MORT VIVANTE – EXTRAIT 7 (Fiction, à paraître)

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Tu ne me fais plus peur.
Terminé. Basta. Fini.

Tu ne me fais plus peur ;  tu devrais commencer à avoir peur. Ce que tu as fait naître en moi ? La honte. L’angoisse, qui fige le cerveau et paralyse chaque membre, qui fait écumer et pleurer. Qui nous fait ombre de nous-même, ombre de rien.
Puis, la culpabilité. Et le doute, le doute insidieux. Il rentre sous la peau, comme ces vermines qui pondent et font grouiller leurs oeufs sous l’épiderme. Quand on le découvre, il est trop tard. Il ne reste qu’à inciser, profondément, la chair ; voir couler la plaie déchirée et le pus qui s’en échappe. L’infection est latente. La vermine pond autant qu’elle peut, aussi souvent qu’elle peut. Partout où elle peut. C’est la gangrène, c’est le corps qui hurle de douleur, se tord, se brise. C’est une blessure coulante, purulente ; c’est la mort qui s’installe à petits feux.

Tu es cette vermine, et tu as voulu ronger chaque partie de mon corps, chaque instant de mon âme. Mes émotions, mes sentiments, mes envies, mes désirs, mes joies, mes secrets, mes confiances, mes réussites… Tout est devenu poussière entre tes mains; Tu les as serrées l’une contre l’autre si fort que tu as tout broyé. Tu as fait en sorte qu’il ne reste rien de moi.

Alors, tu t’es mis à jouer.
Chat monstrueux, chat aux dents de vampire et aux griffes acérées, chat bavant, chat miteux mais enflé de suffisance et de cruauté, tu m’as donné des coups de pattes, m’assenant ce que tu as fait passé auprès de tous, de tous ceux qui t’entendaient, pour la Vérité. Tu as fait de moi un portrait si laid, si immonde, que j’en vomissais en te lisant, en découvrant chaque jour un peu plus à quel point tu me trainais dans la boue. Dans ta boue, sale cochon que tu es.
Chaque fois je relevais la tête ; et face à mon visage se dressait celui de la Justice, habillée de noir et les yeux bandés, les oreilles bouchées, refusant d’entendre l’appel étouffé d’une femme brisée, d’une mère écrasée. Chaque fois je dressais le poing, mais chaque fois moins fort, perdant mes forces. Lentement. Comme celui qui s’endort avant de cesser de respirer. Moi, je n’avais pas cette tranquillité ; tu ne me laissais pas dormir.
J’y ai laissé ma santé.

J’y ai laissé mon temps. Et si je n’avais perdu que mon temps…

Toujours sans rien dire ; plus personne n’écoutait.

Je t’ai presque cru. Tu as presque gagné.

Puis, il y a eu ce jour, où tu es allé trop loin. Ce jour, je ne sais plus lequel. J’ai ouvert les yeux. Mes mains n’ont pas tremblé. Je me tenais droite. Je me suis relevée.

Vas-y, crache encore, bave encore, hurle encore, pleure encore. Tu ne cesseras jamais.
Mais je m’en fous. Tu ne me fais plus peur.

C’est à mon tour de parler. C’est à ton tour de trembler.

©Anne-Laure Buffet

MORT VIVANTE – EXTRAIT 4 – À PARAÎTRE

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Et toi, face à tout cela, que vas-tu faire ? Agiter cette prison dorée dans laquelle tu me retenais, détenteur des clés, et du sésame ? Crier et t’insurger, pleurant comme un gosse, comme tu l’as fait il y a peu de temps, face aux trois robes noires qui écoutaient notre vie, devant d’un trait sur un papier en décider ? Pleurer quand tu vois ta fragile muraille s’écrouler, et en appeler à la pitié de ceux qui veulent bien te croire « À vot’bon cœur m’ssieurs-dames, ayez pitié d’un monstre qui vous donne une belle image, qui fait semblant d’être gentil. » ? Et que feras-tu après ? Te faut-il une défense avec effets de manche ? « Ce n’est pas sa faute, Mesdames, Messieurs les jurés. Mon client dès son enfance était déjà condamné. Par la société, cette société qui est la vôtre mais refusait de l’entendre. Il n’a pu que reproduire ce que si mal on lui avait appris. Il a reçu trop d’amour, de cet amour maternel et infernal qui se trompe, qui mêle tendresse et proximité, impudeur et distance. Il a reçu trop de violence et de cruauté, d’un père incapable d’aimer. Reconnu malade. Il n’y est pour rien. Alors, pour lui, pour la justice, pour l’honneur, pour le cœur dont vous ne pouvez manquer, je vous demande la grâce… »

Oui, que vas-tu faire ? Dire ô combien tu me gâtais ? Elle avait tout ce qu’elle voulait… Et c’est vrai, je ne manquais de rien. J’avais tout. J’avais trop. Je n’avais pas ce qui fait vivre, ce qui fait respirer, ce qui rend un cœur battant, vivant, espérant, joyeux. Il n’y avait pas de poésie. Il n’y avait pas de souffle. Il n’y avait pas de rire. Il n’y avait pas le chant des oiseaux le matin, celui qui réveille et rappelle que la nature, toujours, elle seule, peut rester belle. Il n’y avait pas l’attente impatiente du soir où l’on se retrouve, où les doigts se serrent, désespérés d’avoir été éloignés ne serait-ce qu’une journée.

Il y avait un vague baiser, parce que par convention on donne un baiser. Par convention. Habitude. Ou pour ne pas entendre qu’on ne l’a pas donné.

Un vague baiser et le silence. Le poids de ce qui n’est pas. Quand le poids était trop lourd, quand tu commençais à craindre que ce baiser soit le dernier, il fallait vite, bien vite, me rassurer. Me rattraper. Me convaincre que tout va bien, malgré tout. À combien de cadeaux ais-je eu droit quand il était presque trop tard ? Dans combien de restaurants sommes-nous allés – pour ne pas me fatiguer à cuisiner – quand tu réalisais que je m’éloignais ? Et tu savais t’y prendre. J’avais un cadeau. J’avais surtout ce regard d’enfant apeuré, d’enfant terrorisé, craignant de ne plus être aimé. Sentant qu’il est allé trop loin, et que la punition pourrait tomber. Quelle punition ? Celle que tu aurais eue si j’avais repris ma vie, repris mes droits, plus tôt. Je serais partie, et tu serais resté là, maugréant, chouinant, te rongeant un peu plus tes ongles déjà dévorés. Je les revois encore, ces moignons qui me frôlaient quand je te laissais faire. D’ongles, il n’en restait que le nom. Est-ce à force de les manger que tu as gonflé ainsi, ou est-ce ta suffisance sans limite qui fait de toi cette baudruche ?

Un enfant, voilà qui j’ai épousé, voilà à côté de qui j’ai essayé de vivre. Un enfant qui sait qu’il peut tout dire, tout faire, avoir toutes les colères, sa mère pardonnera toujours. Il n’y a rien de plus immense, de plus riche, de plus nourri de pardon que l’amour d’une mère. Mais tu as confondu. Je ne suis pas ta mère. Je ne l’ai jamais été. Tu aurais aimé peut-être. Tu as confondu, sûrement.

 

©ALB

MORT VIVANTE – EXTRAIT 5 – À PARAÎTRE

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Les brulures d’estomac sont intenses. Je n’arrive pas à faire grand chose. Debout, assise, ou allongée, je sens cette vis qui se resserre sur mes côtes, à les broyer et m’étouffer. Je ne peux pas me tenir droite. J’ai un poids sur les épaules et il m’écrase sans cesse.

Lorsque je me sens un peu mieux, je me redresse. Je respire, profondément. La douleur diminue. Puis revient. Plus forte. M’abrutissant un peu plus. M’épuisant un peu plus. Le moindre geste, le moindre effort, je les paye pendant des heures. Rien ne me calme.

J’ai le sentiment d’être un foyer empli de braises sur lesquelles tu souffles, ne me laissant aucun instant de répit. Tu l’as allumé il y a longtemps, et tu l’as fait en prenant ton temps. Brindille après brindille, chaque coup, chaque parole que tu portais dressait le bûcher, ce bûcher qui me consume sans être vu. Tu l’allumes à ta guise, profitant de mes moments de faiblesse ou de calme. Une flamme, des étincelles, et je me plie à nouveau sous cet incendie invisible.

Lorsque le feu pourrait s’éteindre, tu souffles à nouveau. Tu as soufflé si souvent que je passe maintenant mon temps à guetter la prochaine fois ; je ne suis pas déçue…Il y a toujours une prochaine fois. Les braises se rallument. Et à nouveau, j’ai mal, je me plie en deux, je passe ma main sur mon estomac.

Je finis par m’allonger, irritée d’être handicapée de la sorte. Et l’irritation ne calme pas la douleur, elle l’excite. Avec un livre, ou dans le noir, essayant de respirer le plus calmement possible, je ne pense qu’au temps qui passe, comme si le feu qui me brule l’estomac le dévorait. Et moi, toujours allongée, de plus en plus incapable de faire quoi que ce soit.

Lorsque nos enfants sont chez moi, j’ai encore plus mal. Mal d’avoir mal au point de manquer d’énergie. Mal de me sentir mauvaise, mauvaise mère, mauvaise femme, inutile dans une société où il faut exister en permanence, être compétitif, en permanence. Réussir, en permanence.

Je prends sur moi. Je fais semblant de sourire. Les journées trainent en longueur. J’attends le soir qui me permettra de dormir. Je m’endors en pleurant de n’avoir rien fait, rien avec eux. Je suis une mauvaise mère.

MORT VIVANTE – EXTRAIT 3 – À PARAÎTRE

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Faut pas qu’je bouge. Il va s’arrêter, y’a toujours un moment où ça s’arrête.

Ce soir, c’était comme les autres. Les autres soirs. Les enfants étaient déjà couchés quand il est rentré. Il est allé les embrasser. C’est un bon père, il aime nos enfants. Je sais que ça lui pèse de ne pas pouvoir passer plus de temps avec eux. Dès qu’il le peut, il s’en occupe. Alors le soir quand il rentre, il va les voir, dans leurs chambres. Il remonte la couette qui a déjà bougé. Il recouvre leurs petits pieds, pour pas qu’ils n’aient froid. Il les embrasse, chacun, sur le front, doucement, passe sa main dans leurs cheveux. Il éteint la lumière que je laisse allumée pour qu’ils s’endorment. Et sans faire de bruit, il referme la porte.

Alors, on se retrouve tous les deux.

Je suis dans la cuisine.

Je prépare le dîner, comme tous les soirs. Comme tous les soirs il est crevé. Il ne veut pas parler. Je lui demande comment s’est passée sa journée. Mais comment pourrait-elle bien se passer? La journée à bosser, la journée à s’épuiser, pour des cons, passez-moi l’expression, comme un con, un con qu’il est à pas se révolter. Son travail, il ne l’aime pas, mais il ne veut pas en changer. Parce que moi je ne travaille pas. Alors s’il change, s’il veut changer, mais qu’il ne trouve rien, comment on va vivre? Comment on va faire, avec les enfants, la maison, et tout ce que moi je veux?

Mais moi je ne veux rien, moi je ne demande rien, moi je suis heureuse comme ça. Je veux juste être avec mes enfants, avec lui. Alors je me tais.

Il me regarde. Je le sais. Je ne le vois pas, je lui tourne le dos, je prépare le dîner. Je sais qu’il me fixe.

Ca fait mal un regard comme ça.

Mais c’est pas grave.

Un coup de poignard dans les omoplates.

Mais c’est pas grave.

Il n’a pas eu une bonne journée.

Le silence m’écrase.

Mais c’est pas grave.

Je l’entends se lever.

Il prend un verre.

Il ouvre la bouteille.

Il passe près de moi. Si près que son épaule cogne la mienne.

J’aurai pu me pousser mais je ne l’ai pas fait. Les yeux rivés sur la casserole, tout bas, je murmure un pardon. Pardon d’avoir été là. Pardon d’être sur son chemin. Pauvre fille. Pauvre fille de ne pas lui avoir donné le verre qu’il voulait. Pauvre fille de ne pas y avoir pensé. Le dîner est prêt. Il n’a pas faim. Il veut juste un autre verre.

Je fais quoi alors avec le dîner? Je regarde la viande refroidir. Je n’ose pas manger, de peur de l’énerver.

Encore un verre. Il me fixe toujours. Où que j’aille il me fixe. Comme une mouche, il me regarde. Une mouche ou une araignée, je ne sais pas. Je crois qu’il tisse sa toile. Non en fait je me trompe, c’est faux, il n’est pas comme ça. C’est mon mari et je l’aime, c’est le père de mes enfants. Non, il ne me ferait pas de mal, pas exprès, pas lui.

Pourtant, je ne bouge pas.

Tu ne bouges pas?

Non, je ne peux pas, je ne veux pas.

Mais tu ne bouges jamais de toute façon.

Si je bouge, je bouge pour toi, pour les enfants, pour la maison.

Non tu ne bouges pas, tu ne fais rien, tu restes là et tu fais quoi toi de tes journées.Encore un verre. Un regard d’acier qui me transperce, une main agrippée au verre.

Bouge nom de Dieu bouge, fais quelque chose, mais non regarde-toi tu restes plantée là.

 

Mais que dois-je faire? Je ne sais pas ce que tu veux.

Si, tu le sais, mais tu ne fais rien. 

Sa main est sur mon poignet, il l’attrape, il me tient, j’ai mal, mais je ne dis rien.

Tu vois, tu ne dis jamais rien. Tu ne sers à rien. Il se ressert un verre. T’es rien, tu mens, je sais que tu me mens. Tu fais quoi toi, et c’est qui, avec qui tu vas, tu me trompes, tu baises où hein dis moi? 

Lâche moi tu me fais mal…

Non, réponds, t’es avec qui pendant que je bosse, hein, c’est quoi cette odeur, tu pues, tu pues le sexe. 

Mais non j’ai rien fait je fais rien, je suis là calme toi. J’ai mal, mais je ne dis rien, je ne veux pas lui dire. De la main qui me tient, il me serre encore plus fort, c’est un étau, je sens battre mes veines, me fais pas mal s’il te plaît pas  ce soir, les enfants dorment, il ne faut pas  les réveiller, me fais pas mal, s’il te plaît pardon pardon, j’ai rien fait je ne comprends pas mais pardon.

Il se sert un verre.

Me calmer? Pourquoi me calmer? Tu me mens salope, tu fais que mentir tu te fous de moi t’en as rien à foutre de moi tiens c’est du fric que tu veux, c’est ça? 

 

Je remue la tête, mais il ne me regarde pas. D’une main, il me tient toujours, et l’autre sort son portefeuille, il prend des billets, me les jette à la figure, tiens moi aussi je peux te baiser si c’est ce que t’aime faire la pute.

Je ne comprends rien, j’ai mal, et il me tire par le bras, j’ai mal encore, mal au dos, mal à l’épaule, il me tire, et me pousse et je suis devant la glace.

Regarde-toi sale pute, pour qui t’es maquillée comme ça hein dis-moi?

Je ne suis pas maquillée ou si peu que ça ne se voit pas. Je suis devant cette glace. Il est derrière moi. Sa main me lâche le poignet, se pose sur mes épaules, les serre, les broie, je me vois avoir mal, la douleur est plus forte cette fois que les autres soirs, je veux crier mais je ne peux pas.

Regarde-toi, traînée, regarde ta gueule.

Ma gueule, j’ai mis dessus de quoi cacher un bleu. Tu m’as fait tomber, tu ne voulais pas, mais j’ai un bleu, sur la joue, sur la pomette, c’est pas ta faute mon chéri j’aurai pas du être là.

T’as dit quoi là ? Tu veux dire quoi, tu veux dire que je te bats ? Non je te bas je t’explique.

Il me pousse, je suis contre la glace, je me vois dedans, ce visage gonflé, le bleu caché pour que les enfants ne le vois pas, le bleu est là devant mes yeux, dans la glace, et lui derrière, son regard qui me brûle, il me tient, me tire en arrière, il est trop fort pour.

T’es qu’une salope, tu comprends rien, et moi je vais en crever de tes saloperies, de ta gueule qui me gave quand je rentre.

Et il me tire encore.

Tu fais que mentir, j’en peux plus.

 

Il me tire et me pousse,  je sais qu’il est en colère, qu’il n’en peut plus, je ne l’écoute pas assez, oui sans doute je ne suis pas assez là, je ne m’intéresse pas à lui, pas comme il faudrait, c’est ma faute, pardon, me pousse pas, arrête, pas une gifle s’il te plaît, ne me gifle pas, mais je sens qu’elle tombe, sa main sur ma figure, je la sens sur ma joue, ça me brûle, elle m’arrache la tête d’un coup, comme si mon oreille explosait.

Tu vas comprendre peut-être salope, tu vas apprendre je vais te faire apprendre.

Ca bourdonne dans mon oreille, non arrête, ne fais pas ça, avant c’était pas comme ça entre nous, avant ça allait, ça peut aller encore.

Non, ça ne va pas t’as jamais rien fait, rien, rien pour moi, regarde toi, t’es nulle, t’es unemerde, et sa main tape encore ma joue, il veut que je comprenne, mais là j’ai plus d’air, il me pousse et je ne résiste pas, il me pousse et je tombe, je tombe par terre, et il ne fait rien.

Je reste là, j’ai la joue qui saigne je crois, je crois bien que c’est du sang, ou sinon des larmes des larmes que je ne contrôle pas.

Tu fais quoi là tu vas chialer mais tu comprends rien, c’est pour toi que je fais ça, allez bouge, bouge puisque tu veux tellement te faire remarquer.

Je suis par terre, et j’ai mal, mal partout.

Un coup dans les côtes. C’est sa chaussure qui a tapé. Un coup encore, et un autre, et un autre, et je mets mes bras sur mon visage, mais il tape encore. Je ne vais pas crier, les enfants dorment ils ne doivent pas voir, ils ne doivent pas  savoir, papa vous aime, papa n’est pas comme ça, ne venez pas mes bébés, un coup encore, j’ai mal, mon ventre va exploser.

Et puis plus rien.

Je ne remue aucun membre. Rien. Trop mal.

C’est ma faute. Je ne montre jamais que je l’aime.

Pardon, mon amour. Je vais changer, je te le promets.

MORT VIVANTE – EXTRAIT – À PARAÎTRE

Mort vivante est une fiction. La vie d’une femme sous l’emprise d’une personnalité toxique, victime de manipulation, de harcèlement, de diffamation. 
Tous les faits de cette fiction sont réels. 
Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé n’est pas fortuite. 

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Une fois de plus, tu avais un cadeau pour moi. Pour quelle raison ? Une réflexion la veille sur le dîner ? Une bouderie de plus ; tu boudes si souvent, t’enfermant dans ta chambre et n’en ressortant que bien plus tard, la mine défaite et le visage fermé. Ce jour-là, je n’ai pas voulu de ton cadeau. Tu as insisté. J’ai persisté dans mon refus. Tu as serré les dents. Tu t’es mis à rougir.
Et subitement, tu as changé de visage. Caméléon du sentiment – si seulement tu en avais ! – tu devenais implorant. Il fallait que je prenne ce cadeau. Il fallait que je te pardonne, une fois de plus. Il fallait que je me taise, encore. Les yeux qui s’affaissent, la bouche qui se tord et semble fondre telle celle d’un visage de cire, coulant lentement vers le menton. Tu déglutis, tu avales de travers. Ta pomme d’Adam joue au yoyo, au rythme de ta salivation. Tu ne comprends pas. Tu ne me comprends pas. Je reste là, assise face à toi, le cadeau posé entre nous, sans bouger. Le cadeau, objet du scandale, objet du déni, objet de l’objet.
Je ne t’obéis plus.

Tu te défais un peu plus. Tu sembles être calme. Je vois tes épaules qui tremblent, oscillation électrique, colérique, que tu ne peux ni contrôler ni dissimuler.

« T’en as rien à foutre de moi. Tout ce qui t’intéresse, c’est mon fric ! »

Le mot est lâché. Tu sembles stupéfait de l’avoir prononcé. Le fric. Ce que tu dépenses pour moi, dans ta si grande bonté. Et moi qui ne suis plus reconnaissante. Qui ne m’agenouille plus, qui ne me prosterne plus devant toi. Le piédestal s’est effrité, ta statue toute puissante s’écroule lentement. Pour la première fois, tu me jettes à la figure ce qui t’insupporte, et ta plus grande peur… qu’on te prenne ton argent. Qu’on te vole, qu’on te spolie, qu’on t’extorque… Combien de synonymes connais-tu ? De combien useras-tu par la suite ? Pas une fois, depuis ce jour, il n’y eut de disputes sans que l’argent soit évoqué. Ton argent. Ce que je te dois. Ce pour quoi j’ai à être reconnaissante. Ce que tu me donnes.

Beaucoup pleurent de perdre l’amour.

Toi, tu pleures sur ton fric.

©Anne-Laure Buffet