LE SYNDROME DE LA FÉE CLOCHETTE

« Les fées adorent danser, voyez-vous ; et bien qu’elles oublient les pas, quand elles sont tristes, elles ont tôt fait de les retrouver quand elles redeviennent gaies. C’est la raison pour laquelle les fées ne disent jamais : « Nous nous sentons heureuses », mais : « Nous avons envie de danser ». Je suis sûr que vous avez remarqué que cela veut dire presque la même chose. La joie vous descend très facilement dans les pieds. »

Peter Pan, Sir J.-M. Barrie

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Après le syndrome de Peter Pan, et celui de Wendy, il apparaît incontournable d’évoquer le troisième, l’inséparable, le collatéral des précédents : le syndrome de la Fée Clochette. On le doit à Sylvie Tenenbaum, thérapeute, qui a identifié une nouvelle typologie « représentative de quantité de jeunes femmes actuelles », ainsi qu’indiqué en 4eme de couverture de son livre éponyme : Le syndrome de la fée Clochette, ces femmes qui font du mal et se font mal (Le Moment éditeur).

Et elle définit ainsi ces Clochette modernes : « Aussi charmante qu’insupportable, aussi enchanteresse qu’ensorceleuse, agressive et jalouse. Aussi intelligente que manipulatrice et cruelle. »

Petit retour en arrière, sur la Clochette la plus connue, la plus populaire pour tous : celle de Walt Disney. Clochette suit partout Peter. Où qu’il aille. Quoiqu’il fasse. Elle ne dit rien, elle secoue ses ailes, elle boude, elle fait la moue, elle ne répond à ses demandes que si celles-ci lui conviennent, elle le punit, elle s’éloigne et revient. Elle se fait enfermer et se cogne entre les parois de cette lanterne qui la maintient prisonnière (la lumière serait-elle un piège ?) Elle se montre d’une jalousie féroce, elle complote, elle s’en veut – mais jamais longtemps. Elle se montre espiègle et prépare des tours pendables. Elle pleure, aussi, elle se replie sur elle-même, et elle s’éteint lorsqu’elle ne fait plus rire.

« Chaque fois qu’un enfant dit: «Je ne crois pas aux fées», il y a quelque part une petite fée qui meurt. » (J.-M. Barrie)

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Clochette est donc absolument insupportable. Capricieuse, orgueilleuse et colérique. Exigeante et autoritaire. Pour autant, elle est charmante, séduisante, séductrice, mutine et coquine. Et Clochette (celle du conte et non celle du syndrome) en souffre. Car elle sait que non seulement elle a besoin de Peter Pan pour exister, qu’elle ne peut vivre sans lui et sa fantaisie, mais qu’elle est tout de même condamnée à être abandonnée par le même Peter s’il lui prenait l’idée de grandir, de mûrir. Aussi, et sans en comprendre le sens ou la raison, elle alterne ses sentiments, usant de l’un ou de l’autre, tout comme elle le fait avec ses comportements. Elle agit plus par instinct et impulsion que par réflexion… sa réflexion la menant le plus souvent au calcul stratégique.

Et le corollaire est vite fait. Si elle est stratège pour ses intérêts et seuls intérêts, la voilà manipulatrice. Le cercle se referme. Peter Pan, cet enfant qui ne grandit jamais, a besoin pour se protéger de l’âge adulte de sa Clochette, de sa fée. Elle le guide et veille sur lui, et le maintient dans ce monde imaginaire sans lequel il serait perdu. Quant à Clochette, elle vit dans une relation tout autant faite de dépendance. Si Peter, cet enfant impatient qui semble par instants lui appartenir, la quitte, elle n’est plus rien. Elle disparaît.

Dans ce même monde imaginaire où l’âge adulte est un danger tout autant qu’une crainte – puisqu’il mène aux responsabilités et à la mort – Clochette se sert de ce qu’elle fait le mieux : semer sa poussière d’étoiles et permettre de voler. Elle titille et pinaille et fait des blagues, et les enfants perdus en rient, et Peter applaudit. Quant à l’ego de Clochette, il ne fait que gonfler.

Peter Pan, comme Clochette, ne vivent pas leurs émotions, ne les ressentent pas profondément, et sont même incapables de les nommer.

« Clochette n’était pas totalement mauvaise ou, plutôt, elle était totalement mauvaise à ce moment-là tandis qu’à d’autres, elle était entièrement bonne. Les fées doivent être une chose ou l’autre: elles sont si petites qu’elles ne peuvent malheureusement héberger qu’un sentiment à la fois. » Sir J.-M. Barrie

Qui seraient alors ces femmes de notre monde actuel vivant en souffrant de ce syndrome ?
Si nous ne pouvons vivre sans nous ranger dans des cases au nom prédéfini, que contient celle de la fée Clochette ? En revenant sur ces grands traits de caractère de cette fée de conte, on peut penser à des femmes perfectionnistes, ambitieuses, d’apparence à la fois distante, et séductrices. Qu’on ne peut ni ne doit ignorer, sous peine de subir leurs foudres, et non leurs étoiles, mais qui vont jeter aux yeux de celles et ceux qui les admirent cette poudre qui « fait voler ». Stratagème pour endormir. Et de là à ce qu’un petit malin roublard crée une nouvelle analogie entre cette poudre aux yeux, cette poussière d’étoiles, et une autre poudre bien plus toxique, il n’est pas loin.

Elles sont donc forcément instables, sur le plan affectif. Elles séduisent, charment, ensorcellent, mais sont perpétuellement insatisfaites, courent (ou plutôt volent) derrière un absolu et une perfection qui, comme tout absolu et toute perfection, sont toujours inatteignables.

Et si elles se perdent autant dans cette quête d’absolu, c’est bien pour ne pas penser. Ni à elles, ni à leur histoire, ni à leur passé (bien sûr douloureux et pas réglé), ni à cette peur de ne plus être aimée, de ne plus être désirée.

Elles vont apparaître (ou laisser comme souvenir) comme des femmes insensibles, tyranniques, despotiques, instables, insensibles et jalouses. Le tableau manque de charme, puisque le charme est contenu dans cette illusion qu’elles projettent mais qui demeure bien loin de leur réalité.

Et bien sûr, elles sont inconscientes de tout cela. Si elles en souffrent, elles en projettent la cause sur les autres. Sur ce Peter qu’elles ont croisé, mais qui, lui, a décidé devenir un homme. Sur cette Wendy qui a su amadouer Peter, s’en occuper, et le retenir.
Certains pourraient, par une déduction d’une rapidité extrême, les voir comme des Amazones. Sauf qu’elles ne cherchent pas l’homme pour se reproduire ou combattre, elles le quêtent pour exister, tout en le détestant d’exister lui aussi.

Bien évidemment, c’est dans leur enfance que la cause de ce comportement sera cherchée. Une enfance où l’on croisera forcément un parent « toxique », une place « à part » d’enfant mal aimé ou moins aimé, une violence psychique ou physique refoulée, un besoin de se venger pour exister, une peur de perdre et d’être abandonnée, un besoin d’exister et d’être reconnue, une dissociation du moi… et que sais-je encore.

L’apparence prime, le décor l’emporte sur la réalité. Ce culte esthétique pourrait conduire à une nouvelle comparaison : ces femmes cherchant à être remarquables et remarquées à tout prix se transformeraient peu à peu et sans s’en rendre compte en femme – objet, prête à tous les sacrifices physiques pour peu qu’ils lui apportent le sentiment d’être.

Et au-delà de tout ça demeure une profonde et inévitable colère.

Colère contre tous, colère contre elles-mêmes.

Colère qu’elles contrôlent ou croient contrôler, comme elles imaginent tout contrôler, tout gérer. Ou comme elles le souhaitent, ce qui seraient pour elles tant un moyen de s’affirmer, que de prendre cette fameuse revanche sur la vie dont elles semblent avoir tant besoin.

C’est souvent face à la solitude que la colère se développe. Le désespoir aussi,

A la fois femme – enfant (ou adolescente) car trop immature pour mettre un nom sur ses émotions, pour les appréhender et les affronter, avec un besoin cruel de s’affirmer dans des « Non » répétés à qui mieux-mieux, et à la fois femme méprisante, castratrice, qu’on pourrait dire misandre, ce sont avant tout des personnes en souffrance. Et qui ont besoin d’aide même si elles ne le disent pas ou ne le demandent pas.
Parce que leur confiance en elles est et a été entamée voir interdite. Et que leur moyen de l’exprimer ressort dans cette dépendance affective inavouée et dans cette affirmation brutale d’un moi pas construit et non consolidé.

Il n’est donc absolument ni ludique, ni facétieux ni charmant de se retrouver sous l’étiquette du syndrome de la fée Clochette. De petite fée virevoltante, les femmes ainsi qualifiées deviennent des prédatrices manipulatrices et vengeresses. En s’alliant à une Wendy, on retrouve presque la caractérologie des personnages féminins du film Les diaboliques, de Henri-Georges Clouzot.

Et le risque demeure qu’en lisant rapidement ce type de terminologie, une femme en souffrance continue de se fuir, niant la réalité, ou sombre en dépression, croyant se reconnaître et ne sachant que faire.

Peut-on en guérir ?

Pour en guérir, il faudrait avant tout que ce soit une maladie.
Or, ce n’en n’est pas une, et il faut arrêter de voir et de mettre de la maladie, du pathologique, partout. Les fées Clochette, les Wendy, les Peter Pan ne sont pas malades, ils n’ont pas de troubles psychiatriques. Ils souffrent d’un trouble du comportement, d’un défaut d’estime d soi, d’une personnalité mal construire, d’un dysfonctionnement et d’une inadéquation entre réel, réalité, et vécu.

En revanche, si la lecture inquiète, surprend, rappelle « quelque chose que je connais très bien », elle est alors un signal. Non pas d’un « Mais qu’est-ce qui ne va pas chez moi (ou chez elle) ? » mais d’un « Il existe une solution, une aide, un soutien possible et constructif ». Si une, voir des prise(s) de conscience sont nécessaires, si elles vont être difficiles car génératrices de culpabilité (en soulignant que d’autres ont pu souffrir du fait de ces comportements instables), la construction de la personnalité effective est possible.

La fée Clochette souffre d’une faille. Narcissique, affective, abandonnique… Ce n’est ni en un article ni et encore moins en restant dans la théorie qu’il est possible de la déterminer, puisque nous parlons d’individus, de personnes, d’histoires personnelles et familiales, parfois de transgénérationel. Nous parlons aussi de relations interpersonnelles, d’affect et d’émotions. La personne en souffrance, en demande d’aide – même si elle n’en est pas consciente – doit pouvoir recevoir cette aide, et qu’elle lui soit bénéfique. A elle en tout premier lieu. Il ne s’agit pas de construire un monde individualiste, égoïste, ou chacun agit dans l’indifférence la plus complète et en ne se préoccupant en rien de ce qui l’entoure.

Il s’agit de se confronter, à soi, de se mettre face à son miroir, de chercher à être entendu(e), mais aussi d’entendre.

Alors syndrome de Peter Pan, de Wendy, ou de Clochette, que faut-il en retenir ?

Nous sommes aujourd’hui confrontés, de manière assez générale, à un paradoxe. On peut presque le comparer à cette double injonction qui détruit et est une arme de la violence psychologique. Il faut aller bien – c’est obligé puisque les clés sont distribuées facilement dans un certain nombre de périodiques. Mais si vous allez bien, si vous avez du caractère, si vous vous affirmez, si vous osez dire non ainsi qu’on vous y invite ; ou si encore vous êtes une personne « gentille », empathique, bienveillante ; ou encore, si vous avez un caractère joueur, espiègle… bref, qui que vous soyez, vous risquez d’aller mal si vous ne le vivez pas encore. Vous risquez de vous effondrer si vous ne l’avez pas déjà fait. Vous voilà prévenu.

Aussi, déterminer ce type de syndromes (qui n’ont, il faut encore une fois le répéter, aucune reconnaissance médicale mais reposent sur des analogies typologiques ou comportementales), communiquer sur ces syndromes a le mérite de mettre un nom sur une situation, une relation ou un comportement. Et c’est à la fois tout l’avantage et tout le danger des lectures. Elles sont éclairantes, mais insuffisantes. Elles s’adressent à tous, mais ne résolvent pas une situation. Elles peuvent également induire un autre danger : à défaut de s’y « reconnaître » et de mettre en place une démarche active pour « s’aider, soi », elles autorisent à se concentrer sur l’autre, et de ce fait à déplacer tant le problème que la difficulté. Ce qui maintient la personne en souffrance dans sa souffrance sans lui permettre d’aider qui que ce soit d’autre, puisque ses comportements seront toujours instables, disproportionnés ou inadaptés. Ce qui parfois peut même justifier ce qui sera ressenti comme une absence de progrès, d’évolution : se concentrant uniquement sur « l’autre », la personne en demande d’aide ne fera aucun travail réel sur elle.

Elle sera alors doublement en souffrance, le vivra comme une double peine, et se bloquera dans une forme de déni : y aurait-il tout de même un avantage à ne pas parler de soi, un « profit » à ne pas avancer ? Car la découverte de soi oblige toujours à une rupture : celle avec la personne que l’on était « avant ». Et accepter cette séparation est aussi difficile que salvateur. Accepter ouvre surtout la porte à une réalité : Je n’étais pas (plus) moi, je me retrouve, et je m’aime ainsi. Je suis un(e) humain(e), et non l’étoile que l’autre doit contempler, admirer, ou tenter de décrocher.

« Les étoiles sont très jolies mais elles ne peuvent prendre part à aucune action; elles se contentent de regarder sans fin. C’est une punition qu’on leur a imposée pour quelque chose qu’elles ont fait il y a si longtemps qu’elles-mêmes ne se rappellent plus ce que c’était. »
Sir J.-M. Barrie

©Anne-Laure Buffet

 

LE SILENCE DES VICTIMES (3) – LE PN EXISTE-T-IL ?

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RA : Croyez-vous au pervers narcissique ? 
ALB : Vous me demandez si j’y crois, comme on demande si l’on croit aux esprits, ou aux fantômes. Je ne crois pas au pervers narcissique. Il ne s’agit pas d’y croire. Il s’agit d’affirmer qu’il existe une part de la population, que l’on appelle pervers narcissique depuis que Racamier l’a dénommée ainsi, qui se trouve dysfonctionnelle, destructrice, maltraitante, malveillante. Cette « catégorie » de personnes pour autant que le terme « personne » puisse leur être appliqué, représenterait 2% de la population. Je ne sais pas comment les statistiques sont faites, et je vois mal des enquêtes et sondages possibles : un ou une pervers narcissique ne se reconnaîtra jamais comme tel ; quant aux victimes, elles utilisent aujourd’hui volontiers ce terme, alors que l’on peut être victime de nombreuses personnalités toxiques, aux comportements différents, et qui ne sont pas pour autant des « PN ». Mais l’utilisation médiatique est si forte qu’il est presque impossible de trouver un autre qualificatif. Aussi, « pervers narcissique » rentre dans le langage usuel. J’y reconnais un avantage, c’est d’être moins vulgaire que de traiter qui que ce soit de « salaud ». Mais c’est fausser très souvent une réalité.
En réalité, je crois bien plus aux violences psychologiques, aux victimes de celles-ci, à l’invisibilité des ces violences tout autant qu’à leur terribles conséquences, qu’à la nécessité de se battre pour savoir si le « PN » existe, et si tel individu est PN, ou jaloux, cruel, sociopathe…

RA : Le pervers narcissique serait donc particulier, à distinguer d’autres personnes maltraitantes. 
ALB : Oui. Tout comme un paranoïaque, un jaloux pathologique, un psycho-rigide… Ce sont des personnalités, des syndromes, des névroses ou des psychoses, des comportements différents. Le pervers narcissique « répond » à certains critères. Il met sa victime, quel que soit le contexte, sous emprise, en la dépersonnalisant, en la dénigrant, en la disqualifiant. Il est exempt de tout sentiment, mais il fonctionne sous l’impulsion de la colère et de l’envie. Il est extrêmement patient. Il faut souvent des années pour que la victime comprenne à qui elle a affaire. Il procède par répétition, récurrence, sans pour autant faire preuve de violence verbale ou physique tangible : il est sournois, perfide, insidieux, séducteur, affable, mielleux ; il arrive en « sauveur » dans la vie de sa proie, il se l’accapare, il la grignote lentement, et la laisse à terre, sans qu’elle ne puisse se rendre compte de ce qu’il se passe. Il envie le pouvoir, la puissance. Il agit toujours dans un huis-clos qui isole sa victime et l’empêche à la fois de réaliser, et de communiquer.

RA : Aujourd’hui beaucoup de victimes se disent victimes de PN. Qu’en pensez-vous ? 
ALB : Comme je vous l’ai dit, c’est un terme devenu commun. Ne sachant comment qualifier celui ou celle qui fait preuve de violence psychologique, les victimes parlent de PN. Certaines sont bien victimes de pervers narcissiques, d’autres luttent contre une autre forme de personnalité maltraitante. Ce qui compte pour moi n’est pas tant de qualifier l’agresseur de pervers narcissique, ou d’autre chose. Ce qui compte c’est comment, et jusqu’à quel point, il a été toxique pour sa victime ; et c’est d’accompagner cette victime lorsqu’elle cherche à s’en sortir et se reconstruire. Je ne combats pas bille en tête contre les pervers narcissiques et uniquement eux. Je suis du côté des victimes. Je suis là pour les entendre, les comprendre, les aider à reformuler, à analyser, à se distancier et se détacher de la violence vécue. Je suis là non pour catégoriser qui que ce soit, mais pour permettre à une personne en souffrance de sortir de cette souffrance et reconstruire son identité et sa personnalité.

RA : Si vous deviez remplacer pervers narcissique par un autre terme, que diriez-vous ? 
Le monstre. A l’apparence humaine, sans aucune humanité. Le vampire, qui ne supporte ni les miroirs ni la lumière, qui se nourrit en vidant sa victime de ce qui lui est essentiel. Le tyran mégalomane, sans morale, sans valeur, sans respect si ce n’est pour le pouvoir et la domination.
Mais aussi, le pas-grand-chose. Sans proie, sans victime, sans public, cet individu n’est rien qu’un pantin désarticulé et ridicule, grotesque.
Si nous avons tous besoin de rapports humains pour vivre, nous n’aspirons pas à détruire nos interlocuteurs, nos proches, notre entourage pour être. Le PN n’aspire qu’à cela, la puissance et la destruction.

ÊTRE UNE PERSONNE, ET NON UNE VICTIME

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Une fois de plus je ne peux m’empêcher de constater que les livres, articles, sites, blogs et autres vecteurs de communication et d’information regorgent de textes sur les pervers narcissiques. À tel point que du pervers narcissique « réel », de cette déconstruction du psychisme avérée menant à l’emprise sur un individu et à sa destruction, on en vient à des descriptions parfois très éloignées de la réalité.

Il n’est donc pas inutile de préciser une fois de plus qui ne sera pas de trop que la perversion narcissique n’est pas une pathologie. Elle n’est pas le fait du premier abruti caractériel venu. Elle ne se matérialise pas par quelques insultes et trois ou quatre reproches. Elle procède d’un schéma bien précis, elle possède un objectif bien défini : s’accaparer l’autre, le dépersonnaliser, le mener à sa perte voir à sa mort, psychique, parfois physique. Elle s’inscrit dans le temps en suivant un processus parfaitement établi et implacable. Elle mime le sentiment et l’émotion, mais en est totalement dénuée. Elle n’accepte ni joie, ni plaisir, si sympathie, ni bonheur. Elle n’est motivée que par l’envie, la colère et la jalousie. Elle s’indigne injustement d’un vide bien réel, un vide d’empathie, un vide d’humanité.

Et la victime dans tout cela ?
La victime, celle dont on parle le moins.
Celle à laquelle on s’intéresse le moins.
On guette le monstre et on l’observe, on dénonce ses faits, on crie au scandale devant la difficulté à le démasquer, et à être entendu en justice.
Mais la victime ? La victime, cette personne qui fut repérée, choisie, puis possédée par la personnalité toxique. Qui s’est laissée ferrée sans s’en rendre compte, sans même en avoir la possibilité. Celle qui se blâme d’être à la fois faible, lâche et coupable, alors que ce sont ses forces et sa personnalité qui, bien malgré elle, l’ont menée dans les filets du « bourreau ».

La victime… En la désignant ainsi, la victime est à la fois reconnue et une fois de plus dépersonnalisée, pour être englobée dans un ensemble. La victime, qui se bat pour se sortir de l’emprise et se reconstruire, ne regagne toujours pas son individualité, tant qu’elle est ainsi désignée.

Or la victime a avant tout besoin qu’on lui rende son identité. On ne naît pas victime. On se retrouve victime, à un moment donné, d’une situation qui n’a pas été choisie et que l’on ne peut contrôler. Qu’on ne comprend même pas.
Il est d’autant plus important que leur individualité leur soit rendue.

Si les personnalités toxiques fonctionnent sur le même principe, les victimes sont toutes différentes. Hommes, femmes, enfants, elles portent en elles sans le savoir ce que le toxique va chercher et dont il va vouloir s’emparer. Elles le doivent à leur histoire, leur vécu, leurs expériences passées. Elles le doivent à une histoire familiale, à une transmission au travers des générations. Mais chacune restent UNE, unique.
En consultations, si elles se présentent avec les mêmes souffrances, les mêmes angoisses, les mêmes doutes, il est impossible de leur imposer un schéma de reconstruction type. Ce serait oublier leur individualité, leurs différences, leurs personnalités écrasées et qui ne demandent qu’à revenir au grand jour. Ce serait ignorer QUI elles sont, et les robotiser, une fois de plus.
En consultations, à chaque rendez-vous, je ne m’adresse pas à une victime. Je tiens compte de son vécu et de son histoire, composantes indispensables du cheminement qu’elle entreprend. Mais je m’adresse à Anne, à Brigitte, à Céline, à Denise, à Jean, à Christian, à Michel, à Julien, … Je m’adresse à celle ou celui assis(e) face à moi. Qui baisse la tête et dont le regard a été effacé.
Et je l’amène à donner un vrai sens à sa vie. Celui qui lui appartient.

©Anne-Laure Buffet

ECRASER ENCORE LES VICTIMES…

à qui s'adresser ?

Ce matin, il m’était proposé d’intervenir pendant « Le grand direct de la santé », sur une antenne de radio à forte écoute, sur un sujet bien précis, la paranoïa.

Avant l’émission, il était bien sûr convenu que je ne fais que porter la parole de victimes, de tant et tant de victimes de violence psychologique, qui, écrasées, dénigrées, critiquées et soupçonnées de manière permanente, finissent par douter de tout, se méfier de tout et tout le monde, de toute chose et de chaque instant. Je témoigne pour elles, en leurs noms, elles qui remises en cause à chaque instant sont tenues de rester dans un anonymat tout aussi indifférent que protecteur.

Mais il semble que cela n’était pas du goût de la psychologue en direct sur le plateau. Il eut sans doute fallu que je parle de ces victimes, avant tout de ces êtres humains, comme de véritables paranoïaques. De plus, la psychologue dont je ne donnerai pas ici le nom a bien sûr sauté sur le marronnier journalistique, évoquant instantanément les pervers narcissiques. Gloire à elle qui sans doute connaît parfaitement le sujet ! Gloire à elle qui refuse d’entendre une souffrance lorsqu’elle peut enfin s’exprimer ! Gloire à elle qui, alors que des millions d’auditeurs pouvaient recevoir un message, refuse d’en faire état ; refuse ce qui allait être dit : les victimes en souffrance et convaincues de devenir paranoïaques ne peuvent pas l’être.

Car la paranoïa est une véritable pathologie touchant un pourcentage plus que restreint de la population (2 à 3%). La paranoïa est une pathologie grave et pour laquelle le malade ne demande jamais de traitement. Tout simplement parce qu’il n’est pas malade (selon lui). Il est victime d’un grand complot. Mais il n’est pas malade. Tout simplement parce que la paranoïa atteint des personnes rigides, procédurières, sans sentiment, sans empathie.

Ce que les victimes ne sont pas.

Les victimes sont en souffrance de l’amour qu’elles ont donné, de l’attention qu’elles ont portée, de la vie qu’elles ont partagée
. Autant de choses bafouées et détruites.

Mesdames, messieurs les journalistes, soyez grand public. Soyez-le intelligemment. Ne rejetez pas la parole. Ne rejetez pas l’écoute. Ne restez pas assis derrière vos micros à parler de vous.

Commencez à parler vraiment d’elles, d’eux. De personnes qui ont le droit d’être reconnues et respectées.

Comme me l’a écrit une victime : Nier que les sujets étaient liés entre les victimes et les vrais paranoïaques, « c’est une nouvelle fois écraser les victimes ».

©Anne-Laure Buffet

ÉTAT DE SIDÉRATION – DÉFINITION

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Un traumatisme psychique est un évènement qui par sa violence et sa soudaineté, entraîne un afflux d’excitation suffisant à mettre en échec les mécanismes de défense habituellement efficaces, le traumatisme produit souvent un état de sidération et entraîne à plus ou moins long terme une désorganisation dans l’économie psychique.

La sidération est un état de stupeur émotive dans lequel le sujet, figé, inerte, donne l’impression d’une perte de connaissance ou réalise un aspect catatonique par son importante rigidité, voire pseudoparkinsonien du fait des tremblements associés.

La sidération est un phénomène psychologique qui a toujours existé. Elle agit comme un arrêt du temps qui fige la personne dans une blessure psychologique traumatique, au point que les émotions semblent pratiquement absentes. La culpabilité est irrationnelle et une « sidération » qui enferment dans le silence et l’incapacité de dire l’épouvante.

La sidération est un blocage total qui protège de la souffrance en s’en distanciant.
Il arrive que le choc psychologique réactualise une blessure ancienne liée à l’enfance. De là, il est facile de faire le lien avec l’idée que certains ont un « profil de victime » qui attire l’agresseur.

La sidération est à l’origine  d’un état de stress intense qui peut durer plusieurs heures, et va se manifester par cet état de sidération anxieuse, qui n’est autre que le mécanisme de défense archaïque de camouflage dans un milieu naturel, ou d’un état d’agitation inadaptée. La verbalisation est souvent difficile, voire impossible. La victime se retrouve dans un comportement de repli sur soi avec des pleurs et de l’angoisse, pouvant aller jusqu’à des tremblements ou des vomissements.Elle souffre d’une culpabilité omniprésente, avec une impression de souillure pas toujours spontanée mais conséquente,  et un sentiment de honte.

©Anne-Laure Buffet