Par
Nathalie Nadaud-Albertini, Sociologue des médias
LE PLUS. Le groupe Indochine a choqué lors de la sortie de son dernier clip « College Boy ». Les images crues filmées par Xavier Dolan mettent en scène un adolescent torturé et crucifié par ses camarades de classe. Mais au-delà du visuel, comment faut-il interpréter ce message ? Décryptage de Nathalie Nadaud, sociologue des médias.
Clip de la chanson d’Indochine « College Boy » réalisé par Xavier Dolan et décrié pour sa violence (capture d’écran / montage Le Plus).
La violence contre le jeune garçon va crescendo. Elle commence par des brimades multiples (jet de boulettes de papier, saccage du casier etc.). Puis, c’est le passage à tabac assorti d’humiliations diverses, et enfin l’organisation d’une crucifixion dans la cour du collège.
Non seulement, on crucifie le jeune garçon, mais en plus ses persécuteurs lui tirent dessus avec des armes à feu, le tout devant un public qui regarde les yeux bandés.
1. La torture qu’est le harcèlement moral matérialisée visuellement
Les images sont dures, mais très révélatrices. En effet, elles matérialisent une violence que l’on préfère invisibiliser. La scène finale rappelle les exécutions publiques. Sauf qu’elles étaient faites pour être regardées afin de réaffirmer la puissance de la norme aux yeux de tous.
Ici, les visages sont tournés en direction de la crucifixion, mais les yeux sont bandés. On peut comprendre ces images comme la représentation d’une société qui, à force de vouloir que tout soit aseptisé et lisse, en arrive à exécuter en place publique le déviant, mais en s’efforçant de rendre invisible la brutalité de l’acte.
Ainsi, lorsqu’il s’agit de harcèlement moral, au mieux on a tendance à ne pas écouter réellement la victime en minimisant ce qu’elle vit, au pire, on le nie totalement en la taxant de paranoïaque. De cette façon, on l’enferme dans une prison dont les murs sont faits de silence, d’indifférence et de solitude.
2. Briser l’indifférence quotidienne
Ce clip dénonce avant tout l’homophobie. Cependant, la violence qu’il montre peut s’appliquer à bien des cas. On peut par exemple penser au harcèlement moral au travail ou à la stigmatisation de n’importe quelle différence.
Il renvoie alors chacun à sa conscience en l’invitant à se demander si un jour il a pris part à ce genre de collaboration passive.
Avons-nous déjà opté pour l’aveuglement volontaire afin de ne pas troubler notre petit confort quotidien ? Avons-nous déjà ignoré des cris de détresse pour ne pas faire de vagues ? Ou combien de fois l’avons-nous fait ? Combien de fois avons-nous été lâches ? Autrement dit, coup de poing contre l’indifférence, ce clip peut également être interprété comme un rappel à la solidarité.
Ce clip est un coup de poing contre l’indifférence dans un autre sens. En effet, il suscite la polémique. C’est-à-dire qu’il fait parler. En cela, il peut contribuer à briser la spirale du silence dans laquelle les victimes de harcèlement ou de stigmatisation sont enfermées.
3. Des images chocs qui réveillent nos consciences
Le débat porte beaucoup sur le recours à la représentation de la violence. Est-elle contestable ?
Si l’on suit Kafka qui écrivait : « On ne devrait lire que les livres qui vous mordent et qui vous piquent. Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon lire ? Le livre doit être la hache qui brise la mer gelée en nous », on peut trouver justifiée l’utilisation de la violence. Car elle réveille le spectateur et l’invite à la prise de conscience.
Si l’on suit certaines campagnes de prévention routière, on peut également considérer que la représentation de la violence est utile. On se souviendra d’un spot publicitaire diffusé il y a quelques années dans lequel on voyait un groupe de jeunes en train de rire et de s’amuser en voiture, puis arrivait le choc de l’accident. Brutal. On voyait alors les mêmes jeunes morts. Leurs rires, leur insouciance, leur inconscience même étaient partis, fauchés par la mort. Le téléspectateur était laissé devant ce spectacle, invité à réfléchir à sa propre conduite.
En regardant ce clip, on prend un coup de poing certes, mais un coup de poing salutaire. De l’ordre de celui qui réveille la conscience assoupie dans les habitudes du quotidien.
Reste une dernière question : ces images peuvent-elles être vues par tous les publics ? Non, répondent les concepteurs du clip. Puisqu’ils le font précéder d’un message avertissant que certaines images peuvent heurter les plus jeunes. Et de manière plus générale, ce clip ne peut fonctionner qu’auprès de personnes en âge de réfléchir sur eux-mêmes en une prise de conscience.
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Comme l’explique Xavier Dolan, il ne fait que représenter en image ce que des milliers de jeunes voient chaque jour. C’est vraiment pratiquer la politique de l’autruche que de censurer ce clip. Ils feraient mieux de le promouvoir, d’en parler pour sensibiliser encore plus, cela éviterait peut être que des enfants de 9-10 ans se suicident après avoir été victimes d’intimidation ou de violences verbales et physique. Sous couvert d’une sois disant bienséance ou d’une piètre volonté de ne pas choquer la sensibilité, on masque plutôt une totale impuissance du gouvernement ou des autorités à faire cesser ce calvaire pour des milliers de personnes. Jamais à la télévision on ne verra de campagnes de publicité et de sensibilisation, jamais dans les lycée/collèges, des personnes viendront raconter leur histoire, leur parcours.. non, c’est trop dérangeant. En revanche nous montrer des publicités choquantes (et là pour le coup, ce n’est pas une opinion personnelle, c’est le nom de leur campagne « Campagne choc »), là ça ne dérange personne, il vaut mieux montrer quel fléau est la mortalité sur les routes où le gouvernement peut prendre des mesures et donc montrer qu’en apparence, il peut agir (radars, éthylotest, etc). En aucun cas je ne dis qu’il ne faut plus faire de campagnes pour la sécurité routière, certes il en faut, mais il en faut aussi pour l’intimidation. Et surtout, il faut être cohérent 5 secondes. Le CSA va autoriser des publicités choquantes d’un côté et censurer un clip qui est certes violent mais qui ne l’est pas plus que les jeux de guerre, les clips américains, les informations, et qui est là pour servir une cause parfois oubliée. C’est le moment de partager la lettre pour éviter la censure je pense..
Je n’ai pas trouvé ce clip trop violent. La mise à distance par l’esthétisme et le symbolisme est efficace pour illustrer le propos sans tomber dans le voyeurisme et la «violence gratuite» que certains, par manque d’intelligence, lui prêtent.
Ce clip est pertinent. Et d’autant plus louable que Xavier Dolan nous disait hier à la télé (en direct, pour ceux qui habitent au Québec, émission de Christiane Charette «125, Marie-Anne» à Télé-Québec) qu’il avait lui-même été intimidateur quand il était plus jeune ! Pas surprenant, il est tellement narcissique (!), mais ce virement de bord de sa part est une splendide «amende honorable» et une incontestable preuve que les intimidateurs, une fois sensibilisés, peuvent devenir de précieux agents d’éducation pour les autres. Bravo Xavier. Par ailleurs, sa réponse magistrale à Françoise Laborde (http://www.huffingtonpost.fr/xavier-dolan-/clip-indochine-lettre-ouverte-francoise-laborde_b_3223747.html) est un peu longue, mais oh combien juste et pertinente…
Je ne suis pas précisément une fan de Xavier Dolan, mais j’ai trouvé qu’il faisait ici œuvre utile.
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Ce garçon enfermé dans son « trop différent » a déjà intégré qu’il n’avait pas les mêmes >droits< que ses voisins.
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Désolé !
Ce que j’en pense ? Ce clip me touche et je dois confesser qu’il ne me choque pas car cette réalité est prégnante.
Je conçois fort bien qu’elle dérange les lâches comme les complices, les parents adeptes du déni comme les membres d’un système éducatif aux frêles épaules.
Ce garçon enfermé dans son « trop différent » a déjà intégré qu’il n’avait pas les mêmes que ses voisins. Combien de cas semblables pour les filles ? Lorsque la famille est aveugle, se cache ou se tait, l’enfant sait qu’il n’aura pas le droit pour lui. Le droit d’être, de dire, de pleurer, d’avoir une épaule bienveillante…
Les mêmes qui font cercle autour du leader, ne sachant qu’appréhender un esprit de corps trop facilement proposé, sauront apprécier la récompense dévolues aux veules à coup d’augmentations et de promotions.
Après les acolytes, que deviennent les harceleurs précoces ? Comment le professeur qui a eu la retenue de pas moufter considérera sa prochaine émotion ?
La réconciliation d’après-guerre et les haros sur le point Godwin auraient transformé la nature humaine à ce point ?
Au-delà du bruit autour de ce clip et des interrogations qui iront en se réfrénant, comment mesurer l’effet salvateur de cette vérité qui doit être proclamée encore et encore ?
En réaffirmant qu’un comportement ne disparaît pas de par l’effet d’une loi ? En mettant les harceleurs dans un inconfort constant ?
Nous ne voulons voir que ce que nous pouvons voir. Quand la torture quotidienne se mue en spectacle public (sa phase ultime, avec la reconnaissance du pouvoir), rajouter des balles et en dresser une croix passe pour une forme de modernité.
L’autorité vient donner le coup de grâce, venant réguler le courant dans le sens commun, justifiant l’aveuglement des bonnes gens confortés dans leur avachissement.
Supportant très peu, comment s’ouvrir à une souffrance plus grande ?
Pour la vraie souffrance, pure et chaste, voir avec le chevelu qui a tout pris une fois pour toute il y a bientôt vingt siècles.
L’autre qui souffre est désespérant avec sa prétention à déranger les bourreaux. Ils sont sûrs d’eux les bourreaux, ils nagent dans l’image de leur monde.
Si ce clip heurte les rombières et les bien-pensants, c’est déjà un minimum !
Nb: Il est bien ce Kafka, vraiment. Penser à relire la lettre à son père.