ETRE THERAPEUTE AUPRÈS DES VICTIMES DE VIOLENCE INTRAFAMILIALE

Au mois d’août 2016, deux articles parus dans Maxi, dans la colonne « L’avis de l’expert ». 

Thérapeute spécialisée en violences intra familiales, il faut bien sûr accompagner les victimes pour leur permettre de trouver les clés pour lutter contre ces violences, mais également pour reconstruire ce qui est le plus abîmé, voir détruit : la confiance en soi, sujet très particulier des attaques des personnalités toxiques.
En effet la confiance en soi est un atout, une arme contre la toxicité. L’atteindre, lui nuire, la réduire à néant, empêche le combat de la victime qui se retrouve démunie et se croit interdite de toute réaction.
Il est donc indispensable non seulement de permettre cette lutte contre les violences intrafamiliales, mais aussi d’être présent, à l’écoute, et dans l’aide, lors de la reconstruction des victimes.
Anne-Laure Buffet – Coach et Thérapeute – Présidente de l’association CVP

Comment vivre sereinement après la violence ? 

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Comment retrouver l’estime de soi ? 

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GROUPE DE DISCUSSION : LA RECONSTRUCTION – COMPTE-RENDU

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Hier, samedi 5 décembre, le groupe de discussion CVP s’est réuni autour du thème : La reconstruction.
Un groupe où nous nous sommes retrouvés très nombreux – et à tous, un grand merci pour votre confiance et votre présence. Pour les partages aussi, avec, toujours, ces émotions qui sont autorisées, ces expériences qui se rencontrent, ces regards bienveillants. En voici un bref compte-rendu.

Nous avons commencé le groupe avec la projection de la bande-annonce du film Sous la peau, réalisé par Katia Scarton-Kim et Nadia Jandeau. Ce film – fiction met en scène 5 sœurs qui se retrouvent le jour de l’anniversaire de leur mère. Chacune, à sa manière, a connu la maltraitance maternelle. Chacune en porte encore des cicatrices et des blessures cachées, tues ou inavouées.

Un film aussi dur que juste, intime et pudique, où la souffrance et la maltraitances s’invitent, se racontent, sans jamais se justifier.

Katia Scarton-Kim, présente lors de notre groupe de discussion, a raconté l’origine de ce film : l’envie, le besoin de comprendre ces maltraitances familiales qui apparaissent parfois dans les faits divers, mais qui le plus souvent sont cachées et tues ; et qui, invisibles détruisent une famille, parfois sur plusieurs générations.

Le film SOUS LA PEAU sera projeté au cinéma le St André des Arts, à Paris à partir du 6 janvier 2016.

Semaine du 6 au 13 janvier : tous les jours à 13h, sauf le mardi
Semaine du 20 au 27 janvier : les MARDI, à 13h

Les projections seront suivies d’un débat.

Le 8 janvier et le 26 janvier, ces débats seront animés par Anne-Laure Buffet

Le groupe s’est poursuivi sur ce thème : la reconstruction. Reconstruction, pour certains renaissance, pour sortir de ce schéma dépersonnalisant de l’emprise. Renaissance car une victime objetisée cherche à retrouver sa personnalité, son identité, son humanité. Renaissance également puisqu’il faut accoucher de soi, se mettre au monde, naître à nouveau, là où la violence était destinée à tuer, que ce soit psychiquement et/ou physiquement.

Et cette reconstruction, ou cette renaissance, n’est pas possible sans qu’une démarche se mette en place, celle de dire Stop, celle de dire non à ces violences, celle de les fuir. Fuir, non par lâcheté, mais par courage, par envie de vivre. Fuir avec un instinct de survie. Parfois, pour certains, sans savoir où aller, en abandonnant tout, maison, famille, profession… « Je suis partie sans rien et sans savoir où j’allais, mais je suis partie, j’ai réussi à partir ! »

Fuir ne suffit pas. Il faut accepter une autre facette qui compose la violence : accepter la guerre dans laquelle l’agresseur fait entrer. Car il s’agit bien d’une guerre, et elle se mène d’autant plus facilement qu’aucune victime ne souhaite, ne cherche le conflit. Pourtant c’est une guerre bien réelle avec un seul objectif : la mise à mort, la disparition de la victime. Nier cette guerre, c’est encore nier l’emprise, c’est nier la manipulation, c’est nier la dangerosité de l’agresseur. Etre dans cette guerre, c’est chercher les armes, les armes adéquates pour répondre aux attaques de l’agresseur. C’est être « guerrier(e) », terme cité hier par une participante du groupe : « Je suis devenue une guerrière ».

C’est comprendre aussi l’importance du temps. Le temps nécessaire pour faire son deuil d’un amour qui n’a jamais existé. Le temps nécessaire pour se retrouver, se reconstruire, renaître. Pour apprendre comment se comporter face à la violence et face à l’agresseur. Pour mettre en place un schéma protecteur, des limites, un « territoire » propre à soi, individuel, qui appartient pleinement à chaque victime, dont elle est à la fois maître et responsable.

C’est accepter également le temps de la justice qui n’est pas celui des hommes. Une procédure est à la fois longue et couteuse. Durant tout le temps de cette procédure, rester concentré(e) sur la décision à venir est un nouveau frein, un nouvel empêchement. C’est un temps qu’il faut essayer de mettre à profit. C’est un temps qui peut devenir un allié, un atout, lorsqu’il n’est pas vu comme un ennemi.

Chaque jour, chaque heure est un défi à relever. Et chaque défi relevé devient une petite victoire. Ce sont ces victoires qu’il faut savoir observer et plus encore, dont il faut savoir se réjouir. Les personnes victimes de violences psychologiques doivent avoir de la compassion, pour elles-mêmes. Les pas se font lentement, petit à petit. Et les rechutes sont possibles. Sortir de l’emprise est long et douloureux. Partir ne suffit pas. On ne construit rien rapidement, rien de stable. On ne met rien au monde facilement. Mais lorsque la naissance a lieu, on se réjouit, et l’on observe cette vie avec une fierté sereine et légitime.

Il faut enfin accepter le temps de la société, le temps des tiers, le temps des autres. Ceux qui sont indirectement manipulés, dans l’entourage, sans pouvoir comprendre, sans avoir de faculté de recul. Ceux qui s’éloignent, tournent le dos, ou se taisent, témoins muets et aveuglés des violences vécues. La douleur qui vient lorsque la victime ne peut pas parler, n’est pas entendue, est – souvent – incomprise, est une nouvelle souffrance, vécue comme une injustice. On l’appelle la double peine. Double peine car la victime se trouve à nouveau jugée, à nouveau accusée, à nouveau condamnée, souvent abandonnée, pour des faits, des comportements, des pensées qu’elle n’a jamais commis, jamais actés, jamais eues.

Pour tout cela, il faut pouvoir dire. Pourvoir raconter, avant même de pouvoir être entendu(e). Il faut se croire – ce qui est si difficile lorsque l’emprise ne sème que le doute et le brouillard. Il faut utiliser les mots, les mots justes, objectivement. Il faut savoir laisser sa pudeur et ses émotions de côté, le temps de dire, pour être écouté(e) et compris(e), pour pouvoir être défendu(e).

Ecrire… un exercice souvent difficile mais très utile pour retrouver son identité, pour expulser ce qui fait souffrir, pour avoir les paroles adéquates. Un exercice qui peut être fait seul(e), ou accompagné(e).

Lors du groupe, Dominique Giudicelli, biographe et thérapeute, a présenté les ateliers d’écriture qu’elle proposera bientôt, afin d’accompagner dans ce travail d’écriture. Les informations concernant ces ateliers vous seront communiquées prochainement.

La parole est essentielle, elle est libératrice et salvatrice. Elle est ce dont chacun(e) est privé(e). Et c’est à chacun(e) de se l’approprier à nouveau.

Le prochain groupe de parole aura lieu le samedi 9 janvier. Son thème : l’aliénation parentale – lorsque le parent est nié, rejeté, par ses enfants manipulés par un conjoint malveillant. Comment se met-elle en place, quels sont ses effets, quelles sont ses conséquences, comment la combattre ?

A nouveau, un grand merci à toutes et tous. Un grand bravo pour cette volonté de vivre librement. A tous, du courage, de la volonté, de la force, et de l’amour retrouvé de vous-même.

Pour finir ce petit compte-rendu, le texte de Rudyard Kipling « If »… pour parler à chaque enfant resté caché, brisé, interdit d’être en l’adulte victime de violence psychologique.

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frères,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur ;
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être que penseur ;

Si tu sais être dur, sans jamais être en rage,
Si tu sais être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral et pédant ;

Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois les Dieux la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut bien mieux que les Rois et la Gloire,
Tu seras un homme mon fils !

Rudyard Kipling

QUESTION DE TEMPS

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©Agnes Baillon

« J’ai honte,  je ne vous ai pas donné de nouvelles depuis longtemps. »

« Vous devez penser que la folle c’est moi, puisque je vous ai demandé des conseils, et ensuite j’ai disparu… »

« Vous avez raison, mais je n’ai pas voulu vous écouter. Aujourd’hui, je me rends compte que j’ai pris beaucoup de retard, et que j’aurais pu agir beaucoup plus rapidement. Peut-être que mes enfants auraient été plus protégés. »

« je vous ai beaucoup sollicitée l’année dernière ; après je suis resté silencieuse. Pourtant j’ai appliqué vos conseils et les choses ont changé. Est-il possible de reprendre un rendez-vous et d’en parler… »

À quelque chose près, voici le genre de phrase qu’il m’arrive d’entendre régulièrement au téléphone, lorsqu’une personne en souffrance, ou au moment de sa prise de conscience, me contacte à nouveau.

Il faut admettre, que ce soit en tant que thérapeute, en tant qu’avocat, entend que personnel soignant, ou encore tout simplement comme proche comme membre de la famille ou en tant qu’ami, une personne qui se retrouve confrontée à de la violence psychologique a besoin de temps pour admettre que ce qu’elle perçoit est LA vérité. Lorsque l’on commence à comprendre la situation que l’on traverse face un conjoint ou un parent dont les comportements sont toxiques, l’acceptation prend nécessairement du temps, et d’autant plus de temps que la relation d’emprise s’est installée dans la durée, ou encore qu’elle est liée un affect particulier. L’acceptation en tant que conjoint, compagne, ou amis, ne peut être la même que celle d’un enfant, même devenu adulte, qui prend conscience des comportements maltraitants et toxiques d’un de ses parents, ou des deux.

Avant même la prise de conscience, il existe un sentiment, diffus, et pour autant étouffant. La personne confrontée à la violence psychologique ressent cette violence sans pouvoir la nommer, sans pouvoir la palper. Elle sait que ce qu’elle vit n’est pas normale, elle s’est que les choses devraient être autrement, et pour autant elle semble paralysée. L’un des facteurs qui causent cette paralysie elle a peur. L’autre, le plus important à ce stade, elle doute. La question qui revient le plus fréquemment est : « ai-je raison de me méfier ? Ai-je vraiment conscience de ce que je vis ? Ai-je raison de me sentir victime ? Est-ce qu’on est victime toute sa vie ?… »

C’est souvent à ce stade que les premières interrogations sont formulées. La personne en souffrance se tourne alors vers ses proches, quand elles le pourront encore, vers sa famille, vers des professionnels. Pour autant elle a encore du mal à exprimer ce qu’elle ressent. Il faut alors être particulièrement à l’écoute, savoir entendre entre les mots, ou comprendre entre les lignes, pour tenter d’apporter la première réponse la plus réaliste et la plus objectif possible à celui ou celle qui se trouve alors dans le questionnement. Il ne faut jamais non plus perdre de vue que cette personne vient avec un questionnement, mais que la réponse à son questionnement peut bouleverser l’intégralité de sa vie, de ce qu’elle a mis en place, de ce qu’elle a construit, même si cela la fait souffrir au quotidien.

Aussi, lorsqu’il est dit à cette personne qu’elle a parfaitement compris ce qu’elle vit, qu’elle a parfaitement raison de vouloir de nommer comme de la maltraitance ou de la violence psychologique, ou encore comme de la manipulation et du harcèlement, quand il faut lui dire qu’elle est effectivement victime de comportement toxique qui à terme l’amèneront à une destruction psychique voire physique, qui dans certains cas la pousseront aux tentatives de suicide, il faut à la fois être lucide, prudent, patient, toujours dans l’écoute, essentiellement dans la compréhension et l’acceptation du temps qu’il va falloir à  ladite victime pour être dans l’action positive et combative dans son intérêt, et souvent celui de ses enfants.

Si les paroles formulées par un proche ou encore par un professionnel peuvent être brusque pour la victime, il n’est pas pour autant question de la brusquer. Il est question de l’amener à une prise de conscience, de l’amener à accepter que ce qu’elle ressent est la réalité. Il n’est pas question de la forcer à une action dont elle n’est pas encore capable.

Aussi, il peut arriver que des victimes se présentent, avec une bonne conscience de ce qu’elle traverse, capable d’exprimer leurs souffrances, leurs craintes, et leurs besoins que la situation, leur situation, soit qualifiée.  Elles en ont besoin car c’est un premier pas vers la réhabilitation, vers le sentiment d’exister, ce qui est totalement retiré à une victime de violences psychologiques.
Cela dit, une victime en grande souffrance qui prend conscience ou qui est amenée à prendre conscience de ce qu’elle traverse, se retrouve face à un abîme : que faire ? Quelle action doit être menée ? Comment agir ? Comment sera demain ? Et ce qui contraint essentiellement sa réflexion c’est la peur, et même la terreur, que le harcèlement et les violences ne cessent jamais, et au-delà de ça être incapable de pouvoir se reconstruire.

C’est pour cela que de nombreuses victimes, alors que l’entourage ou les professionnels les informes, les accompagnent, tente de leur offrir les conseils et l’aide des plus judicieux possible, semble s’enfermer dans une situation de souffrance pourtant exprimée, et donne le sentiment à ce qui les observe de ne rien faire, voir même de se complaire dans cette situation.

Porter un tel regard sur les victimes : « finalement, ça doit bien lui convenir. Elle devrait arrêter de gémir, elle devrait se prendre en main. Il y a sûrement des choses à faire, mais elle ne le fait pas… » ne fait qu’aggraver la souffrance, ne fait que participer à la violence psychologique déjà en place, ne fait que condamner une fois de plus ladite victime. Entre le moment où pour la première fois l’exprimer sa souffrance et sa peur, et le moment où elle va mettre en action et en œuvre ce qui va lui permettre de se libérer de se reconstruire, il peut se passer des mois, parfois des années. Des mois, des années qui seront alors faites de silence, de repli, pendant lesquelles la victime peut se renfermer d’autant plus. C’est souvent dans cette période-là que les proches se retirent ou s’éloignent, paradoxalement c’est dans cette période-là qu’il faudrait qu’il soit le plus présent, aussi difficile que ce soit, aussi incompréhensible que ce soit.

Et si parfois la victime peut se montrer un peu « envahissante » par ce qu’elle a particulièrement besoin d’aide à un moment précis, et que la même victime, semble ensuite se renfermer ou se taire, lui fermer la porte ne plus vouloir l’écouter lorsqu’elle revient, c’est la condamnée. Il faut essayer de se mettre un petit instant à la place de cette victime, essayer de comprendre son fonctionnement et son psychisme. L’un des sentiments les plus présents chez les victimes de violences psychologiques et le doute. L’incompréhension. Et la honte. Honte de vivre, de « supporter » ce qu’elle supporte, honte de ne pas réagir, (car elle pense qu’elle devrait en avoir les moyens…), Honte d’avoir demandé de l’aide, d’avoir le sentiment d’avoir dérangé, et en ces temps tu d’avoir fait preuve d’ingratitude ou de lâcheté.

Ce qui doit rester essentiel, c’est cette volonté qu’elles manifestent de nouveau non seulement de comprendre, mais aussi et surtout d’être aidée, d’être accompagné, de s’en sortir, de mettre en œuvre l’essentiel pour dire enfin stop ! à la violence subie.

Ainsi, à toutes celles et ceux qui ont prient contact avec des amis, avec de la famille, avec des professionnels, à toutes celles et ceux qui ont demandé  de l’aide, qui ont appelé « au secours », puis qui se sont tus, il est urgent de dire : « n’ayez pas honte ! N’ayez pas honte du doute qui vous a habité, n’ayez pas honte du temps passé, n’ayez pas honte d’être devenu mutique ou taiseux. » et ce qu’il est encore plus urgent de leur dire, c’est : « bravo ! Le temps passé est passé, ce qui compte aujourd’hui c’est que tu veuilles transformer ton présent et ton avenir. Et n’oublie pas si on ne peut modifier le passé, le futur construit le présent. »

N’ayez pas honte. La famille, les amis, mais encore plus et surtout les professionnels, avant tout, sont à même de comprendre. Et doivent comprendre. Ils ne sont pas là pour juger, ils ne doivent jamais juger. Ils doivent répondre présent.

©Anne-Laure Buffet

ÊTRE UNE PERSONNE, ET NON UNE VICTIME

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Une fois de plus je ne peux m’empêcher de constater que les livres, articles, sites, blogs et autres vecteurs de communication et d’information regorgent de textes sur les pervers narcissiques. À tel point que du pervers narcissique « réel », de cette déconstruction du psychisme avérée menant à l’emprise sur un individu et à sa destruction, on en vient à des descriptions parfois très éloignées de la réalité.

Il n’est donc pas inutile de préciser une fois de plus qui ne sera pas de trop que la perversion narcissique n’est pas une pathologie. Elle n’est pas le fait du premier abruti caractériel venu. Elle ne se matérialise pas par quelques insultes et trois ou quatre reproches. Elle procède d’un schéma bien précis, elle possède un objectif bien défini : s’accaparer l’autre, le dépersonnaliser, le mener à sa perte voir à sa mort, psychique, parfois physique. Elle s’inscrit dans le temps en suivant un processus parfaitement établi et implacable. Elle mime le sentiment et l’émotion, mais en est totalement dénuée. Elle n’accepte ni joie, ni plaisir, si sympathie, ni bonheur. Elle n’est motivée que par l’envie, la colère et la jalousie. Elle s’indigne injustement d’un vide bien réel, un vide d’empathie, un vide d’humanité.

Et la victime dans tout cela ?
La victime, celle dont on parle le moins.
Celle à laquelle on s’intéresse le moins.
On guette le monstre et on l’observe, on dénonce ses faits, on crie au scandale devant la difficulté à le démasquer, et à être entendu en justice.
Mais la victime ? La victime, cette personne qui fut repérée, choisie, puis possédée par la personnalité toxique. Qui s’est laissée ferrée sans s’en rendre compte, sans même en avoir la possibilité. Celle qui se blâme d’être à la fois faible, lâche et coupable, alors que ce sont ses forces et sa personnalité qui, bien malgré elle, l’ont menée dans les filets du « bourreau ».

La victime… En la désignant ainsi, la victime est à la fois reconnue et une fois de plus dépersonnalisée, pour être englobée dans un ensemble. La victime, qui se bat pour se sortir de l’emprise et se reconstruire, ne regagne toujours pas son individualité, tant qu’elle est ainsi désignée.

Or la victime a avant tout besoin qu’on lui rende son identité. On ne naît pas victime. On se retrouve victime, à un moment donné, d’une situation qui n’a pas été choisie et que l’on ne peut contrôler. Qu’on ne comprend même pas.
Il est d’autant plus important que leur individualité leur soit rendue.

Si les personnalités toxiques fonctionnent sur le même principe, les victimes sont toutes différentes. Hommes, femmes, enfants, elles portent en elles sans le savoir ce que le toxique va chercher et dont il va vouloir s’emparer. Elles le doivent à leur histoire, leur vécu, leurs expériences passées. Elles le doivent à une histoire familiale, à une transmission au travers des générations. Mais chacune restent UNE, unique.
En consultations, si elles se présentent avec les mêmes souffrances, les mêmes angoisses, les mêmes doutes, il est impossible de leur imposer un schéma de reconstruction type. Ce serait oublier leur individualité, leurs différences, leurs personnalités écrasées et qui ne demandent qu’à revenir au grand jour. Ce serait ignorer QUI elles sont, et les robotiser, une fois de plus.
En consultations, à chaque rendez-vous, je ne m’adresse pas à une victime. Je tiens compte de son vécu et de son histoire, composantes indispensables du cheminement qu’elle entreprend. Mais je m’adresse à Anne, à Brigitte, à Céline, à Denise, à Jean, à Christian, à Michel, à Julien, … Je m’adresse à celle ou celui assis(e) face à moi. Qui baisse la tête et dont le regard a été effacé.
Et je l’amène à donner un vrai sens à sa vie. Celui qui lui appartient.

©Anne-Laure Buffet

CONFLIT DE LOYAUTÉ ET CONFUSIONS CHEZ L’ADOLESCENT

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 » Le conflit de loyauté peut se définir comme un conflit intra-psychique né de l’impossibilité de choisir entre deux situations possibles, ce choix concernant le plus souvent les sentiments ou ce que nous croyons en être, envers des personnes qui nous sont chères. »

De façon générale, la violence conjugale est gardée secrète et les enfants y étant exposés sont souvent clairement avertis (par le parent violent et manipulateur, par le parent agressé et culpabilisé) qu’ils ne doivent pas révéler à quiconque la présence de cette violence. Ces enfants doivent ainsi sceller leurs souvenirs et ne pas aborder le sujet, bien que les conséquences de la violence continuent d’affecter leur vie quotidienne. Ils occultent, peuvent se retrouver en état dissociatif. Ils sont alors clivés. Certains, les « résilients », vont surmonter en se créant leurs propres structures de pensée.

Les travaux de Boszormenyi-Nagy (1), systémicien, évoquent la loyauté entre enfants et parents et des situations hors normes où l’enfant est parentifié, ce qui engendre une loyauté verticale non maintenue. Le conflit de loyauté amène alors une indifférenciation générationnelle favorisant un contexte incestuel voire l’inceste lui-même. Le conflit de loyauté, tout comme le conflit psychique, amène l’individu à ne plus savoir se positionner face à des contradictions entre ses désirs et ses devoirs.

Il a été démontré que ce « conflit de loyauté » dans lequel est durablement plongé l’enfant est très destructeur pour la construction de la personnalité future de l’enfant. Pour l’enfant, ce conflit intra-psychique naît de la profonde impossibilité de choisir entre le père et la mère.

Le conflit de loyauté est un trouble majeur auquel se trouvent confrontés de nombreux enfants de parents divorcés et qui doivent constamment composer entre les désirs des parents souvent contradictoires, et entre les obligations et interdictions diverses de ces deux parents qui ne parviennent plus à s’entendre.
Ce conflit parental est une forme de violence psychologique, et devient destructeur de part la répétitivité des messages contradictoires que peut recevoir l’enfant de la part de ces deux parents.

Comme le secret de la violence est gardé aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la famille, l’enfant qui désire comprendre la situation et ses sentiments face à celle-ci est forcé de le faire seul, ce qui augmente son sentiment d’isolement . Cette situation peut présenter des risques émotionnels et physiques pour les enfants, les jeunes n’étant pas totalement conscients de la sévérité de la violence ni du risque actuel ou du potentiel de danger physique y étant associé.

Les rapports avec les parents sont modifiés, inversés, et déstructurants. L’enfant est souvent parentalisé. Ses repères trop faibles et trop mouvants l’empêchent de se structurer sereinement. Les jeunes peuvent percevoir leur mère comme étant faible et éprouver du mépris envers cette dernière. Ils peuvent alors percevoir leur père comme la personne détenant le pouvoir dans la famille, ce qui peut provoquer l’admiration des enfants.
Parfois, la mère peut aussi désirer quitter cet environnement violent et les enfants peuvent alors percevoir celle-ci comme la cause de la séparation de la famille et se ranger du côté de leur père. Les enfants peuvent donc éprouver des sentiments contradictoires alternants fréquemment entre l’amour et la haine, l’attachement et le détachement, la proximité et le rejet à l’égard de l’un ou l’autre de leurs parents. Par ailleurs, cette ambivalence est un processus normal du développement caractérisant le plus souvent les enfants autour de deux ans. Chez les enfants exposés à la violence conjugale, l’ambivalence est nettement présente et ce, à tous les âges.  Si l’exposition à la violence conjugale perdure, le conflit de loyauté de l’enfant peut devenir de plus en plus intense et ce jusqu’à devenir carrément insoutenable. L’enfant peut alors prendre position pour l’un ou l’autre de ses parents afin d’atténuer l’intensité de ses émotions déchirantes.

Un contexte de domination et d’agressivité

Il est aussi probable que le jeune prenne position en faveur du conjoint exerçant la violence et reproduise dans ses relations interpersonnelles, actuelles et futures, les comportements de domination et d’agression appris au sein de sa famille.
Les enfants s’alliant à leur père éprouvent de l’admiration envers la supériorité de ce dernier. Ils développent une vision dichotomique des conflits, caractérisée par la présence de gagnants et de perdants, et en viennent à concevoir la violence comme un moyen légitime d’obtenir la victoire lors de désaccords. La rage et la colère sont des éléments centraux du vécu émotionnel de ces jeunes.
Les enfants ayant intégré ce modèle sont également susceptibles de devenir eux-mêmes des agresseurs dans leurs futures relations intimes.

La recherche d’une image parentale. 

Le jeune pris dans le contexte conflictuel et de fait soumis au conflit de loyauté peut vouloir trouver dans son entourage une figure emblématique capable de remplacer celle défaillante. Il va se tourner vers un proche (membre de la famille, frère ou soeur aîné(e), éducateur, parent d’amis…), accordant alors à celui qu’il va désigner comme le remplaçant de son parent violent ou défaillant les qualités et les compétences qu’il veut. Le plus souvent ces qualités et ses compétences sont exagérées, fantasmées, compensant la souffrance tue du jeune en souffrance. Il va se montrer d’autant plus exigeant qu’il est en recherche de perfection, et ne fera de ce fait aucune concession à celui ou celle qu’il va désigner comme « remplaçant », comme figure emblématique.
Il faut cependant noter qu’un jeune particulièrement soumis à la violence sera d’autant plus fragilisé… Devenant à son tour une proie si la figure emblématique choisie par lui n’est pas bienveillante. Lui accordant une pleine et entière confiance, il ne se tiendra pas à l’écart de dangers qu’il ne peut deviner ou comprendre.

C’est à l’adulte pris comme figure emblématique de faire preuve de discernement. Quel que soit le comportement du père ou de la mère de l’enfant pris dans un intense conflit de loyauté, l’adulte « élu » doit savoir rester à sa place et rappeler à cet enfant qu’il n’est si son père, ni sa mère. Qu’il peut être un repère (attention, ce mot devient ici ambivalent : re-père…), qu’il peut l’accompagner, le guider, lui donner des limites. Qu’il accepte l’amour et la confiance de l’enfant tout comme il lui en donne. Mais il ne pourra jamais être celui ou celle que, de fait, il n’est pas : le géniteur de l’enfant.

(1)Avec la thérapie contextuelle, Yvan Boszormenyi-Nagy inaugure un nouveau paradigme en thérapie familiale : l’enfant n’est plus – selon la représentation en vigueur chez les psychanalystes – ce pervers polymorphe, tout-puissant, aux fantasmes incestueux et meurtriers, il est désormais capable de discernement, de réciprocité positive (logique du don) ou négative (logique de représailles), d’engagement face à ses parents souvent vulnérables et en conflit. L’enfant parentifié, se pose en premier tribunal de l’humanité ; il tente de réparer, au-delà de toute dette, ses parents ou ses ancêtres maltraités par la vie, par l’histoire ou par leurs liens.

Anne-Laure Buffet