La perversion, au sens propre du terme, se manifeste par la volonté de jouir sans limite et d’utiliser l’autre selon son bon plaisir. Son « ambition » est de détourner le bien pour l’entraîner vers le mal. Ses symptômes caractéristiques sont :
– l’absence totale d’empathie (il ne se soucie pas des sentiments ou de la souffrance de l’autre) ;
– la tendance au passage à l’acte et à la transgression (il met un point d’honneur à obtenir immédiatement le statut social, l’être humain ou l’objet convoité).
L’instrument majeur du pervers est le langage, dont il se sert comme d’un fouet. Tel un dompteur il le manie en virtuose pour persuader, tromper, railler, humilier, si bien d’ailleurs que ses victimes restent sans voix, car, avec lui, impossible de dialoguer.
D’où vient la perversion ?
Pour comprendre la perversion, il convient de se référer au fonctionnement psychique d’un enfant d’environ 3 ans. Comme lui, le pervers ne tolère pas la frustration, s’arrange pour nier les réalités dérangeantes, se croit tout permis et s’imagine plus important qu’il ne l’est. Il fera des caprices, il va bouder, il va croiser les bras en fronçant les sourcils, il va vous lancer des « non » péremptoires. Vous êtes, bête, idiot, laid, sans qualité, comme un enfant dit à sa mère qu’elle n’est pas belle ou qu’il ne l’aime plus. Il faut se conformer à ses attentes. S’il maltraite, il ne cherche pas forcément à détruire : il joue comme un enfant avec ses jouets, cassant pour le besoin du jeu ou pour se venger quand le jeu ne lui plait plus.
Il ne se sent jamais coupable. Rationnellement, il sait que faire souffrir les autres est interdit : il n’est pas fou. Mais pas question de se plier à la loi commune, la seule qui vaut est celle de son désir. Et quand il s’agit d’apprivoiser une proie, il sait se travestir en personnage attentif, généreux, attentionné. Il avance comme un caméléon pour s’adapter à sa victime et l’attirer dans ses filets.
Finalement, le pervers peut être comparé à un enfant tyrannique et dépendant : quand la proie décide de partir, il perd ses moyens, tombe malade, se plaint d’être incompris. Comme un enfant lorsque ses parents sortent le soir, il va réagir par l’agressivité, la colère et les pleurs, tout en redoutant le complet abandon. Au fond, il se déteste, assure Dominique Barbier. Enfant, il a subi un traumatisme initial : « Quelque chose en lui s’est cassé, stoppant ainsi un processus qui aurait dû être plus harmonieux. La relation à l’autre a été entravée trop tôt pour se construire. » Ce n’est pas qu’il soit incapable de déchiffrer les émotions d’autrui. Il s’en moque. Mais, dans la cruauté infligée à l’autre, se tient un message implicite : le monde est pourri, sale, de même que ceux qui le peuplent.
Comment les pervers piègent-ils ?
Les pervers ne sont pas de grands angoissés. Ils consultent rarement, sauf par calcul ou pour avoir la paix.
Le second rendez-vous n’a généralement pas lieu. Sauf si l’individu a décidé de s’amuser avec le psy. C’est surtout l’entourage que les thérapeutes rencontrent, car les pervers ont l’art de percuter l’intimité la plus secrète. Leur stratégie consiste à s’emparer de l’espace mental : la proie se met alors à douter des paroles entendues, des scènes vécues ; elle est en pleine confusion. Étymologiquement, pervertir, du latin perverto, signifie « renverser, ruiner, anéantir ». Les pervers anéantissent les pulsions de vie, les capacités à s’estimer. Ils réussissent à rendre honteux de soi-mêmes. Cela, grâce à leur génie pour mettre le doigt sur les zones de failles : le sentiment indélébile d’être une méchante fille ou un mauvais garçon, de ne pas être aimable, d’être inutile.