LE MYTHE DE NARCISSE

Narcisse©Sylvain Fuchs

Le narcisse a un caractère ambivalent, ce que l’on remarque aussi bien à travers le personnage que la fleur mythiques. C’est une plante associée aux cultes infernaux : on plante le narcisse sur les tombes pour symboliser l’engourdissement de la mort, on l’offre aux Furies pour paralyser le criminel… mais le narcisse est aussi lié au printemps par sa renaissance, aux rythmes des saisons, à la fécondité. De plus, le porteur de narkê n’a pas qu’un aspect négatif, car ses propriétés sont connues et utilisées sous forme d’huile ou de pommades contre les douleurs dans l’antiquité.

On définit le narcissisme comme une trop grande admiration de soi. Or, dans le mythe, Narcisse ignore qu’il s’agit de lui-même. Pour surmonter cette contradiction, il faut passer par l’explication rationnelle du mythe que présente Pausanias. Narcisse aurait eu une sœur jumelle qu’il aimait beaucoup et dont la disparition lui aurait causé une grande douleur. Un jour, il se vit dans une source et crut apercevoir sa sœur, ce qui le réconforta un peu. Bien qu’il sût que ce n’était pas elle, il prit l’habitude de se regarder dans les sources pour se consoler. De là naquit le « narcissisme ».

La mythologie

Narcisse est un jeune chasseur de la mythologie grecque, doué d’une grande beauté. Dans Les Métamorphoses d’Ovide, il est le fils du dieu-fleuve Céphise et de la nymphe Liriopé. À sa naissance, sa mère apprit de Tirésias qu’il vivrait longtemps, pourvu qu’il ne vît jamais son propre visage. Cependant, arrivé à l’âge adulte, il s’attira la colère des dieux en repoussant l’amour de la nymphe Écho. Poussé par la soif, Narcisse surprit son reflet dans l’eau d’une source et en tomba amoureux ; il se laissa mourir de langueur. La fleur qui poussa sur le lieu de sa mort porte son nom. Selon une autre version rapportée par Pausanias,

Il ne faut pas négliger la version de de Pausanias (postérieure aux Métamorphoses d’Ovide) : Narcisse aurait eu une sœoeur jumelle qui mourut dans son adolescence. C’est pour se consoler de la mort de sa sœur, qu’il adorait et qui était faite exactement à son image, que Narcisse passait son temps à se contempler dans l’eau de la source, son propre visage lui rappelant les traits de sa sœur.
La narcisse, une fleur découlant directement du mythe du jeune chasseur, est le symbole de l’égoïsme et de l’amour de soi. On définit le narcissisme comme une trop grande admiration de soi. Or dans le mythe, selon Pausanias, Narcisse ignore qu’il s’agit de lui-même.

Dans le mythe moderne, Narcisse est puni parce qu’il est amoureux de lui. Sa punition est la mort : on le dit noyé de s’être trop penché sur son image. D’avoir cherché dans le reflet ce qui ferait miroir à cette image. 

Le miroir occupe donc une position stratégique parmi les moyens de se connaître, de s’objectiver, de se regarder comme objet. Il permet de poser, en face de soi-même, un autre soi-même et de se regarder dedans. Je me connais alors en me projetant comme un autre. Mais quel piège! Il y a là deux personnes face à face. Sont-elles vraies?
« Dans cet affrontement avec le miroir, il y a à la fois dualité, dédoublement et unité, identité. C’est le même qui est deux » (Jean-Pierre Vernant), du moins dans la ressemblance extérieure.

 

Dans Ovide comme dans Conon, Narcisse est puni de s’être refusé et d’avoir fait souffrir ses prétendantes et particulièrement Echo. Il est amoureux de son image, mais cela est la punition.

Enfin, il est à lire cette version d’Oscar Wilde :
Oscar Wilde conte que le lac d’eau douce où Narcisse se noya est devenu, après sa mort, une urne de larmes amères. Les divinités de la forêt interrogèrent alors le lac qui avoua :

« Je pleure pour Narcisse, mais je ne m’étais jamais aperçu que Narcisse était beau. Je pleure pour Narcisse parce que, chaque fois qu’il se penchait sur mes rives, je pouvais voir, au fond de ses yeux, le reflet de ma propre beauté. »
Ainsi ce lac est-il lui-même narcissique!

C’est Freud qui a appelé narcissisme l’amour du sujet pour sa propre personne.

« Dans le complexe d’Oedipe, la libido s’avérait liée à la représentation des personnes parentales. Mais il y avait eu auparavant une époque où tous ces objets étaient absents. Il en résultait la conception, fondamentale pour une théorie de la libido, d’un état où celle-ci emplit le Moi propre, où elle a pris celui-ci même comme objet … on pouvait appeler cet état « narcissisme » ou amour de soi. Il suffisait de réfléchir encore pour s’apercevoir qu’il ne cessait à vrai dire jamais tout à fait; pendant tout le temps de la vie le Moi reste le grand réservoir libidinal à partir duquel sont émis les investissements d’objet et vers lequel la libido peut refluer à partir des objets. La libido narcissique se transforme donc en permanence en libido d’objet, et vice-versa. »

Deux conceptions fondamentales du narcissisme s’opposent parmi les psychanalystes, suivant que l’objet est perçu ou non dès la naissance. Si l’on accepte la théorie du narcissisme primaire, le Moi n’est à l’origine pas différencié de l’objet, il s’agit d’un état naturel dont l’individu se dégage progressivement au cours de son développement infantile. C’est la position de Freud ainsi que d’Anna Freud, de Mahler entre autres. Pour eux, à partir du moment où l’enfant se mettrait à percevoir la différence moi-objet, il émergerait par étapes successives d’un état de narcissisme primaire.

Par contre, pour les analystes qui suivent Klein, le Moi et l’objet sont perçus dès la naissance, et la base de narcissisme primaire n’existerait pas. Cependant, la confusion moi-objet n’est pas absente des conceptions kleiniennes et la notion de narcissisme réapparaît avec l’introduction du concept d’identification projective. Ce concept permet d’inclure à la fois une relation d’objet (puisque le sujet a besoin d’un objet pour projeter) et une confusion d’identité entre sujet et objet.
Par la suite, des psychanalystes postkleiniens ont développé les conséquences de l’implication de l’identification projective et de l’envie dans les structures narcissiques. Ainsi, par des voies différentes de celles empruntées par les analystes qui soutiennent l’existence du narcissisme primaire, ils concluent à leur tour à l’importance des phénomènes narcissiques dans les relations d’objets.

LE POIDS DU BOULET

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« Comment ais-je pu être aussi aveugle ? « 

« Il m’a détruite et je l’ai laissé faire… je me donnerais des coups ! »

« Elle cachait bien son jeu, je n’ai rien venu venir, et regardez où j’en suis… »

« Si j’avais su… si j’avais réfléchi… »

Voilà, entre autres, ce que je peux entendre lorsque je reçois des victimes de personnalités toxiques.
Il pèse sur leurs épaules un poids plus lourd qu’une enclume, un poids écrasant, oppressant, qui coupe tant le souffle que l’action. Celui de la honte, du remords, de la culpabilité. Ces victimes le traînent comme un enchaîné traîne son boulet. Freinées à chaque instant, elles doivent fournir des efforts considérables pour le moindre geste, la moindre pensée, le moindre mouvement.

Elles n’ont rien de particulier, à ressentir cela. TOUTES LES VICTIMES DE PERSONNES MANIPULATRICES LE VIVENT UN JOUR. Ce ressenti accompagne la prise de conscience. Comme si elles avaient été hypnotisées, et que soudain l’on claque des doigts pour les réveiller, il y a cette impression diffuse de malaise. Les paupières clignent. Les muscles se mettent à trembler… Où suis-je ? Que s’est-il passé ? 

La prise de conscience est douloureuse.
Pensez à votre corps, lorsque vous avez dormi très (trop) longtemps. Vos muscles sont engourdis. Votre esprit est embrumé. Il faut quelques instants pour que la réalité reprenne sa place. Vous vous étirez… Vous sentez votre corps, chacun de vos membres semble vous envoyer un signal. Avec parfois quelques craquements, une crampe, deux ou trois courbatures. C’est à la fois très agréable, et gênant, comme s’il fallait, après cette période de sommeil, reprendre possession de son corps.

Une victime de personnalité toxique le vit, mais amplifié… par milliers. Ce n’est plus crampes et courbatures. C’est épuisement, douleurs, cicatrices, coups.

De même, à l’heure – parfois pénible –  où il faut se mettre devant la glace, nous notons tous nos yeux encore bouffis de sommeil, ou nos traits un peu tirés, nos cheveux qui semblent avoir décidé de vivre leur propre vie… La victime, quant à elle, face au miroir, va « voir » ce que le manipulateur PN a fait d’elle. Elle reçoit l’image comme une claque. Elle peut aller jusqu’à ne pas reconnaître son propre visage.
Les mains posées sur le rebord du lavabo, ou encore, assise contre la baignoire, la tête sur les genoux, elle voit défiler en accélérer les mois, les années qui ont précédé.
Qu’ais-je fait pendant tout ce temps ?
Pourquoi me suis-je ainsi laissé(e) faire ?
Qu’est-ce qui cloche chez moi ? 

Vient alors l’épuisement, qui jusque là n’était pas vraiment conscient chez la victime. Avec, en boucle, la même interrogation : Pourquoi ? Et en parallèle de cette question, la culpabilité, immense, et mêlée de colère.
La victime est en colère. Contre elle-même. En colère et abattue. Le manipulateur devait avoir raison (elle ne le voit pas encore comme un manipulateur)… Elle ne vaut pas grand chose pour en être arrivée là.

Cette étape, il faut ABSOLUMENT la franchir. La victime qui reste dans la culpabilité ne peut avancer, ne peut s’en sortir. Elle reste prisonnière du filet aux mailles bien serrées dans lequel le manipulateur (la manipulatrice) l’a piégée. Elle se ronge, et la culpabilité lui ôte encore ses facultés pour réagir, pour se battre, pour se reconstruire aussi.

Comprendre le fonctionnement des personnalités toxiques permet de se dégager de cette culpabilité qu’elles nous imposent.
Et permet, également, de ne pas les laisser gagner, en finissant d’écraser celui ou elle qu’elles ont pris pour proie.

Voir également sur ce sujet : Dire non à la honte  et  Dites non aux chrysanthèmes

Et pour une approche des personnalités toxiques : C’est pas moi, c’est l’autre  et  Mortelle séduction

©Anne-Laure Buffet