Raconter la violence est essentiel. C’est un acte qui permet de s’en libérer, de pouvoir prendre du recul. De l’observer, extérieurement, en l’analysant bribe par bribe, au fur et à mesure des souvenirs. Qui permet aussi de se faire justice – et non vengeance : se reconnaître en tant que victime, reconnaître « l’autre » comme agresseur, bourreau, toxique, autorise à dire. Tant que la victime n’est pas capable de se nommer comme telle (par refus, culpabilité, déni,…), elle ne reconnaît pas sa souffrance, elle la minimise. Elle réduit ou réfute une partie de son histoire, parfois une vie entière.
La victime se retrouve cependant, et malheureusement, souvent face à un mur. Celui de l’incompréhension, de l’incrédulité, du refus d’entendre, du rejet. Non, « untel » ne peut pas être si monstrueux, il est tellement aimable, tellement souriant. Non, « unetelle » n’est certainement pas une mauvaise mère, elle qui va à la messe et s’occupe des kermesses… Non, cet enfant n’a pas pu vivre tout ce qu’il raconte, sinon pourquoi l’avoir tu… Non, ce n’est pas une histoire de violence conjugale, c’est simplement un conflit de couple, et une médiation devrait suffire à rétablir une saine communication dans l’intérêt majeur des enfants…
Aussi, elle commence à dire, puis se retient, de peur d’être rejetée ou critiquée. De peur de subir la double peine : celle de se savoir victime, et de ne recevoir non seulement aucun soutien mais uniquement des critiques et des reproches, à nouveau.
De plus, la victime est dans un système de comparaison. Elle a tellement entendu de la part de « l’autre », la personnalité toxique, qu’elle est moins que telle personne, qu’elle vaut moins que telle autre, qu’elle sait moins que telle encore, qu’elle ne sait réellement faire qu’une seule chose : taire, mettre de côté la réalité des faits, la croire « pas si grave que ça, parce qu’il y a bien pire »…
Ce qui crée une nouvelle – mauvaise – raison de se taire. D’autres ont bien plus souffert, sans doute. D’autres ont pu se faire entendre, pas elle, ce qui prouve qu’elle n’a rien du vivre de grave. D’autres ont subi des violences dès l’enfance, pas elle… alors de quoi se plaint-elle ?
« Je suis désolée, je me plains tout le temps »… « Excusez-moi, je ne vais pas faire ma Cosette… »
Raconter, se raconter, que ce soit en consultation thérapeutique, en groupe de parole, ou simplement à un tiers membre de la famille, du cercle relationnel ou amical, n’est pas « faire sa Cosette ». C’est non seulement se rendre une forme de justice nécessaire, par la prise de parole si souvent interdite, mais c’est aussi apprendre à se situer, à se faire une place, à être juste et honnête vis-à-vis de soi-même et de son histoire.
Aucune histoire n’est comparable, comme aucun individu, aucune personnalité n’est comparable.
Aucune histoire ne peut être dite « pire » qu’une autre. Chaque histoire étant personnelle, elle est la pire pour celui ou celle qui la vit. A ceux qui refusent d’entendre de se remettre en cause, et non aux victimes de minimiser, pour ne pas gêner ou déranger leurs interlocuteurs.
Aussi, se retenir de parler, de peur d’être jugé(e) comme « faisant sa Cosette », ne crée du tort qu’à une personne : la victime.
©Anne-Laure Buffet
Ce qui ne fait que renforcer sa souffrance
Merci ! Merci d’avoir dit ces mots, qui à force d’avoir été méjugés, confine aussi une victime dans le silence !
merci Anne Laure, tout est dit