui, ou celle, en souffrance.
Non. Ce n’est pas facile du tout. Le silence. Le dénigrement. Le regard accusateur, que l’on sent même lorsque la personnalité toxique n’est pas là. La gorge qui se serre, les jambes qui tremblent, au moindre geste, au moindre bruit différent. Tout devient suspect. Tout est angoissant. C’est le sentiment de souffrir de claustrophobie même en plein air. D’étouffer devant une fenêtre grande ouverte. C’est la peur de parler, la crainte d’être jugé(e). En permanence. L’envie de mourir, de disparaître, de ne pas exister, de ne jamais être né(e). Et l’angoisse latente… Mes enfants seront-ils pareils ? Comment les protéger ? Comment me protéger ?
De tout cela est née l’association CVP – Contre la Violence Psychologique. Et le nom du blog a changé.
Pour continuer le travail d’information, d’explication, de dénonciation. Pour être une lumière, un soutien, une aide, une présence. Sans préjuger du sexe, de l’âge… des victimes.
Pour accompagner ces victimes. Pour leur permettre de redevenir « elles », et non des objets de plaisir pour une personnalité toxique, avide de s’en nourrir et de détruire. Pour les amener à regarder devant. À cicatriser, un peu. Pour les guider vers une solution.
Au sein de CVP, nous ne nous battons pas « contre » les personnalités toxiques. Nous informons sur des comportements, des faits, des caractéristiques. Nous ne sommes pas en guerre.
Nous agissons « pour » les victimes. Nous ne réagissons pas dans l’agressivité, l’accusation, la provocation. Nous agissons avec bienveillance.
Toutes les situations que nous rencontrons sont graves. Nous ne considérons pas qu’il y a plus ou moins dramatique. Il peut y avoir plus ou moins urgent. Mais lorsque des vies, physiquement, ou psychiquement, sont en danger, comment établir une échelle de valeur, de notation, et à quoi servirait-elle ?
Ce n’est pas notre philosophie.
La seule que nous ayons, c’est d’entendre chaque victime, et essayer de l’aider au mieux.
CVP, c’est aujourd’hui des hommes et des femmes qui réfléchissent et travaillent ensemble. Avocats, magistrats, psychologues, psychomotriciens, bénévoles… Avant d’être nous-même des hommes ou des femmes, nous sommes à l’écoute de celui, de celle, qui en manifeste le besoin.
©Anne-Laure Buffet – Juriste – Écoute et Accompagnement de victimes