COLLEGE BOY, LE DERNIER CLIP CONTROVERSÉ D’INDOCHINE

« College Boy » d’Indochine : les 3 raisons qui en font un manifeste contre l’indifférence
Par

Sociologue des médias

LE PLUS. Le groupe Indochine a choqué lors de la sortie de son dernier clip « College Boy ». Les images crues filmées par Xavier Dolan mettent en scène un adolescent torturé et crucifié par ses camarades de classe. Mais au-delà du visuel, comment faut-il interpréter ce message ? Décryptage de Nathalie Nadaud, sociologue des médias.

Clip de la chanson du groupe Indochine College Boy réalisé par Xavier Dolan et décrié pour sa violence (capture d'écran / montage Le Plus).

Clip de la chanson d’Indochine « College Boy » réalisé par Xavier Dolan et décrié pour sa violence (capture d’écran / montage Le Plus).

La violence contre le jeune garçon va crescendo. Elle commence par des brimades multiples (jet de boulettes de papier, saccage du casier etc.). Puis, c’est le passage à tabac assorti d’humiliations diverses, et enfin l’organisation d’une crucifixion dans la cour du collège.

Non seulement, on crucifie le jeune garçon, mais en plus ses persécuteurs lui tirent dessus avec des armes à feu, le tout devant un public qui regarde les yeux bandés.

1. La torture qu’est le harcèlement moral matérialisée visuellement

Les images sont dures, mais très révélatrices. En effet, elles matérialisent une violence que l’on préfère invisibiliser. La scène finale rappelle les exécutions publiques. Sauf qu’elles étaient faites pour être regardées afin de réaffirmer la puissance de la norme aux yeux de tous.

Ici, les visages sont tournés en direction de la crucifixion, mais les yeux sont bandés.  On peut comprendre ces images comme la représentation d’une société qui, à force de vouloir que tout soit aseptisé et lisse, en arrive à exécuter en place publique le déviant, mais en s’efforçant de rendre invisible la brutalité de l’acte.

Ainsi, lorsqu’il s’agit de harcèlement moral, au mieux on a tendance à ne pas écouter réellement la victime en minimisant ce qu’elle vit, au pire, on le nie totalement en la taxant de paranoïaque. De cette façon, on l’enferme dans une prison dont les murs sont faits de silence, d’indifférence et de solitude.

2. Briser l’indifférence quotidienne

Ce clip dénonce avant tout l’homophobie. Cependant, la violence qu’il montre peut s’appliquer à bien des cas. On peut par exemple penser au harcèlement moral au travail ou à la stigmatisation de n’importe quelle différence.

Il renvoie alors chacun à sa conscience en l’invitant à se demander si un jour il a pris part à ce genre de collaboration passive.

Avons-nous déjà opté pour l’aveuglement volontaire afin de ne pas troubler notre petit confort quotidien ? Avons-nous déjà ignoré des cris de détresse pour ne pas faire de vagues ? Ou combien de fois l’avons-nous fait ? Combien de fois avons-nous été lâches ? Autrement dit, coup de poing contre l’indifférence, ce clip peut également être interprété comme un rappel à la solidarité.

Ce clip est un coup de poing contre l’indifférence dans un autre sens. En effet, il suscite la polémique. C’est-à-dire qu’il fait parler. En cela, il peut contribuer à briser la spirale du silence dans laquelle les victimes de harcèlement ou de stigmatisation sont enfermées.

3. Des images chocs qui réveillent nos consciences

Le débat porte beaucoup sur le recours à la représentation de la violence. Est-elle contestable ?

Si l’on suit Kafka qui écrivait : « On ne devrait lire que les livres qui vous mordent et qui vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon lire ? Le livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous », on peut trouver justifiée l’utilisation de la violence. Car elle réveille le spectateur et l’invite à la prise de conscience.

Si l’on suit certaines campagnes de prévention routière, on peut également considérer que la représentation de la violence est utile. On se souviendra d’un spot publicitaire diffusé il y a quelques années dans lequel on voyait un groupe de jeunes en train de rire et de s’amuser en voiture, puis arrivait le choc de l’accident. Brutal. On voyait alors les mêmes jeunes morts. Leurs rires, leur insouciance, leur inconscience même étaient partis, fauchés par la mort. Le téléspectateur était laissé devant ce spectacle, invité à réfléchir à sa propre conduite.

En regardant ce clip, on prend un coup de poing certes, mais un coup de poing salutaire. De l’ordre de celui qui réveille la conscience assoupie dans les habitudes du quotidien.

Reste une dernière question : ces images peuvent-elles être vues par tous les publics ? Non, répondent les concepteurs du clip. Puisqu’ils le font précéder d’un message avertissant que certaines images peuvent heurter les plus jeunes. Et de manière plus générale, ce clip ne peut fonctionner qu’auprès de personnes en âge de réfléchir sur eux-mêmes en une prise de conscience.

Et vous, qu’en pensez-vous ?