On nomme double contrainte (double-bind) une paire d’injonctions paradoxales consistant en ordres explicites ou implicites intimés à quelqu’un qui ne peut en satisfaire un sans violer l’autre.
Cette notion a été découverte par l’Ecole de Palo Alto et Gregory Bateson.
Par exemple, celui cité par Bateson de la mère balinaise, qui dit à son fils :
« Tu ne m’embrasses pas ? » et qui se raidit quand celui-ci vient lui faire un câlin. Or, comme on sait que le non-verbal domine toujours le verbal, cette mère dit à son fils à quel point elle ne l’aime pas.
En matière de manipulation, les piliers principaux de la communication perverse sont confusion, induction, culpabilisation. En fait le mot « communication » est particulièrement mal adapté puisqu’il s’agit en fait de ne surtout pas communiquer.
Son but : affaiblir l’autre, le faire douter de lui, de ses pensées et de ses affects. La victime va y perdre le sentiment de son identité. Puisqu’il s’agit à la fois d’éviter le conflit direct avec elle, et de l’amener à une totale docilité, elle doit être privée tant de son sens critique que de sa capacité à se rebeller. Alors seulement il sera possible de l’attaquer pour la mettre à sa disposition.
To bind (bound) signifie « coller », « accrocher » à deux ordres impossibles à exécuter avec un troisième ordre qui interdit la désobéissance et tout commentaire sur l’absurdité de cette situation d’ordre et de contre-ordre dans l’unité de temps et de lieu. Sans cette troisième contrainte, ce ne serait qu’un simple dilemme, avec une impossibilité de décider plus-ou-moins grande suivant l’intensité des attracteurs.
Dans la double contrainte, les instructions sont confuses et contradictoires, et interdites de parole. Cette situaion peut se produire de parent à enfant, mais également entre adultes. Quoiqu’il fassen celui a qui s’adresse la double contrainte n’a pas le droit de faire remarquer les contradictions. Il est réduit à l’impuissance et au renfermement.
La double contrainte existe seulement dans une relation d’autorité qui ordonne un choix impossible et qui interdit tout commentaire sur l’absurdité de la situation. Dans une situation d’indécidabilité, le dilemme est une nécessité conjointe à une impossibilité de choisir (comme par exemple dans le Cid de Corneille), tandis que l’injonction paradoxale est une obligation, un ordre, de choisir.
Pour illustrer la double contrainte, on cite souvent l’histoire de cette mère qui offre à son fils 2 cravates, l’une bleue, l’autre rouge. Pour recevoir sa mère quelque temps plus tard, le fils va mettre la cravate rouge ce qui lui vaudra d’entendre « Tu n’aimes pas la cravate bleue ! ». Le week-end suivant, pour lui faire plaisir, il met la cravate bleue et sa mère lui dit « Tu n’aimes donc pas la cravate rouge ! ». Il est donc toujours « perdant »
L’injonction paradoxale est bien illustrée par l’ordre « sois spontané(e) », où devenant spontané en obéissant à un ordre, l’individu ne peut pas être spontané.
La capacité à se sortir d’une double contrainte dépend bien évidemment de l’âge et des ressources personnelles pour s’en sortir.
Selon G. Bateson (école de palo Alto), la conséquence positive de la double contrainte est d’obliger l’individu à développer une « double perspective créative ».
En clair, pour s’en sortir, l’individu est invité à :
- Repérer la double contrainte, en prendre conscience.
- Métacommuniquer et recadrer, autrement dit, communiquer sur la communication en dévoilant les non-dits, en relisant la situation à un niveau différent. Par exemple, communiquer sur l’absurdité d’une demande peut être une façon de la dépasser.
- Adopter un comportement différent : oser l’humour, la métaphore, la créativité, la spontanéité, s’impliquer, oser se révéler, oser être qui l’on est, faire différemment plutôt que davantage, etc… C’est une véritable prise de risque identitaire qui encourage à être créatif plutôt que réactif.
Pour en revenir à l’histoire des cravates, cela pourrait consister à dire« Merci maman, tu viens de m’apprendre à être original car je vais porter désormais 2 cravates » (comme l’évoque Serge Villaverde).
Tous les deux, pourraient ainsi rire et prendre du recul par rapport à l’absurdité de la situation. Pourraient… car l’humour et l’ironie se marient mal avec le manipulateur qui inflige la double contrainte.
©Anne-Laure Buffet
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Après notre séparation (à la 4è tentative, les 3 précédentes ayant échoué… ) houleuse, difficile, j’ai trouvé dans un carton avec quelques affaires qu’il avait déposées devant chez moi, une lettre. 3 pages écrites à l’ordi, petit et serré, et qui m’ont mise mal à l’aise après une première lecture rapide. Quelques heures plus tard j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai relu le tout, très attentivement, sans sauter de ligne ou de paragraphe et j’ai compris l’origine de mon « malaise » en le lisant : TROIS PAGES de double-injonction, de critique de mon comportement associée à de l’admiration pour telle ou telle qualité, de négation de ma personnalité accompagnée de flatterie pour tel ou tel don artistique…3 pages qui m’ont effectivement donné la nausée. Et que je garde précieusement dans un tiroir pour ne pas oublier, et pour me confirmer que ce n’est PAS MOI qui suis coupable, et que j’ai vraiment vécu toutes ces années de doute perpétuel. J’ai une PREUVE écrite de ses desideratas contradictoires impossibles à satisfaire…
J’ai enfin la preuve définitive que c’est bien lui qui est à l’origine de mon anorexie importante qui avait débuté 16 mois après notre mariage… (et qui s’est terminée en commençant une psychothérapie salvatrice). Comment résister quand on vit avec un être flou, menteur juste ce qu’il faut pour perturber, persuasif juste ce qu’il faut pour semer le doute…
Je n’ai pas rêvé ! Cette lettre vient cruellement me rappeler toute la subtilité perverse du personnage. Et je ne la détruirai pas, du moins pas dans les prochains temps, elle m’aide à résister à la pulsion du pardon, de la « réconciliation » qui parfois vient me titiller. De moins en moins, mais…
Un manipulateur c’est quelqu’un de TRES intelligent, qu’il ne faut jamais sous-estimer. Je pense que je suis encore un peu sous son emprise, même si je me suis éloignée affectivement, physiquement, psychologiquement, et même si je suis très bien entourée de personnes saines et belles.
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