VAMPIRE QUOTIDIEN

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On peut comparer métaphoriquement les stratégies d’emprise psychologique au vampirisme au quotidien :

– L’agresseur est un embrouiller, habile à oeuvrer dans l’ombre, le visage masqué : « Il se déplace comme un nuage de brouillard que lui-même suscite » comme le comte Dracula

– « vertueux », membre d’honneur d’une honorable institution, il reporte systématiquement la responsabilité de son acte criminel sur la victime, prétendument vicieuse et séductrice

– il promeut le secret au rang de la politique familiale (ou institutionnelle)

– il ne signe jamais ses forfaits

– il ne donne jamais la moindre explication

– il se trouve toujours « d’excellentes justifications »

– il est passé maître dans l’art de la rhétorique perverse et manie avec maestria l’art du « double lien » face auquel il est impossible de se décider : « Si je te bats c’est pour ton bien… » ; « Mais tu as raison ma chérie, écoute ton copain, porte plainte contre moi et surtout n’oublie pas d’acheter des fleurs pour enterrer ta mère… » ; « Si tu me dénonces, on ne te croira pas… » ; « J’irai en prison et toi à la DDASS… »

– il parvient constamment à culpabiliser subtilement la victime

– il sait admirablement faire alterner les périodes d’accalmie et de violences psychologiques ou physiques

– il utilise l’isolement, stratégie idéale pour porter sans risque une attaque

– il est expert pour monter les membres de la famille les uns contre les autres, attiser les antagonismes, colporter les rumeurs, divulguer  des faux secrets, faire et défaire les alliances

– il ne tient jamais compte des faits. « Les faits dépendent entièrement du pouvoir de celui qui peut les fabriquer »

– il pratique une surenchère permanente, condition de survie de son emprise totalitaire : le moindre arrêt de mouvement pourrait stimuler la réflexion, permettre une remise en question

La relation d’emprise peut parfois sembler être une totale réussite, la victime prenant alors totalement le parti de l’agresseur.

Le renversement des accusations est le redoutable corollaire de la relation d’emprise : il constitue la signature du processus vampirique. Les victimes qui percent les intentions criminelles des agresseurs les plus pervers ont le plus grand mal à être entendues, reconnues. Elles passent régulièrement pour folles, menteuses, paranoïaques, à tort persécutées. Car il n’est pas anodin d’être confronté à la violence impensable. Personne ne peut aisément concevoir le Mal absolu, surtout lorsqu’un être cher est directement impliqué. Comment admettre sans difficulté qu’un membre de sa famille est un criminel ? Les « braves gens » pensent qu’il n’y a pas de fumée sans feu… car ils ignorent que le comte Dracula se déplace avec un nuage de fumée que lui-même suscite, selon l’intuition poétique de Bram Stoker.

L’inversion des accusations est favorisée par l’agressivité que génèrent les victimes de violence répétées et par le déni généralisé de la violence impensable.

 

La relation d’emprise a les mêmes conséquences psychodramatiques que les situations traumatiques répétées (dites de type 2). Elle s’accompagne en général d’un processus d’inversion, les victimes passant pour les bourreaux en raison du déni de la violence impensable et des contre attitudes de rejet qu’elles génèrent. 

 

Gérard Lopez, in Enfants violés et violentés – Le scandale ignoré, ed. Dunod

LES MANGEURS D’ÂME AU RÉGIME SEC

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Certains vampires, indifférents au sang, opèrent comme des parasites psychiques, capables de cannibaliser à distance la vitalité et les talents de leurs victimes. 

Dans la tradition légendaire, une des conditions minimales pour que l’on puisse identifier un vampire est sa dépendance au sang. Or, dans la littérature fantastique, on rencontre souvent des êtres qui ne s’abreuvent jamais de sang mais qui ont la faculté de capter l’énergie vitale ou psychique des humains sans avoir nécessairement de contacts physiques avec eux. Le grand spécialiste anglais du vampirisme, Montague Summers, auteur de deux ouvrages érudits sur la question, The Vampire: His Kith and Kin (1928) et The Vampire in Europe (1929), a été le premier à leur donner le nom de « vampires psychiques ».

Dans la fiction, les vampires psychiques peuvent être aussi redoutables que les vampires sanguinaires dans la mesure où ils sont capables de provoquer la mort de leurs victimes. L’idée apparaît pour la première fois dans la nouvelle de Henry James « De Grey » (1868), où les représentants masculins de la famille De Grey, victimes d’une malédiction, provoquent sans le vouloir la mort de leur fiancée comme s’ils aspiraient leur vie. Dans le roman de la britannique Florence Marryat, The Blood of the Vampire, publié en 1897 – la même année que Dracula – , contrairement à ce que semble indiquer le titre, l’héroïne vampire, Harriet Brandt, ne suce pas le sang de ses victimes, mais provoque involontairement leur mort à distance ou par simple contact. Ses victimes s’affaiblissent progressivement comme si elles souffraient d’une anémie pernicieuse et ne tardent pas à mourir. Après la mort de son amant, Harriet prend conscience de son funeste pouvoir et décide de mettre fin à ses jours.

Contrairement à de tels personnages de tragédie qui sont en définitive plus à plaindre qu’à blâmer, les vampires psychiques, en général, savent parfaitement ce qu’ils font, et c’est avec cynisme qu’ils dépouillent leurs victimes de leur jeunesse, de leur santé, et même de leur vie. Ce sont souvent des personnes âgées qui refusent de vieillir, comme l’héroïne de la nouvelle de W.F.Harvey, « Miss Avenal » (1928). Miss Avenal est une très vieille femme qui fait de fréquents séjours dans les hôpitaux, où elle absorbe la jeunesse et la vitalité des infirmières qui la soignent, retardant ainsi indéfiniment l’heure de sa propre mort. Dans « La Dame aux biscuits » (« The Cookie Lady« , 1953) de Philip K.Dick, une affreuse mégère décrépite, Mrs Dew, attire chez elle un petit garçon sous le prétexte de lui donner des biscuits. L’enfant tombe malade tandis qu’elle rajeunit et, lorsque le petit Bubber finit par disparaître emporté par le vent comme une feuille morte, Mrs Dew est redevenue une jeune femme d’une éclatante beauté.

Imposteur, mère abusive…

Certains vampires psychiques ont la faculté d’absorber les dons et les talents des personnes qu’ils fréquentent fin de se les approprier. C’est le cas de Reginald Clarke, dans le roman de G.S.Viereck, La Maison du Vampire (The House of the Vampire, 1907). Ecrivain médiocre devenu frauduleusement auteur à succès auprès du public new-yorkais, Clarke n’a cessé de puiser le talents des artistes, poètes, romanciers, peintres ou sculpteurs qui font partie de son cénacle. Dépouillées de toute inspiration, ses victimes deviennent des sortes de zombies, tandis que leur terrible parasite triomphe en s’appropriant leurs oeuvres.

La fable du vampirisme psychique permet aussi de représenter métaphoriquement les conflits, bien connus des psychologues et des psychanalystes, qui opposent des êtres autoritaires à ceux qu’ils dominent, et le conflit oedipien n’est pas le moindre d’entre eux. D.H.Lawrence s’en sert ainsi pour illustrer le thème de la mère abusive qui refuse de traiter ses enfants en adultes et les maintient sous dépendance dans « La belle dame » (« The Lovely Lady« ), nouvelle publiée en 1927. Pauline Attenbourough est une femme âgée qui a gardé miraculeusement la beauté et la jeunesse. Le secret de cette éternelle jouvence est qu’elle puise son énergie de ses deux fils adultes, sur lesquels elle exerce une autorité despotique, les traitant comme des enfants et les condamnant au czléibat. Lorsque son fils cadet finit par se révolter et décide d’assumer son propre destin, le charme est rompu, et la « belle dame » retrouve en quelques jours l’aspect de la vieille femme qu’elle est vraiment. (1)

Le vampire psychique de la littérature fantastique est un prédateur, un dominateur et un parasite dont le comportement n’est pas sans rappeler celui de certaines personnes bien réelles du monde où nous vivons. Montague Summers a fait remarquer l’extraordinaire ascendant de certains orateurs qui parviennent, de façon quasi hypnotique, à capter totalement l’attention de leur auditoire, et d’une certaine manière, à le vampiriser. On se souvient des discours enflammés d’Adolf Hitler qui parvenaient à fanatiser des foules énormes. Chacun de nous, enfin, a pu rencontrer dans sa vie de tous les jours un être exerçant sur autrui une autorité naturelle ou un talent de persuasion auxquels il était difficile de résister. Plus discret et plus subtil que son cousin aux dents pointues, le vampire psychique est en même temps plus proche de nous, car il se situe aux limites du fantastique.

Jean Marigny

Le Magazine Littéraire

Mars 2013

(1) Voir aussi le conte de Raiponce, des frères Grimm