FICTION – EXTRAIT 4

Reflets - Twin lights

11 heures du soir. Je vais aller dormir. Me reposer d’une nouvelle journée à ne rien faire, de peur de faire ce qui déplairait. Ne rien faire m’expose à sa critique ; faire tout autant. Faire, tout simplement. Quoi que ce soit. Être là est déjà être de trop.
Il le fait sentir, par son silence. Il ne dit rien, il entre dans la pièce, et derrière lui ce courant d’air glacial. On dit que les flammes de l’Enfer sont brûlantes. Ce n’est pas vrai. Elles vous gèlent, elles vous paralysent, elles vous transforment en poupées de verre. Au moindre son, vous vous brisez.
Il entre, les mains dans les poches, sans un mot, sans un regard. Il observe scrupuleusement chaque détail, chaque objet, chaque recoin, cherchant un indice, un élément qui justifierait une nouvelle colère, de nouveaux reproches. Il n’y a rien de différent depuis ce matin ; un peu plus de poussière, même l’aspirateur devient difficile à passer.

Pourtant, je tremble. Je redoute ce qu’il pourrait dénicher en ne trouvant rien, car le rien lui est suspect. Même le rien sème le doute. Il sent mes tremblements, mes hésitations. Vers chaque endroit où il porte son regard, j’en fais autant, priant un Dieu qui semble s’être absenté qu’aucun détail ne puisse provoquer ses réflexions.
–       Qu’as-tu fait aujourd’hui ?
Que répondre ? Un aveu de faiblesse, de nullité ? Un mensonge ? Inventer une histoire que j’oublierais demain, pure fantaisie pour gagner quelques instants ? Mais que lui n’oubliera pas. Un jour ou l’autre, il m’en parlera ; je ne saurais plus ce que j’ai dit. J’ai vu une amie, oui, peut-être, je ne sais plus… « Tu ne sais plus ? Tu vois, c’était un mensonge… Que me cachais-tu ? » Je ne cache rien. Je ne mens pas. Je n’ai rien à dire. Ma journée est vide. Tous mes jours sont vides. J’attends le soir, et j’en ai peur telle une enfant qui voit la nuit tomber et les loups menaçants qui pourraient venir la dévorer.
Il se penche, bouge un papier sur la table basse. Une enveloppe. Il la prend, la dévisage comme une ennemie. En sifflotant. Il ne sifflote aucun air en particulier ; il sifflote des notes perçantes. Longtemps je vais l’entendre siffloter. Longtemps, même lorsque nous ne serons plus ensemble.
Il tient cette enveloppe. Je ne sais plus de qui elle provient. J’essaie de me concentrer, de me calmer. Ça ne peut pas être important. Ça ne peut pas être répréhensible.

–       Où est-il ?

Je le regarde sans comprendre.

–       Où est le relevé de banque ?

Un relevé. Dans l’enveloppe c’était un relevé. Rien d’important.

–       Rangé, avec les autres.
–       Rangé, sans que je le vois ? Tu as des dépenses à dissimuler ?

Il a trouvé. La raison de parler. La raison de me mettre au pilori, un soir de plus. Une evidence, comme disent les anglais. Evidence, faux-ami. Une evidence qui ce soir me trahit, m’asseyant un soir de plus sur le banc des coupables. Je n’essaye même pas de parler. Je ne devrais pas avoir à me justifier d’avoir, simplement, rangé. Je vais devoir le faire. Et chaque mot que je dirai sera décortiqué pour me punir encore un peu plus.

Une réflexion sur “FICTION – EXTRAIT 4

  1. Cela me rappelle de mauvais souvenirs. C’est criant de vérité. Je valide !

    Ce qui m’étonne le plus c’est d’avoir subi aussi longtemps. Ce qui m’afflige, c’est de n’avoir rien vu, de n’avoir pas pris de recul. Quand l’éducation nous tient, nous emprisonne {emprise}, quand les parents dé-forment leur enfant… Autant d’abus de positions dominantes qui me révulsent, quitte à enrayer mes relations professionnelles aujourd’hui tellement mes réactions peuvent engendrer des incompréhensions. Cela a affaire avec ma sensibilité … mais je la garde.

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