RECENTRER LE SUJET DES PENSÉES

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Que ce soit en thérapie, lors des groupes de parole, au téléphone, ou lors de diverses interventions, je constate que les personnes rencontrées, hommes, femmes, enfants, parlent toutes de l’autre. Chacune à sa manière : le (la) PN, le monstre, le bourreau, le taré, le dingue… Il (elle) m’a fait, il (elle) m’a dit, il (elle) voulait que, il (elle) m’empêchait de… Il (elle) me manipulait, il (elle) a fait de moi son objet, sa chose, son bien…

Tous ces échanges mettent en avant à quel point les personnes victimes ou ayant été victimes d’emprise sont dépersonnalisées. Elles désinvestissent l’emploi du « je », l’emploi du « moi ». Elles n’arrivent plus à parler d’elles. Elles n’existent plus, ou ne se reconnaissent plus le droit d’exister.

Comment vous voyez-vous ? 
Comme une ombre. Un fantôme. Un miroir transparent. Je ne sais pas… Je n’ai pas d’image de moi. 
Je n’ai pas conscience de qui je suis. 

En thérapie, une des « épreuves » auxquelles je confronte les personnes qui me consultent est celle du miroir. La plupart refusent de se regarder dedans. Celles qui acceptent le font en baissant les yeux, et leur regard fuit très rapidement le reflet qui leur fait face.

Qui voyez-vous dans la glace ? 
Je ne sais pas. Je ne veux pas regarder. 

« On » leur a appris qu’elles n’ont pas d’intérêt. Pas de personnalité. Pas de place à prendre. Leur image leur est insupportable.
Elles n’ont été, ne sont, qu’un objet ayant servi à assouvir les désirs et les besoins de « l’autre ».
Il leur faut reprendre une place, la leur. Celle à laquelle elles ont droit même si elles refusent d’y croire. Celles qu’elles ne veulent pas s’accorder.
Il leur faut redevenir sujet.
Le premier mot qu’elles apprennent à utiliser à nouveau est le « je ». Ce « je », sujet, pronom personnel, désignant celui ou celle qui agit, qui réfléchit, qui dit, qui se positionne, leur a été interdit. Il leur faut s’autoriser à l’employer à nouveau.

Tout comme il leur faut par la suite apprendre à présenter une situation autrement. La même situation, le même cas de figure, présenté d’une autre manière, a un autre impact. De plus, il redonne un droit à la parole.
Accepter de dire : « Je suis victime », que cette phrase soit dans un premier temps entendue ou non, est essentiel. C’est prendre position, se situer, demander une reconnaissance. C’est AFFIRMER un état de fait.
Je le répète : l’essentiel dans un premier temps n’est pas que ce soit entendu. C’est de le dire. C’est ce qui va entraîner le changement dans le mode de pensée des interlocuteurs.

Lisez bien les deux phrases qui suivent :
– Il (elle) m’a empêchée d’exister, de vivre, il (elle) m’a fait souffrir…
– J’ai été maltraitée, humiliée, violentée, insultée…
Ce que retient la personne qui vous entend, en tout premier lieu, est l’individu dont vous parlez. Dans la première phrase, il retiendra que vous parlez de « l’autre ». Dans la deuxième, il retiendra que vous parlez de vous. Et que vous cherchez, tacitement, la reconnaissance d’un état. Libre à vous ensuite de dire, de raconter, de décrire votre vécu.
La nature humaine est ainsi faite. Elle fait preuve de compassion face aux personnes fortes, en souffrance, mais fortes, au moins en apparence. Elle pardonne peu au faible.
En apprenant à vous repositionner dans votre manière de dire, de vous raconter, en parlant de vous, vous vous donnez le droit d’exister à nouveau. Vous offrez à celui ou celle qui vous entend la possibilité de vous « rencontrer », vous, et non ce monstre que vous décrivez

©Anne-Laure Buffet

ATTENTION, TOXIQUE !

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Depuis quelques jours nous recevons de nombreux témoignages au sein de CVP – Contre la Violence Psychologique concernant le terme « toxique ». Pour la plupart, les témoignages confirment et insistent sur une réelle toxicité de la relation lorsqu’une personne se retrouve sous l’emprise d’une autre, que ce soit au sein du couple, de la famille, ou dans un autre cadre.

Les mêmes termes reviennent : « Je me suis sentie empoisonnée. » « C’est comme si j’avais du venin qui me coulait dans les veines.  » « S’il vous plaît, avez-vous un antidote, est-ce qu’il y a un médicament ?  » « J’étouffe, je ne respire plus, c’est mortel. ».

Certains témoignages montrent en revanche le doute, la crainte que le terme « toxique » inspire.
« Pourquoi toxique ? Pourquoi ne pas dire destructeur ? Est-ce que ce n’est pas trop violent ? « 

Nous nous sommes posé la question au sein de CVP. Quel terme serait le plus adéquat, le plus judicieux pour qualifier cette relation ? Déjà utilisé par de nombreux spécialistes, à commencer par Susan Forward (Parents toxiques, ed. Poche Marabout), nous nous sommes interrogés sur ce mot qui nous vient spontanément, comme il s’est présenté à d’autres avant nous.

Toxique : parce qu’on peut en mourir, comme on peut en guérir. Toxique, car « le mal » s’infiltre plus ou moins lentement, graduellement, pour devenir peu à peu maître des pensées, du comportement, des gestes, de la vie toute entière de la personne sous emprise.
Toxique, car il se propage, conduisant parfois à des troubles somatiques, physiques, à des maladies longues à guérir et handicapantes.
Toxique car il entraîne un dérèglement. Et une accoutumance.
Toxique car nocif.

Pour citer Paul Valery : « Le mélange de vrai et de faux est énormément plus toxique que le faux pur. »

Il ne nous vient donc pas d’autre qualificatif. La relation d’emprise est toxique. Celui ou celle qui engendre cette relation l’est également, par ses agissements, avec son entourage. Et la mesure de ses actes ne peut être prise que sur le long terme.

©Anne-Laure Buffet

L’AMOUR, APRÈS…

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Vous avez compris. Vous avez réagi. Vous avez mis fin à une relation toxique. Vous avez quitté votre conjoint. Vous êtes prêt(e) à entamer une nouvelle vie, et vous espérez que dans cette nouvelle vie, l’amour y aura encore de la place.

Vous faites une rencontre. Vous vous sentez prêt(e) à cette rencontre.

Vous voulez faire confiance. Vous vous sentez prêt(e) à faire confiance.

Vous vous faites aider par un thérapeute, vous parlez avec votre famille, vos amis.

Vous ne voyez pas les ombres qui rôdent.

Mettre fin à une relation toxique, ce n’est pas uniquement dire « stop ». Ce n’est pas quitter la personne, matériellement, prendre « ses cliques et ses claques », et pouvoir dire haut et fort que cette personnalité toxique peut aller se faire pendre ailleurs, que vous avez compris compris et que vous êtes prêt(e) à passer à autre chose.

C’est avant tout avoir fait un travail de deuil complet de ce qu’a été cette relation, de ce qu’elle a entraîné. Il faut retrouver confiance en soi. Il faut consolider cette confiance en soi, la rendre effective, la valoriser. C’est une dépense d’énergie à fournir régulièrement, indispensable pour franchir un cap.

C’est également un travail de renoncement. La personnalité toxique a mis sous emprise entre autres grâce à la critique et au dénigrement. Lorsque la victime se « réveille », elle comprend que tout ce qu’elle a entendu était destiné à l’écraser, mais est FAUX. Il lui vient alors un besoin humain, mais vain, de se justifier. De conserver un lien dangereux avec la personnalité toxique, pour prouver qu’elle n’est pas la pauvre petite chose que le « bourreau » a laissé entendre.

C’est encore se méfier de ses propres interprétations, de ses assimilations. Il faut se séparer d’un prisme dangereux, celui qui fait analyser la nouvelle personne rencontrée au travers du filtre morbide qu’a laissé l’histoire passée. Ce n’est pas parce qu’une réaction, un mot, un geste, pris seul, peut faire sursauter ou frémir, qu’il faut s’en tenir là. C’est l’ensemble du comportement, de l’attitude qui est à prendre en compte, à considérer.

C’est aussi se débarrasser de sa culpabilité. Vais-je savoir aimer encore ? Est-ce que je donne assez ? Est-ce que je donne trop ? Je connais – enfin – mes limites, suis-je en droit de demander qu’elles soient respectées, et comment puis-je le faire ?

Il est tout à fait possible, heureusement, de démarrer une nouvelle histoire après une personnalité toxique. Mais il ne faut jamais oublier que c’est, justement, une nouvelle histoire. Et que, comme pour chaque histoire, il faut se montrer serein. Sans refuser le fait qu’avoir eu une personnalité toxique dans sa vie est un traumatisme, et qu’on ne guérit pas d’un tel traumatisme en lui appliquant un mauvais pansement. Une nouvelle histoire, une nouvelle vie, ne peut être le pansement qui va soigner. C’est une chance.

Le traumatisme quant à lui, s’il n’est pas pris en charge, demeure. Et petit à petit, va gangréner ce qui peut être beau.

©Anne-Laure Buffet

Victimes de violences psychologiques – de la résistance à la reconstruction