« Je ne devrais pas te dire ça mais j’ai tellement besoin de parler… »
« Je ne vais bien que lorsque tu es là, lorsque ta soeur et toi êtes à mes côtés »
« Je n’ai pas besoin de médicaments, je ne suis pas malade, c’est votre présence qui me soulage… »
« Tu diras à ta mère (ton père) que… »
« Tiens, c’est le chèque de pension, tu le fileras à « l’autre »… »
L’enfant pris au coeur du conflit parental et soumis à la violence psychologique qui en découle risque de se voir retiré par un de ses deux parents, le parent dit « toxique », sa place et son rôle d’enfant. Il devient alors messager, porteur de devoir, de responsabilités, et d’enjeux, qui ne lui incombent légitimement en rien, mais qui le contraignent sans qu’il en ait conscience.
Pris à parti, et à témoin, il se voit confier des « secrets », des « histoires de famille », que le manipulateur (la manipulatrice) sait arranger, modifier, inventer à sa guise et dans un seul intérêt : faire perdre tout crédit à l’autre parent pour gagner ses entières faveurs.
Il y a alors phénomène de parentalisation.
La parentalisation, ou parentification, est un processus qui amène un enfant ou un adolescent à prendre des responsabilités plus importantes que ne le voudraient son âge et sa maturation : il fait des efforts pour assurer le bien-être de ses parents et de ses frères et sœurs plus jeunes et pallier à leurs insuffisances .
Ainsi du parent qui n’aura de cesse de critiquer et de mettre le doigt sur les défaillances de son ancien conjoint – les défaillances, déviances parfois, étant d’ordre éducatif, psychologique, sexuel… « Ton père a eu une enfance difficile, c’est pour ça qu’il est ainsi, mais c’est dangereux pour toi et ça m’épuise. », « Ta mère a eu beaucoup d’amants… »
Pour l’enfant, c’est une violence immense d’entendre de tels messages transmis sur l’autre parent. Sa capacité de jugement lui ait retirée. Il est contraint de prendre position, d’avoir un sentiment, une opinion, sur des éléments dont il ne maîtrise ni la réalité ni la portée. Il n’est plus à sa place d’enfant, mais à celle d’observateur, de confident, de thérapeute. Il est à la fois le réceptacle et la poubelle des conflits, des colères, et des violences qui s’exerce entre adultes.
Il évolue avec une question : « Est-ce que c’est vrai ? »
Et une autre, sous-jacente : « Et si j’étais pareil (que le parent dénigré) ? »
Boris Cyrulnik qualifie l’adultisme de « mécanisme de défense » et de « stratégie relationnelle coûteuse ». Il ajoute encore que ça consiste pour l’enfant à « apprendre le déplaisir de vivre par responsabilité précoce ». L’enfant sort trop tôt de l’insouciance de l’enfance et apprend dès lors à prendre en charge et à protéger son ou ses parents suite à :
• une défaillance (maladie, dépression, irresponsabilité) ou
• une démission parentale (absence, abandon, absence de cadre ou règles changeantes).
Les conséquences sont nombreuses et interconnectées :
• manque de confiance en soi et en les autres avec évitement des conflits et difficulté à demander de l’aide
• problématique de place, de rôle (suite à l’inversion des rôles vécue dans l’enfance)
• quête de reconnaissance : ce qui l’amène souvent à trop donner, à vouloir sauver l’autre, à se conformer socialement (en se dénaturant)
• problématique liée au plaisir : difficile de s’accorder du temps, du repos, des cadeaux, de satisfaire ses besoins ou envies (souvent méconnus), etc… Ces adultes fonctionnent exclusivement par devoir et sont souvent coupés de leur ressenti.
• problème d’identité : par identification au parent défaillant (effondrement narcissique) qui propose une image dévalorisante et honteuse
• dépendance affective qui se manifeste soit par une tendance à la relation fusionnelle et exclusive (rêve d’être pris en charge), soit par la fuite ou l’évitement pour maîtriser la distance relationnelle
• pseudo maturité : image sérieuse mais maturité affective figée à l’époque de la prise en charge du parent. De ce fait, a plutôt tendance a être à l’aise avec des personnes plus âgées que lui. En fait, la juste maturité vient avec l’enseignement tiré des erreurs.
• besoin de contrôle et de maîtrise pour masquer un vide intérieur
Souvent autodidacte, on retrouve cet adulte dans les professions de soins et d’aide à la personne. Ainsi que le dit Jacques Salomé, on passe de « soi-niant » à « soignant ». Cela lui permet de rejouer son scénario de prise en charge et de rester loyal à ses parents tout en continuant à s’oublier. Il est en général attiré par des amis ou conjoints plus âgés car il ne sent pas en phase avec ceux de son âge. On le retrouve encore (plus tôt que la moyenne) dans les stages de développement personnel car il veut griller les étapes en comprenant intellectuellement plutôt qu’en se confrontant à l’expérience du ressenti.
Différents profils peuvent se retrouver chez l’enfant parentalisé :
- celui qui décide : L’enfant peut être tenté de prendre le pouvoir. Décider du déroulement de sa garde par exemple lui donnera le pouvoir de frustrer son parent de sa présence. Sous couvert de discuter, de partager, il impose son point de vue d’autant plus facilement s’il sent un fond de culpabilité chez son parent, lequel, pour compenser les souffrances dues à la séparation est prêt à tout accepter.
- celui qui protège : Lorsque l’enfant sent son parent au bord de l’effondrement il devient sa béquille, son soutien. Il se donne comme mission de sauver son parent, par loyauté d’abord, mais aussi parce que la séparation de ses parents lui a montré la fragilité des liens et qu’il a une peur viscérale de se retrouver seul. Enfin l’enfant peut se sentir responsable des souffrances infligées par son autre parent et chercher à réparer sa faute.
- celui qui contrôle : Parfois l’attachement parental est excessif et peut devenir aussi bien pour l’enfant que pour le parent un enfermement et une dépendance extrême. Chez ces enfants il est fréquent de retrouver des difficultés d’endormissement et un sommeil agité avec de nombreux cauchemars.
- celui qui devient partenaire de vie : être « tout » pour son parent peut sembler gratifiant pour l’enfant mais il ne peut s’opposer ou refuser une demande ce serait beaucoup trop culpabilisant, il est et doit rester l’enfant parfait. Position intenable et d’autant plus problématique que ce lien exclusif l’a découragé à investir d’autres soutiens, d’autres liens, nécessaires quand vient l’adolescence.
À lire : Stéphanie Haxhe, L’enfant parentifié et sa famille, Toulouse, coll.« Relations », Erès, 2013.
La chercheuse redéfinit les contours de termes fuyants qui font l’objet d’amalgames avec d’autres dénominations similaires comme la parentalisation. À l’inverse de l’enfant parentifié, l’enfant parentalisé ne prend pas la place du parent mais occupe plutôt un rôle d’auxiliaire dans la dynamique familiale. Un aîné issu d’une famille nombreuse doit par exemple veiller sur ses frères et sœurs. Il exerce des tâches parentales précises dans un contexte donné mais ne doit pas renoncer constamment à ses besoins individuels pour se dévouer corps et âme à son géniteur, comme c’est le cas lorsqu’il y a parentification.
Si elle n’est pas détectée et traitée le plus rapidement possible, la parentification peut profondément prendre racines dans le noyau familial pour se perpétuer sur plusieurs générations.
D’autres manifestations de la pathologie sont plus latentes et donc moins facilement détectables. C’est notamment le cas de l’enfant « parfait » qui s’efforce d’être le plus admirable possible pour nourrir son parent sur le plan narcissique et apaiser son sentiment d’auto-dévalorisation. L’enfant « parfait » passe en général inaperçu car en apparence, il ne semble rencontrer aucun problème alors qu’intérieurement, il est en proie à de fortes anxiétés et à une nervosité extrême. L’enfant « bouc-émissaire » constitue une autre forme de parentification. Selon les dires de Stéphanie Haxhe:« On n’en parle jamais alors que dans la clinique, quand on est thérapeute familiale, on en voit beaucoup. L’enfant bouc-émissaire a généralement un parent qui a subi des choses graves comme des abus sexuels, des maltraitances physiques ou morales. Inconsciemment, il va attendre de son enfant qu’il répare sa vision du monde, qu’il lui redonne confiance en la vie et qu’il efface l’ardoise de toutes les horreurs qu’il a vécues. » Cette relation est extrêmement destructrice sur le plan psychologique car l’enfant sera accablé par le poids de la culpabilité. Il va tout tenter pour redonner de l’espérance à son géniteur mais, la tâche étant tellement ardue voire impossible, quoiqu’il fasse… il sera toujours en échec à ses yeux et blâmé pour cela.
©Anne-Laure Buffet
L’article ne dit pas qu’il ne faut pas expliquer. L’article met en garde sur des formulations délicates à entendre. On peut dire la vérité. On la doit aux enfants. Mais pas dite n’importe comment.
Bonjour
Je suis très mal à l’aise avec cet article ; quand l’enfant a un parent violent il est normal de lui expliquer que ce qu’il a vecu n’est pas normal ; il est normal que l’enfant n’aie pas envie d’aller chez un parent qui le tape et il est normal que l’enfant soit attaché à l’autre parent ; ce genre d’article fait le bonheur me semble t il de parents violents qui arguent de l’aliénation parentale pour pouvoir continuer à exercer des violences sur les enfants.
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Bonjour,
Je ne suis pas d’accord avec tout ce que vous écrivez là.
Il est des situations délicates où il est nécessaire d’expliquer certaines choses aux enfants, quand les comportements sont violents.Si vous n’expliquez pas et ne montrez pas l’exemple, l’enfant se sentira toujours fautif et coupable. Il faut lui montrer qu’il y a des choses inacceptables.
On n’aliène pas un enfant en lui montrant la réalité.On lui donne les outils de réfleion pour qu’il aprenne tout seul par la suiteà faire tout seul la part du vrai et du faux. Sinon, comment peut-il se construire avec des fausses façades ?
Isabelle Nazare-Aga est ferme sur cete question, on n’aliène pas un enfant en lui expliquant certaines choses, tout dépend de son âge.Ma fille avait 13 ans, elle pouvait comprendre. Elle en aurait eu 7 ou 10 je n’aurai rien dit.
J’ai commencé à lui parler à 13 ans.
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merci, mais quand je dis réparation, c’est se positionner encore aujourd’hui dans la réparation des tords que ma mère a subis (la contenter, lui faire plaisir, lui tenir compagnie, lui rendre justice, lui donner la sécurité), or la vraie réparation à faire c’est réviser mon positionnement et ne rien chercher à réparer pour elle ou en elle, mais commencer à oeuvrer pour mes propres causes et intérêts, surtout quand ceux-ci rentrent en conflit avec ceux de ma mère, et que je les laisse tomber, en quelque sorte je me sacrifie, et je culpabilise quand je ne le fais pas.
C’est un long travail souvent épuisant mais nécessaire. Avoir conscience d’être dans la réparation est déjà une étape importante, car elle permet comme vous dites de combattre des habitudes et de ce fait d’avancer dans la reconstruction indispensable.
Bon courage. Amicalement
Ouf, cet article est troublant, je me suis sentie au d�but de mon adolescence parentalis�e par ma m�re qui se plaignait � moi de mon p�re. les sympt�mes qu’ils d�crivent, je les ai tous ressentis et je sens que je suis dans la r�paration encore auj, mais que je fais des efforts pour combattre les habitudes
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