Cet article est au sommaire du hors série n°3 du magazine Le Cercle Psy, intitulé « La parole aux patients » (vous pouvez le commander sur ce site).
Harcèlement moral – le point de vue des associations
C’est en 1998 que la psychiatre et psychanalyse Marie-France Hirigoyen publie « Le harcèlement moral : la violence perverse au quotidien »(1). Vendu à plus de 500 000 exemplaires, cet ouvrage a permis de mettre en lumière ce concept jusque là méconnu, et a même inspiré la loi de 2002 qui institue le harcèlement moral comme un délit. Marie-France Hirigoyen définit le harcèlement moral au travail comme « toute conduite abusive (gestes, paroles, comportement, attitude…) qui porte atteinte, par sa répétition ou sa systématisation, à la dignité ou à l’intégrité psychique ou physique d’une personne, mettant en péril l’emploi de celle-ci, dégradant le climat de travail ». Les enquêtes mesurant l’ampleur du phénomène sont rares. Plus d’un salarié sur cinq (21,7%) se disait victime d’au moins un «comportement hostile» au travail en 2010, selon la dernière enquête Sumer réalisée par des médecins du travail. Ils étaient un sur six (16,3%) en 2003. Si le terme de harcèlement moral est souvent utilisé dans le contexte professionnel, cette forme de violence se manifeste aussi dans la sphère privée. La violence psychologique exercée au sein du couple ou par un ancien conjoint est reconnue par le droit français depuis 2010. Elle est définie comme « des actes répétés, qui peuvent être constitués de paroles et/ou d’autres agissements, d’une dégradation des conditions de vie entraînant une altération de la santé physique ou mentale. »
Que pensent les associations de la prise en charge du harcèlement moral par les psys?
Marie-Claire Maillotte-Bach est co-fondatrice de l’AVIP, association qui propose un accompagnement aux victimes et aux entreprises confrontées à des problématiques de harcèlement (2). Elle pointe la nécessité, pour les psychologues qui interviennent dans ce domaine, d’avoir des connaissances solides à la fois sur le monde de l’entreprise et sur les mécanismes du harcèlement, sous peine de commettre des erreurs d’appréciation:« certains praticiens ignorent tout de ce qui peut se passer dans une entreprise et vont confondre un harcèlement avec un simple conflit entre collègues. D’autres vont à l’inverse diagnostiquer un harcèlement alors qu’il s’agit davantage d’une difficulté à vivre le changement. D’autres vont parfois trop vite dans la responsabilisation de la victime, oubliant que l’emprise a fonctionné grâce à une culpabilisation excessive ».
Anne-Laure Buffet préside l’association CVP – Contre La Violence Psychologique qui propose un accompagnement aux victimes de violences psychologiques. « Nombreuses sont les victimes qui contactent notre association après avoir consulté un psy qui n’a pas su leur apporter l’écoute et le soutien dont elles avaient besoin », observe t-elle. « Les psychologues et psychiatres ne sont pas suffisamment formés sur le sujet. Par exemple, certains praticiens encouragent des patients à maintenir une relation avec leur harceleur, sous prétexte que celui-ci fait partie de leur famille et qu’il faudrait préserver ces liens familiaux qui auraient quelque chose de sacré. Or, dans une situation de harcèlement, la première chose à faire, c’est de rompre tout contact avec le harceleur. Pour une meilleure formation des praticiens, il faudrait multiplier les expériences de terrain, les stages en associations, au plus près des victimes. »
Anne-Laure Buffet considère également que les thérapies d’orientation analytique ne sont pas adaptées à la prise en charge des victimes de harcèlement. « Des approches comme les TCC et la PNL me semblent plus appropriées. » Un point de vue qui rejoint celui de Marie-Claire Maillotte-Bach : « Certains thérapeutes expliquent à leur patient qu’il convient de comprendre ce qui se joue ou se rejoue de leur enfance alors que la première étape est souvent une sortie de crise bien accompagnée par un comportementaliste, un coach. Le champ du pourquoi peut être investi dans un deuxième temps. »
Dans son ouvrage sur le harcèlement (1), Marie-France exprime un point de vue similaire et explique pourquoi elle considère que la cure psychanalytique n’est pas adaptée aux victimes de harcèlement moral : « Une cure psychanalytique type n’est pas adaptée à une victime encore sous le choc de la violence perverse et des humiliations. (…) Son protocole rigide (…) peut entraîner une frustration insupportable chez une personne qui a souffert d’un refus délibéré de communication, et l’amener à identifier le psychanalyste à l’agresseur (…) Lorsqu’on commence une psychotéraphie dans un contexte de harcèlement, il ne faut pas chercher d’abord à savoir pourquoi on s’est mis dans cette situation, mais comment en sortir immédiatement. (…) Il faut d’abord panser les blessures, l’élaboration ne pourra venir que plus tard, lorsque le patient sera en état de réinvestir ses processus de pensée. »
Un rôle de prévention?
Les psychologues ont peut-être également un rôle à jouer dans l’information et la sensibilisation du grand public. « Ces dernières années, « les pervers narcissiques » ont été très à la mode dans les médias », observe Anne-Laure Buffet. »Il a été dit tout et n’importe quoi à leur sujet, et cette désinformation ne sert pas les victimes. »
Pour Patrick Bertoncelli, président de l’Association des victimes de harcèlement moral, psychologique et sexuel dans le cadre du travail (4), « la lutte contre le harcèlement au travail passe nécessairement par la prévention dans l’entreprise. » Là aussi, les psychologues ont un rôle important à jouer, notamment par des actions de sensibilisation et de formation auprès des managers, salariés et représentants syndicaux.
« Quand on aborde ce sujet, il faut rester vigilant quant à l’utilisation des termes « harcèlement », « harceleur », « victime », car le harcèlement moral est une notion clairement définie d’un point de vue juridique », tient dans un premier temps à préciser Johan Pain, psychologue clinicien.
Comment les psychologues réagissent-ils aux propos d’Anne-Laure Buffet, qui nous a expliqué recevoir régulièrement dans son association des personnes qui ont subi des violences psychologiques et « ont consulté un psy qui n’a pas su leur apporter l’écoute et le soutien dont elles avaient besoin »?
« En effet, de nombreux patients se plaignent de l’absence d’écoute de certains praticiens qui ne comprennent pas toujours leur détresse. Le harcèlement moral est rarement caractérisé, seul le symptôme est traité, l’origine du problème étant réduite à de simples problématiques relationnelles », regrette Anne-Christine Jourdan, psychologue du travail et psychothérapeute.
Christiane Kreitlow, psychologue clinicienne et psychotérapeute spécialisée dans la thérapie de victimes de harcèlement moral, souscrit aux propos d’Anne-Laure Buffet. « J’ai en effet vu des patients qui se sont rendus chez des praticiens peu au fait de ce type de violence et, excusez-moi l’expression, un peu « à côté de la plaque »! Mais s’agit-il de formations insuffisantes, ou bien de résistances ? La psychologie clinique en France est très cloisonnée et organisée en chapelles; il existe de véritables dogmes qui entravent les échanges de bons procédés et de connaissances. Il faudrait donc, au sujet du harcèlement, s’attaquer aux problèmes de la formation, de la banalisation (car elle existe même chez les praticiens) et aux résistances des professionnels de la santé. Je souhaite néanmoins apporter un petit bémol à ce qui a été dit sur la séparation avec l’agresseur : d’après mon expérience, cette séparation ne se décrète pas comme ça. Certaines personnes/victimes ne sont pas forcément prêtes d’emblée à faire ce pas, et il faut le prendre en compte dans le travail thérapeutique. »
En matière de prise en charge des victimes de violences psychologiques, y aurait-il des méthodes ou orientations thérapeutiques plus adaptées que d’autres?
« En effet, comme il a été dit, il est important de pallier au plus urgent: amener le patient à s’extraire de son environnement anxiogène », explique Anne-Christine Jourdan. « Pour ce faire les TCC et la PNL sont en effet bien adaptées. J’ajouterais aussi l’hypnose Ericksonienne que j’utilise au même titre que la PNL. Le harcèlement moral entrave l’intégrité des personnes qui en sont victimes, et les amène à se remettre en cause jusqu’à ne plus avoir confiance en elles. L’orientation analytique est à mon sens inadaptée car elle amène inéluctablement les personnes à tisser un lien entre ce qu’elles vivent et leur histoire, ce qui peut les amener à se sentir coupables de ce qu’elles vivent, et donc renforcer leur mal-être. Il importe avant toute chose de les déculpabiliser, de mettre en valeur tout leur potentiel et leurs ressources, qui leur serviront pour entrevoir leur avenir sous un angle plus positif. »
Selon Christiane Kreitlow, « il faut faire attention à ne pas tomber dans ce travers qui consiste à monter une approche contre une autre. La compréhension et la prévention de cette violence se situent au carrefour d’approches nécessairement pluridisciplinaires. La question éthique reste pour moi au centre et elle concerne toutes les approches thérapeutiques. Le harcèlement force le thérapeute à sortir de son référentiel, de ses repères usuels. Psychanalyste de formation, comme d’ailleurs Marie-France Hirigoyen, je ne tomberai pas dans le travers de soigner la victime de harcèlement par l’approche psychanalytique. Effectivement ce serait contre-productif. Reste qu’une fois quitté l’Hexagone, on constate que la littérature psychanalytique a su apporter une pensée féconde quant aux questions de la domination, de l’aliénation et de la violence éducative, comme le montrent les écrits d’Alice Miller. Poser la question en termes de méthode, même si la méthode compte, nous fait courir le danger de croire qu’une méthode peut réguler une violence dont les origines et motivations sont complexes. C’est courir le danger de produire des « thérapeutes techniciens » dotés d’une piètre conscience. La lutte contre le harcèlement moral est un engagement militant. C’est une problématique qui pose, rien que dans le couple, des questions liées à l’éducation, au genre, à l’organisation sociale, au rapport à l’autorité, à la soumission apprise, au masculin et au féminin… Cela va bien plus loin qu’une question de méthode. «
Notes
1 – Le harcèlement moral, la violence perverse au quotidien, Marie-France Hirigoyen, éditions La Découverte & Syros, 1998.
2 – Plus d’infos sur le site de l’association : cvpcontrelaviolencepsychologique.com
Hors série – Harcèlement moral : les réactions des psys