Le pardon est souvent constaté chez les adultes ayant souffert de violence parentale dans leur enfance. Or, ce mot fait souvent l’objet de divers contresens. Pour bien comprendre ce qu’est véritablement le pardon, il est tout autant nécessaire de savoir ce qu’il est que de savoir ce qu’il n’est pas :
– le pardon n’est pas l’oubli de l’acte, ni sa justification, mais la distinction entre la personne et l’acte;
– le pardon n’est pas un devoir, ni un acte méritoire, mais un processus de libération;
– le pardon n’est pas la réconciliation avec l’autre mais avec soi-même ;
– le pardon n’est pas réservé aux croyants, mais peut concerner toute personne
Lorsqu’il s’agit d’un traumatisme, l’oubli est généralement impossible ; ou alors, s’il se produit, c’est sous l’effet d’un déni qui, s’il dure trop longtemps, peut se révéler plus pathogène que la confrontation à la réalité. Le méfait laisse dans l’histoire de la personne une trace indélébile mais c’est précisément à partir de cette trace qu’il faut tenter de reconstruire du nouveau. « Le pardon est plus un acte qui invente un avenir qu’un acte qui efface le passé. » (A.Houziaux)
Pardonner à quelqu’un n’est pas synonyme d’excuser ou de justifier les actes qu’il a commis (…) ce n’est pas l’acceptation soumise et béate de la souffrance, mais au contraire le désir de reprendre une parole longtemps confisquée.
Il semble que le passage par la haine soit souvent une étape obligée. Nombreux sont les individus chez qui le pardon a été précédé d’une période plus ou moins longue de haine profonde, parfois jusqu’à vouloir tuer le parent maltraitant, lorsqu’ils étaient adolescents et jeunes adultes. Cette haine a deux fonctions positives : d’une part elle évite la culpabilité, en plaçant la faute sur l’autre ; d’autre part elle permet au jeune de ne pas s’identifier au parent maltraitant, en considérant que cette violence est inacceptable. (…) le désir de tuer le parent maltraitant permet à la personne de se maintenir en vie, en donnant un but à son existence.
Signalons enfin cette réaction parfois présente chez les enfants maltraités : une haine plus intense envers le parent non maltraitant qui ne réagit pas face aux actes du conjoint ou de la conjointe.
Certains considèrent que le pardon est un devoir filial, que, même si les parents ont fait subir des violences à leur enfant, ils restent ses parents envers et contre tout, et qu’il doit leur pardonner. C’est faux : le pardon est un choix librement décidé, non un devoir socialement imposé. Certaines personnes estiment avoir trop souffert pour pouvoir pardonner, et ceci est compréhensible et parfaitement légitime. S’il est vrai que le pardon est souvent mentionné chez les adultes résiliants, n’en concluons pas qu’il faut pardonner pour être résilient. le parcours de chacun est unique et doit être respecté.
De plus le pardon n’est pas un acte méritoire. Pardonner s’est imposé parfois à eux (les pardonnants) comme une quasi-nécessité « thérapeutique ». {…} Le pardon est donc un processus de libération psychologique, souvent plus bénéfique encore pour le pardonnant que pour le pardonné.
Le pardon est une condition de la réconciliation mais il n’y conduit pas toujours. La réconciliation nécessite la volonté des deux parties : le coupable qui demande pardon, la victime qui pardonne, alors que le pardon n’a besoin que d’une personne, la victime, pour émerger. Certains adultes ex-maltraités pardonnent à leurs parents, mais estiment qu’ils ne peuvent aller au-delà, qu’ils ne peuvent s’engager dans une démarche de réconciliation.
Le pardon est un long processus, qui comprend deux composantes successives qui sont souvent confondues. Il y a d’abord le pardon « intellectuel », volonté de briser le cercle de la violence, qui constitue le véritable acte de pardon. Puis il y a le pardon émotionnel, la disparition des sentiments d’amertume, qui lui ne dépend pas de la volonté de la personne et qui peut prendre beaucoup plus de temps.
Jacques Lecomte, Guérir de son enfance, ed. Odile Jacob