Tu vois, plus j’y pense, et plus pauvre néant te va comme un gant. Pauvre de sentiment, vide de tout. Tu es bien cela, un pauvre néant, imbu de lui-même et de ce qu’il croit être de l’intelligence, de la supériorité. Ce qui n’est en sommes que de la démence.
Tut tut, mon p’tit bonhomme, ne t’emballe pas. J’ai dit démence ? Moi ? J’aurais osé ? Dieu que c’est vilain, pardonne-moi, je file au coin. Je reviendrai quand j’aurai compris.
J’ai compris.
Oui, tu es dément. Dément de faire ce que tu fais, sans conscience, sans âme, sans respect ; mais il est vrai que tu ne peux faire autrement, puisque de tout cela, tu es parfaitement dépourvu. Dément, comme un sociopathe, comme un dingue, ainsi qu’on aime à dire, comme un de ces serial killer qui jamais ne s’arrêtent, une fois leur plan bien huilé. Je t’imagine si bien, assis dans ta petite cuisine, avec tes petits projets, tes petits calculs, tes petites aigreurs d’estomac, ta petite bouteille ouverte devant toi, et ta petite main pour te servir ; toi, tout tordu au-dessus de ce verre, le portant à tes lèvres avec tes gros doigts boudinés, avalant sans savoir ce que tu bois ce liquide dont tu ne connais même pas la couleur – l’important c’est de boire, c’est bien cela ? Que mijotes-tu ? Quel nouveau plan mets-tu en place, pensant pouvoir indéfiniment m’écraser ?
Il serait temps de se réveiller. Il serait temps que tu comprennes que tout ce que tu fais, ça ne prend plus. Ah oui, il est certain que je parle toujours de toi, et que, souvent, je pense à toi. Comment faire autrement ? Je ne choisis pas l’ordre de mes pensées. Et tu fais tout, tellement tout, tellement bien, pour y rester. Mais, vois-tu, une chose a changé. Je n’ai plus peur.
Attends, tu n’as pas compris. Je répète. En articulant, que jusqu’au fond de la mélasse que produit ton cerveau chaque jour, mes mots s’enfouissent et s’y installent.
JE N’AI PLUS PEUR DE TOI.
Pourquoi serres-tu les dents ?
Savoir que tu ne me fais plus rien te met dans cet état là ?
Pauvre dément, c’est bien cela. Pauvre ignorant, pauvre imbécile sans argument. Que vas-tu faire demain ? Ne me réponds pas, je le sais déjà… Je t’ai laissé sans nouvelle bien longtemps ; et tu prendras mes mots, tu trouveras un giron dans lequel t’enfouir, et tu diras ô combien je suis méchante. Vilaine. Cruelle. Égoïste. Stupide. Vaniteuse. Prétentieuse. Destructrice. Miroir mon beau miroir, dis-moi qui est le plus menteur…
Ensuite, qu’iras-tu encore inventer ? Auprès de qui iras-tu te plaindre, tentant un sourire presque de compassion entre tes fausses larmes et tes vrais étranglements, car après tout, s’il le faut, si cela sert ta cause, tu irais jusqu’à dire que malgré tout ce que je suis, tu as pitié de moi.
Moi, je n’ai aucune pitié. J’en ai plus pour ce cafard qui ne méritait pas d’être là, qui n’a pas choisi d’être cafard, qui vivait sa vie de cafard, qui a fini asphyxié par un pesticide bon marché.
Mais toi, quelle pitié pourrais-tu m’inspirer ?
Vas-y, sers-toi un autre verre, continue de cogiter. Tes cogitations t’emmènent trop loin, et pendant que tu perds du temps à chercher comment, encore, me broyer, je vis. C’est bien ta colère et ta douleur, n’est-ce pas ? Je vis.
Mais je ne t’oublie pas. Tout comme tu m’as observée, toutes ces années, tout comme tu as guetté chacun de mes pas, de mes gestes, de mes silences ou de mes mots, je t’observe aussi. Pas par désir de vengeance; Pas par volonté de continuer à souffrir, cela est bien fini. Je ne t’oublie pas, pour mieux protéger de ta dévastatrice ambition ces enfants que je t’ai donnés.
Je ne te laisserai pas leur faire ce que tu m’as fait. Ils ne seront ni tes jouets, ni tes instruments pour continuer à torturer. Ils ne seront pas involontairement serviles, inconsciemment soumis. Ils ne seront pas des petits toi, petits monstres, petits rien, aigris avant d’avoir vécu de ne pas avoir de vie, de ne pas avoir d’esprit, de ne pas avoir d’amis. De n’avoir pour tout espoir que celui de pouvoir mieux détruire ceux qui pourraient les approcher.
Ils ne seront pas porteurs de tes projections. Ils ne seront pas tes monstrueuses créations.
Dussé-je encore des années lutter, m’armer, et résister contre cette guerre inhumaine que tu me mènes.
Mon combat est juste, même si tes batailles sont incessantes et mortelles. Mon combat est sincère, sans mensonge, sans fard. Sans vengeance. Sans revanche.
Mon combat n’est pas contre toi.
Il est pour eux.
Eux, pauvre néant, eux, qui ont un droit. Celui d’être protégé de ton immense et indéfectible cruauté.
©Anne-Laure Buffet