LE SYNDROME DE PETER PAN

« Je ne veux pas devenir un homme … jamais, dit-il avec passion. Je veux rester pour toujours un petit garçon et m’amuser. Alors, je me suis sauvé à Kensington Gardens et j’ai vécu longtemps avec les fées. »

Peter Pan – James Matthew Barrie

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Peter Pan. Un conte soi-disant destinés aux enfants, mais pas qu’aux enfants. Un conte dont Walt Disney s’est emparé, pour le vider en partie de sa substance. La mort, bien présente dans le récit de J.M. Barrie, n’apparaît que peu. Comme celle que Peter Pan donne aux enfants perdus lorsqu’ils décident de grandir ; celle de Crochet et du crocodile dont l’apparition est plus grotesque qu’effrayante ; celle de la jeunesse qui est vouée, en principe, non à disparaître mais à construire une personnalité.

Peter s’obstine à rester un enfant pour toujours afin d’échapper aux devoirs et obligations du vieillissement. Il se mure alors dans un monde imaginaire qui est la représentation du monde de l’enfance.

La psychanalyste Kathleen Kelley-Laîné (1) éclaire l’histoire de J.M. Barrie sous l’angle de l’absence d’une mère endeuillée et donne à Peter le visage d’un enfant perdu c’est à dire abandonné ou mort, dans tous les cas, maltraité par des parents négligents.

Peter Pan souffrirait dès lors de « confusions handicapantes » dont l’une d’elles serait le fait que Peter agit tel un adolescent et se dit être « un garçon qui refuse de grandir ».

Régis Loisel (2), décèle la cruauté d’un monde enfantin car il n’y a pas de concept du Bien ou du Mal. Il n’y a pas de culpabilité, ni d’embarrassants souvenirs et encore moins de compassion et reconnaissance. Ce monde est « juste une société enfantine qui instaure des lois sans principe. Ici nous pouvons voir les dédales des passages sombres de l’enfance. Donc Régis Loisel nous dévoile les restrictions de ce monde enfantin par leurs sentiments égocentriques. Pour autant, cette bande-dessinée ne peut être considérée comme un préquelle du Peter Pan de J.M. Barrie.

Le terme « handicapant » est bien loin d’être exagéré. Peter Pan souffre de handicaps. Cet enfermement dans le monde de l’enfance lui permet ainsi d’éviter toutes les responsabilités inhérentes au monde de l’adulte.

Par analogie, le syndrome de Peter Pan désigne les enfants angoissés par l’idée de grandir et surtout les adultes qui ne se sentent pas à l’aise dans le monde des adultes. Il a été défini pour la première fois en 1983 par le psychanalyste Dan Kiley (3). Bien loin d’une psycho-pathologie ou d’une maladie, le syndrome de Peter Pan est une tendance de certains individus, « hommes de par leur âge, et enfants par leurs actes ».

Un enfant dans un corps d’adulte, voilà qui pourrait résumer le syndrome de Peter Pan. Autrement dit: la personne, de sexe masculin, passe directement de l’enfance à l’âge adulte, sans franchir les étapes qui jalonnent l’adolescence et permettent d’acquérir la maturité.

Il s’agit d’un ensemble de symptômes, plus ou moins intenses. Le plus souvent, le syndrome de Peter Pan se dévoile au début de l’âge adulte, quand l’individu est confronté à ses premières responsabilités. Les « Peter Pan » sont souvent décrits comme immatures, égocentriques et parfois manipulateurs. Ils sont toujours dans le déni, et rejettent avec virulence toute forme de critique. En listant rapidement ces symptômes au nombre de 7, on trouve :

  • L’incapacité d’exprimer les émotions telles qu’elles sont ressenties, car les «Peter Pan» ne savent pas ce qu’ils ressentent.
  • La procrastination, qui consiste à remettre au plus tard possible les tâches à accomplir.
  • La difficulté à se faire de vrais amis, malgré le grand désir d’appartenir à un groupe et l’angoisse de la solitude.
  • Le recours aux faux-fuyants pour ne pas avoir à admettre sa responsabilité («ce n’est pas ma faute!»). Ce comportement peut aboutir à la consommation de drogues pour tenter de faire disparaître les problèmes.
  • Un sentiment de colère et de culpabilité envers la mère. La personne «atteinte» du syndrome de Peter Pan voudrait se libérer de l’influence de celle-ci, mais culpabilise en le faisant. Les plus jeunes essaient d’apitoyer leur mère pour obtenir de l’argent.
  • Un désir d’être proche du père tout en ayant le sentiment que ce père ne pourra jamais offrir son approbation. Lorsqu’ils sont plus âgés, de 30 à 40 ans, les «Peter Pan» admirent leur père et n’admettent pas qu’il commette des fautes ou ait des limites.
  • De fréquents problèmes avec les femmes. Le «Peter Pan» peut cacher sa peur d’être rejeté et sa sensibilité derrière un masque cruel. Il ne supporte pas les femmes indépendantes, il a besoin de pouvoir protéger une femme dépendante. L’impuissance sociale se retrouve sur le plan sexuel.

Mais attention : un Peter Pan réunit plus ou moins ces symptômes, ou ne les laisse apparaître qu’en cas de nécessité. Par exemple, son rapport aux femmes et sa sexualité varient selon ses attentes, ses besoins, et même le moment. Sexualité et tendresse peuvent se confondre et il va donner dans une relation sexuelle presque mécanique, libératrice pour lui, ce qu’il ne peut donner autrement. Et si le risque de perdre une femme-mère se présente, il reprendra avec celle-ci un rôle séducteur, tout en cherchant ailleurs à conforter son image virile et puissante.

Confusions, mauvaise répartition des rôles, déni, cruauté vis-vis de ceux qui ne veulent plus être enfant, narcissisme et égoïsme, possessivité exagérée de ceux qui l’entourent, l’aiment, ou le protègent, exigences insatisfaites et permanentes. Moqueur, ironique, tout à tour joyeux ou méchant, il se moque de ce qui ne le concerne pas directement, rejette la responsabilité sur les autres, se précipite en sauveur tout en exigeant une reconnaissance et une soumission totales. À la fin de l’histoire, il finit par oublier ses anciens amis (et ennemis), et les anciennes aventures qu’il a vécues sont perpétuellement remplacées par de nouvelles. Tout, à part lui, est interchangeable ; il va chercher les enfants génération après génération et oublie à chaque fois les précédents. « Ainsi, les enfants, dès qu’une nouveauté les sollicite, sont-ils toujours prêts à abandonner aussitôt ceux qu’ils aiment le plus. »

Bien qu’ils soient prompts à blâmer les autres, il demeure extrêmement sensible au rejet. Reprocher ? Oui. Subir le reproche ? Non. Il a toujours une bonne excuse, une bonne raison. Et la tête penchée, œil de cocker en coin, il interdit toute contre argumentation le temps d’expliquer pourquoi il fut si cruel. Pause. Rémission. Et il recommence.

De fait il va avoir tendance à pousser les limites au-delà du raisonnable afin de « tester » cet amour. Ce besoin est tel qu’il ressent beaucoup de vide sauf quand il est entouré et au centre de l’attention.

Il pense que l’amour d’une compagne doit être comme un amour maternel inconditionnel et positif. C’est une pensée inconsciente et dont il se cache. Peter Pan mais dans un corps d’adulte, il retient les codes nécessaires et utiles qui trompent le monde, son monde, et lui avant tout. Mais livré à lui-même, il oublie tout, et les codes en premier lieu. S’il vous plait, merci ? Du superfétatoire sous-entendu et qui ne mérite pas d’être dit, puisque forcément son interlocuteur doit savoir qu’il le pense. En revanche, flatterie, amabilité, sourire et plaisanterie font de lui un homme à l’apparence sociable et conviviale. Plus les années passent et plus la culpabilité est grandissante, celle de n’avoir « rien fait » de sa vie pendant de nombreuses années, celle de dépendre des autres, d’une autre, généralement une femme, la Wendy du conte qui se voit alors attribuée un rôle de mère. Rôle qu’elle supportera à son corps défendant, ou non. Il y a alors interaction de deux personnalités.

Cette solitude et cette souffrance peuvent conduire à une dépendance alcoolique ou toxicologique. Il y a toujours une quête d’un absolu que lui seul peut déterminer, et qui varie selon les époques, les périodes, les nécessités. Il peut aller jusqu’à l’abandon total de toute responsabilité, s’en remettant complètement à cette Wendy qui lui tient lieu de mère. Comme un enfant de 4 ans, il se mettra dans des colères insupportables lorsqu’il n’obtiendra pas satisfaction, mais sa peur du rejet le conduira à se montrer, par la suite, doublement gentil – comme l’enfant de 4 ans, toujours, qui après avoir dit à sa mère « je ne t’aime plus » va lui dessiner un joli paysage et un cœur en espérant recevoir un baiser. « D’après l’opinion générale, Peter se conduisait pour l’instant d’une façon correcte uniquement pour endormir les soupçons de Wendy, mais on sentait qu’il ne tarderait pas à changer d’attitude, dès que serait prêt le nouveau costume que la fillette lui taillait contre son gré dans les plus méchants habits de Crochet. »

Il est très difficile de guérir du syndrome de Peter Pan, car il s’agit d’un cercle vicieux. « Bas les pattes, madame! Personne ne va m’attraper et faire de moi un adulte. » L’incompréhension du monde des adultes pousse la personne à s’isoler dans un monde d’abstraction, ce qui renforce encore le décalage et fait monter l’angoisse. Les personnes atteintes sont tellement dans le déni de leur problème qu’elles ne voient pas la nécessité de se prendre en charge. Seule la souffrance va pousser le malade à faire un travail sur lui-même, volontairement. Un travail long et difficile dans tous les cas, mais qui en vaut largement la peine

Face au syndrome de Peter Pan, Dan Kiley, suivi par le psychologue Jaime Lira, développe .

Le syndrome de Wendy se manifeste par une nécessité absolue de satisfaire les autres, et plus particulièrement en couple. La femme qui connaitra ce syndrome va surinvestir son rôle. Plus maternante que femme, elle sera séduite par le côté joueur, innocent, léger, de son compagnon, et prendra à sa charge toutes les responsabilités. Lorsqu’il faudra le confronter à la réalité, elle se heurtera à un mur, et continuera ce qu’elle faisait auparavant, cherchant à dédouaner son compagnon ou espérant un « mieux », toujours promis. « C’est la coutume, le soir, chez toutes les bonnes mères, une fois leurs petits endormis, d’aller fureter dans leurs esprits et d’y faire du rangement pour le lendemain matin, remettant à leurs places respectives les innombrables choses et notions qui se sont égaillées, égarées durant la journée. Si vous pouviez rester éveillés (ce qui, bien sûr, est impossible), vous surprendriez votre propre mère se livrant à cette activité et vous l’observeriez avec le plus vif intérêt. C’est un peu comme mettre de l’ordre dans un tiroir. Vous la verriez à genoux, je suppose, pensée, souriante, sur tout ce que vous recelez, se demandant où diable vous avez pris cette idée, allant de surprise en surprise — pas toujours agréable — pressant ceci contre sa joue qui lui paraît aussi doux qu’un chaton, rejetant en hâte cela hors de ça vue.

Quand vous vous réveillez le matin, le mal et les passions mauvaises avec lesquels vous vous êtes endormis au lit ont été pliés avec soin et relégués au fond de votre esprits ; et par dessus, bien aérées, sont étalées vos plus jolies pensées, prêtes à vous servir. »

Les comparaisons ou analogies au syndrome de Wendy seraient le parent qui a fait le travail de l’enfant, accompagne dans tous les projets, a pour objectifs de faciliter toujours la vie. Ou un membre d’un couple qui assume ou se voit contraint d’assumer sans s’opposer toutes les fonctions et décisions. La personne, en raison de sa crainte de rejet ou d’abandon, cherche trop à satisfaire.

Dans le conte Peter Pan, il ne faut pas oublier le rôle de la fée Clochette. « Clochette n’était pas totalement mauvaise ou, plutôt, elle était totalement mauvaise à ce moment-là tandis qu’à d’autres, elle était entièrement bonne. Les fées doivent être une chose ou l’autre: elles sont si petites qu’elles ne peuvent malheureusement héberger qu’un sentiment à la fois. »

Fée que Peter Pan recherche, dont il a besoin même à son corps défendant, qui lui permet de chasser ses angoisses et ses peurs. Elle est à la fois son tuteur, son ange gardien, et son contrôle. Et d’ailleurs, elle n’hésite pas à se fâcher (ce que Walt Disney transforme en bouderies), à s’éloigner pendant un temps, à le quitter. Peter Pan ne le supporte pas, il se désespère, ressent le rejet, se met en colère. Et lui fait payer. Très cher. Ce qui l’arrête ? Si Clochette plie. Sinon, il fuit, drapé dans sa superbe enfantine.

L’accumulation et la tentation modernes de « créer » des syndromes n’a pas épargné Clochette. La psychanalyste Sylvie Tenenbaum dans « Le syndrome de la fée Clochette » décrit ce syndrome et les femmes qui en seraient atteintes ou porteuses. « Clochette » est brillante, travailleuse, perfectionniste, enjôleuse, romantique parfois. Mais cette séductrice, experte en manipulation, n’est jamais satisfaite de ses conquêtes. En réalité, à force d’exigences forcément déçues, elle est tout le temps en proie à une colère intérieure qu’elle doit s’employer à cacher. Elle sait si bien « jeter de la poudre » aux yeux. C’est une fée, ne l’oublions pas !

Ainsi, nous nous retrouvons avec un adulte-enfant-tyran, une femme-mère-dépendante et une autre autoritaire-manipulatrice-possessive. Terrible trio, ou double duo, toujours dévastateur. Je ne positionne pas ainsi Clochette, dans cet article. Clochette assume le rôle de mère. Elle surveille, protège, met en garde, contrôle, punit. Elle n’est pas la maman que Wendy doit être. Selon Kathleen Kelley-Laîné : « Comme toutes les autres fées, Clochette symbolise la mère morte, celle qui ne vous quitte jamais car elle est toujours auprès de vous par son esprit. C’est ce qu’on dit. Clochette est ainsi : elle est l’ange gardien de Peter ; c’est elle qui trouve son ombre, et dans votre histoire, elle le découvre et le ramène sur l’île du Jamais-Jamais. D’une certaine manière, c’est elle qui met au monde Peter Pan. Elle est jalouse des autres femmes qui s’approchent de son Peter, comme le font les mères…« 

Elle a donc bien le rôle de mère – à la nuance près que dans le conte, elle ne veut pas voir son enfant, Peter Pan, s’envoler.
Mais dans la vie ? Dans la vie, elle sera celle qui succombera – elle aussi – au charme de Peter Pan. Tout en sentant qu’elle peut imposer une forme d’autorité bienveillante. Reste à savoir ce que son Peter Pan décidera. Grandir – souffrir pour grandir et renoncer à son pays imaginaire. Ou la rejeter, et conserver ce qu’il connaît le mieux : l’immaturité souvent cruelle.

©Anne-Laure Buffet

  • Peter Pan ou l’enfant triste – K. Kelley-Laine, Calmann-Levy
  • Peter Pan, bande dessinée, 6 volumes, Vents d’Ouest – Régis Loisel
  • – Ces hommes qui ont refusé de grandir» ; Dan Killey – Odile Jacob

PERVERS NARCISSIQUE : UN MYTHE À DÉCONSTRUIRE PRUDEMMENT

Non, on ne peut pas tout dire.

Surtout, on ne peut pas le dire n’importe comment.

Et sans doute vais-je encore me fâcher avec certain(e)s. Mais la question n’est pas de savoir à combien on plait, ni même de plaire. La question est de dire réellement ce qui doit être dit.

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Hier, je vois passer cet article : « Pour en finir avec le “mythe“ du pervers narcissique. » Voilà un titre qui me plaît. Car en effet, autour de cette notion de pervers narcissique aujourd’hui diffusée très largement se retrouvent des confusions, des amalgames, des abus de langage et de compréhension très dangereux. Le danger est pour les personnes victimes des comportements déviants et mortifères de ces pervers narcissiques. A trop user du terme, on ne sait plus qui est qui. Et il existerait aujourd’hui presqu’autant de pervers narcissiques que de tristes sires ou de capricieuses tendance méchantes.

Le « pervers narcissique » est partout. Il fait la Une des hebdomadaires, remplit les reportages télé de seconde partie de soirée, investit des blogs, des forums, les réseaux sociaux. Unetelle sait qu’elle a un « PN » dans sa vie parce qu’il n’est vraiment pas gentil son compagnon. Une autre redoute d’en avoir rencontré un parce que pour le moment, Monsieur se montre très aimable, ce qui laisse à penser qu’un jour il ne le sera plus. Une troisième est formelle : depuis quelques semaines, Monsieur rentre plus tard du travail, a critiqué deux fois son dîner, s’est énervé et a fait une remarque désobligeante, a ignoré sa nouvelle coupe de cheveux. Il s’est dévoilé : c’est un pervers narcissique ! Mais grâce à ses lectures, elle est informée. Effrayée également, et elle court derrière les conseils pour savoir tout ce qu’elle ne doit plus ni dire ni faire ni penser de peur de se mettre en danger.

Mais elles ont un pervers narcissique dans leur vie, c’est une évidence. Et parfois, il est terrible de voir apparaître en filigrane une étrange fierté à avoir, elles aussi, un monstre quotidien.

Aussi, pour en revenir à cet article, j’étais assez heureuse de lire que d’autres comme moi pensent qu’il faut cesser de voir et mettre du PN partout. Car, c’est vrai, on lit ou entend de plus en plus : « mon PN », « c’est un PN », « PN a fait… ». Avec un risque énorme et qui ne devrait pas passer inaperçu : même si la perversion narcissique n’est pas reconnue comme une maladie ou un trouble mental au sens du DSM, il n’en demeure pas moins que c’est une forme de diagnostic, qui pourrait s’apparenter si le terme est mal ou faussement utilisé à de l’injure ou de la calomnie.

Et je pensais lire qu’il est préférable de s’intéresser aux personnes qui se montrent en souffrance.

Mais ce ne fut pas le cas.

Alors, et au risque de me fâcher avec l’auteur de l’article, je souhaite rappeler certains points.

D’une part ce qui amène à dire que « c’est un PN » est un ensemble de comportements récurrents qui suivent un schéma et un processus bien défini et qui ont pour intention de chosifier la personne qui en devient victime. Ces comportements relèvent du harcèlement, du dénigrement, du mépris, de la manipulation mentale, de l’abus de langage, de l’irrespect, tout autant que de la séduction et de l’amabilité. Ils alternent sans cesse et sans raison, sont toujours en décalage avec les faits, induisant le trouble et la confusion. Ils s’installent dans le temps, laissant la victime de plus en plus inerte. Ils se nourrissent de paradoxes, et émanent d’une personnalité qui utilise un ensemble complet d’artifices et de masques. Caméléon, acteur, vampire, séducteur, Dr Jekyll et Mr Hyde, imperturbable, simulant parfaitement toutes les émotions, sauf une : la colère, qui explose dès que sa soif de pouvoir n’est plus satisfaite. En quête perpétuelle de puissance qu’il ne peut jamais combler, le pervers narcissique manie la violence psychologique avec un talent à nul autre pareil. Peu à peu sa victime est dépossédée de tout, intellectuellement, affectivement, psychiquement, sexuellement, économiquement. Elle n’est plus maître de rien, ne décide plus rien, ne sait plus rien. Elle se retrouve dans une totale dépendance, une complète soumission, et l’on parle alors d’emprise.

D’autre part, et contrairement à ce que l’article laisse supposer, le pervers narcissique n’est pas forcément un homme. Il peut également être une femme. Ce n’est pas le sexe qui fait le monstre, ce sont ses comportements. N’en déplaise à certains qui il y a peu encore ont jugé bon de m’attaquer en disant que mes propos nuisent aux femmes et au combat féministe, je profite de cet article pour dire et affirmer une fois de plus que la perversion narcissique peut être le fait d’une femme. Et ceux à qui cela déplaît peuvent encore m’attaquer, ça m’est bien égal. Je persiste et signe.

Aussi, écrire un article permettant de croire, puisqu’il est adressé à des femmes, que seuls les hommes – certains hommes – pourraient être « PN », est une erreur, ou pour le moins contient une terrible omission.

De plus, il y a dans cet article un passage qui me déplaît: « aujourd’hui nous voulons vibrer, nous voulons du bad boy, nous voulons un mec tatoué, nous voulons un mec qui a du caractère, qui nous met la fessée lors de nos ébats. Mais en même temps, nous voulons qu’il nous comprenne, qu’il obéisse à nos moindres caprices, qu’il nous offre des fleurs, qu’il s’engage. » Je ne le crois pas, et surtout je ne crois pas aux généralités, de toute sorte. Je trouve ces termes exagérés, disproportionnés, et hors contexte. Bref, je les trouve inappropriés s’il s’agit de mettre à mal ce mythe du pervers narcissique.

Parce que, et ainsi que, cette fois avec raison, l’auteur le dit plus loin dans l’article : « Un pn vous détruit, vous isole, vous réduit au néant. Vous devenez une entité, une morte vivante, l’ombre de vous même. Il vous vide de toutes substances. Un pervers narcissique n’est autre qu’un sociopathe, ah là ça fait un peu plus peur non ? Mais vivre avec un pn n’a rien d’amusant ni de divertissant. » Même si je ne suis pas d’accord avec certains mots ou formules, il n’en est pas moins certain que vivre avec un individu aux comportements pervers narcissiques est mortel, psychiquement, parfois physiquement. Une personne qui en est victime n’a plus l’envie et l’énergie pour en parler, tout simplement parce qu’elle n’en a pas conscience et n’a pas le droit ni la possibilité d’en avoir conscience.

Il faut cependant reconnaître une chose : les réseaux sociaux sont utiles et mal utilisés. Utiles, car ils peuvent être la première étape pour sortir de l’isolement. Aussi écrire qu’une victime se retrouve incapable de parler, ou de lire quoi que ce soit, est faux. C’est aujourd’hui souvent le premier pas vers une forme de libération, de prise de conscience. Sur un forum, sur un groupe, elle va trouver un mot, une aide, une écoute, ce qu’elle a complètement perdu. Elle va s’y accrocher comme un noyé à sa bouée et va chercher un peu plus. Elle va hésiter, va avoir peur d’être découverte par son agresseur, va faire un pas en arrière, couper le contact, puis le reprendre. Et les réseaux sociaux et toute la médiatisation autour de la perversion narcissique ont eu cela de bon qu’ils ont permis à beaucoup de comprendre, de faire des démarches et de s’en sortir.

Mal utilisés, parce qu’ils manquent souvent de modérateur, laissant effectivement la porte ouverte aux abus, aux mauvaises interprétations, aux conclusions trop rapides.

S’y retrouvent alors des personnes victimes de la violence psychologique exercée par un-e manipulateur-trice pervers-e narcissique et d’autres qui partagent leur vie avec un-e individu au caractère fort, désagréable, difficile et auquel ils ne savent pas s’opposer, par manque de confiance en eux. Les uns et les autres sont invités à résister, à se battre, à aller en justice, à protéger les enfants, à porter plainte, à agir. Les premiers à le faire sont les moins en souffrance. Les autres, mis à terre par cette violence psychologique récurrente, ont besoin de temps. Un temps qui dure parfois des années. Ils ont besoin d’une réelle écoute et d’un réel soutien, et Internet est alors insuffisant. Ils ont besoin d’un accompagnement complet et d’une présence empathique. Ils ont besoin d’interlocuteurs parfaitement informés et formés, car c’est à tous niveaux qu’ils devront être aidés et entendus.

Oui, c’est une évidence et c’est indispensable de le rappeler, le terme trop vulgarisé de pervers narcissique, dit « PN », mérite un certain nombre de rappels. Après la mode, car il s’agissait bien de mode, des bipolaires qui foisonnaient autant que les cailloux du chemin, après celle des enfants hyperactifs ou précoces qui remplissaient les salles de classe et les cours de récré (nourrissant souvent l’ego de leurs parents sans le savoir), on en est à celle du pervers narcissique. Et vouloir arrêter cette mode pour prendre réellement en considération la perversion narcissique et également pour la laisser à ce qu’elle doit être est indispensable.

Mais il faut le faire avec je crois plus de distance qu’il n’y en a dans cet article. Ainsi, écrire ou laisser entendre que certaines « fanfaronnent » parce qu’elles pensent vivre avec un PN, et le disent, est un jugement hors de propos. Si elles le font, c’est sans doute parce qu’elles souffrent de quelque chose – quoi, je n’en sais rien. Mais elles sont en difficulté, et il faut entendre cette difficulté. Et cette phrase me frappe, dans l’article : (vous) « chouinez comme une enfant à qui son jouet ne répond plus ! ». Car c’est alors faire des femmes qui disent être avec un pervers narcissique ce qu’exactement elles reprochent à l’autre ; c’est leur attribuer un comportement infantile et culpabilisant pour celui qui l’observe. Et c’est entre autres ce comportement qui constitue la personnalité perverse narcissique : la capacité à « chouiner », à avoir des larmes de crocodiles, à culpabiliser l’autre tout en en faisant un objet.

Aussi, j’étais contente de voir que le pervers narcissique, ou plus exactement l’utilisation abusive du terme, à ses détracteurs et ses opposants. Je regrette la fausse légèreté du ton et le manque d’informations. Je comprends la colère de l’auteur qui, elle-même victime, veut remettre certaines choses à leur juste place et ne plus lire de débordements. Mais son propos gagnerait en justesse s’il se départissait de cette colère.

Comme elle, je peux dire : « Non, mesdames, vous n’êtes pas toutes victimes d’un « PN » parce que les journaux féminins en remplissent leurs pages. » Mais j’ajouterai : « Oui, messieurs, vous pouvez être concernés et vous avez le droit de le dire. Et oui, mesdames, et messieurs, si ces articles vous intriguent, s’ils font naître un doute, s’ils génèrent un malaise, alors allez plus loin dans vos recherches, informez-vous au-delà de vos lectures. Car vos doutes doivent être dissipés, quelle qu’en soit la raison. »

©Anne-Laure Buffet

LA RAGE NARCISSIQUE

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Mise en garde : cet article ne se veut pas scientifique mais informatif. Il est destiné à vulgariser une notion afin de permettre au(x) lecteur(s) d’en prendre connaissance et conscience. S’il exprime un schéma de pensées et de comportements, et met en lumière un acte dangereux et criminel, il est surtout fondé sur l’écoute, l’observation en consultation et/ou en groupe et les témoignages reçus.

– Pourquoi tu ne dis rien ? Quand il te pousse à bout, quand il ment, pourquoi tu te tais ?
– Parce que j’ai peur de ce qu’il pourrait faire…

Une personne qui se retrouve victime de violences psychologiques vit dans la peur. La peur de son quotidien, la peur de ce qu’elle connait ; mais aussi la peur de ce qu’elle imagine, anticipe, prévoit. Et ce qu’elle imagine, anticipe, est toujours le pire. Aussi, elle se tait. Elle se contraint au silence pour éviter de se mettre en danger, psychologiquement et physiquement.
Ce que la victime ne peut décrire précisément, mais ce qu’elle pressent, c’est la possibilité d’un passage à l’acte. La possibilité que la situation qu’elle croit pour le moment encore maîtriser, même dans la souffrance, ne se transforme, et ne se transforme à son complet désavantage.
Ce qu’elle pressent, c’est que son agresseur, qui, à l’instant, exerce essentiellement de la violence psychologique, ne supporte pas d’être démasqué, critiqué ou rejeté ; et dans ce cas, qu’il s’en prenne à elle jusqu’à la tuer.

Et la victime a raison.

Une personne qui fait acte de violence psychologique afin de nourrir uniquement son ego, son narcissisme déconstruit souvent depuis l’enfance, une telle personne qui a avancé dans la vie en se sublimant au travers de celles et ceux qu’elle a réussi à duper et manipuler à son seul profit, sans tenir un instant compte des potentielles conséquences sur les autres, une personne, donc, qui n’a aucune compréhension réelle de l’altérité dans la relation, si ce n’est pour mettre l’autre en situation d’objet et s’en servir pour assouvir ses uniques ambitions, ne peut supporter de perdre ce qui lui permet d’exister.

Car sans l’autre, il n’st plus rien. Sans l’autre, l’image construite afin de justifier de sa toute-puissance, de son existence même, s’effondre. Et n’ayant rien d’autre pour exister, il disparaît avec . Ce qu’il ne put supporter.

Le pervers narcissique vit en étant toujours « sur le fil du rasoir ». Il est constamment mis en danger, par lui-même, car il peut à tout instant être découvert. C’est pour cela qu’il isole la victime, construisant un mur réel ou virtuel afin d’éviter les regards extérieurs, et les influences qui lui feraient perdre son emprise.
À la question de la conscience qu’aurait un pervers narcissique de ses actes, il est difficile de répondre, car il faudrait pour cela qu’il ait avant tout conscience des notions de bien et de mal.
En revanche, il est certain que le PN a conscience de l’absolue nécessité qu’il a de l’autre pour pouvoir être lui-même.
S’il l’autre n’est plus, il n’est plus.
Mais ne pouvant s’imputer la responsabilité du départ de l’autre (départ qui est le plus souvent une fuite pour survivre), il va le vivre comme le plus terrible des abandons. Et ne pouvant se reprocher de ne pas savoir vivre sans l’autre, et sans glorifier son self sublime si mal nourri, il va projeter sur l’autre, sur la victime, sa colère. Sa rage.

« Il est maintenant évident que la rage narcissique survient quand le soi ou l’objet déçoivent les aspirations absolues qui font appel à leur fonction – que ce soit pour l’enfant, qui, plus ou moins conformément au stade approprié, reste attaché à la mégalomanie et à l’omnipotence du soi et du soi-objet, ou pour l’adulte, narcissiquement fixé, dont les structures archaïques narcissiques sont restées inchangées, séparées du reste du psychisme en cours de croissance, après que les demandes narcissiques infantiles appropriées au stade ont été traumatiquement frustrées. » Heinz Kohut

C’est ce que devine la victime. Et c’est ce pressentiment qui ne fait que renforcer le sentiment d’être attaché à son bourreau par une chaîne invisible mais terriblement solide et serrée, une chaîne avec un collier étrangleur qui maintient en place, empêche de parler, et empêche même de respirer.

Les victimes qui ont pris la parole face au bourreau, qui ont exprimé leur volonté de partir, de le quitter, de ne plus être dépendante, ont vécu ce raptus(1). face à elle, le bourreau n’est plus le même. Qu’il soit homme ou femme, il est surtout envahi par une rage (2), une fureur que rien ne peut calmer. Il ne voit plus du tout sa victime comme un être humain, mais uniquement comme un objet, et un objet qui le met face au plus grand des dangers : celui de perdre définitivement non seulement tout ce qu’il a acquis pendant des années, mais encore toute crédibilité et tout pouvoir.
ce qui est insupportable et insurmontable.

Les victimes qui décrivent le passage à l’acte parle d’une force inhumaine qui traverse alors le bourreau, et que rien ne semble pouvoir arrêter. Elles décrivent aussi une transformation physique. Ce n’est pas la simple colère qui fait pousser des hurlements, ou encore qui tend les traits du visage ou fait rougir la peau de l’individu énervé.
C’est ce qu’on pourrait appeler un « morphing » un temps réel. Les yeux exorbités, la face transformée par la haine et l’envie de détruire, allant parfois jusqu’à baver… comme si l’image réelle du bourreau reprenait le dessus, et, une fois le masque « social » retiré, seule l’image du monstre subsistait.
La force déployée est surhumaine. Les hommes victimes voient leur compagne, en apparence petite chose fragile, capable de les frapper, de les repousser, de les soulever de terre. Les femmes sont écrasées par la violence, et la force projetée en l’instant.

Et le bourreau ne cessera son geste qu’à condition qu’une force plus importante le domine Ou lorsque l’objet de sa colère, sa victime, ne sera plus.

C’est ce que savent sans pouvoir le verbaliser les victimes de pervers narcissiques.
C’est ce qui les retient de parler.
C’est pour cela qu’il faut les entourer, les écouter, les accompagner. Les aider à préparer leur départ. Dans le silence et le secret.

©Anne-Laure Buffet

(1)Raptus : Impulsion paroxystique à type de décharge explosive, souvent violente, à la limite de l’activité volontaire et du réflexe : agression meurtrière, suicide, automutilation, fuite éperdue.

(2)Rage : état mental le plus extrême du spectre de la colère. Lorsqu’un patient est sujet à la rage, cela se termine lorsque la menace n’est plus oppressante ou que le patient atteint de rage est immobilisé.

LA (MAUVAISE) MADELEINE

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Tout va bien. Vous voilà débarrassé(e) de votre « PN », votre compagnon ou compagne toxique, depuis un certain temps. Vous avez pris conscience de l’emprise et de la soumission. Vous l’avez analysée. Vous avez vaincu la honte. Vous avez confiance en vous. Vous ne courbez plus l’échine.
Vous êtes un nouvel homme, une nouvelle femme.

Et vous en parlez. Vous ne vous apitoyez pas sur votre sort. Vous ne souhaitez pas être plaint(e). Vous témoignez, puis passez à autre chose.

Un soir, au cours d’un dîner, chez vous. Vous avez passé du temps à organiser ce dîner. Vous êtes fier(e) de vous, et vous pensez cette fierté méritée. Vos invités arrivent. Vous passez à table. Vous apportez pompeusement le plat préparé avec amour. On vous demande du sel. Du sel… le plat n’est pas assez salé. Vous avez raté l’assaisonnement. Vous tressaillez. Serez-vous toujours bon à rien, à ne pas même savoir préparer un plat ? Vous n’entendez pas la fin de la discussion. Vous focalisez sur votre plat. Votre soirée est gâchée.

Un après-midi, en famille. Deux d’entre eux veulent jouer aux échecs. Vous regardez le début de la partie. Et l’un dit en souriant : « Tiens, tu t’intéresses à ça, toi, maintenant ? Pourtant tu ne comprends jamais rien aux jeux… ». Et ça a toujours été ainsi. Vous n’êtes pas curieux(se). Vous n’êtes pas capable. Vous ne progresserez jamais.

En vacances, à la plage. Il fait beau, et chaud. Vous vous assoupissez quelques instants. Votre enfant revient, en pleurant. Il a reçu un coup de pelle de la part d’un autre enfant, il pleure, il a le nez qui coule, il a eu peur. Vous n’avez rien vu. Vous n’avez pas réagi. Vous vous préoccupez de consoler votre petite tête blonde. Mais le coupable déjà loin, dans le giron de ses propres parents, ne sera pas puni. Et vous vous rappelez que vous n’avez pas de caractère, que vous n’êtes bon(ne) qu’à vous taire, que vous ne savez même pas protéger vos enfants, qu’à cause de vous, ils courent des dangers. Vous vous en voulez. Votre progéniture aura droit à une double ration de glaces. Et vous, un double somnifère, pour oublier l’incident.

Tout cela est – malheureusement – très banal.
Les victimes de personnalités toxiques ont des réminiscences, longtemps après. Le fait le plus anodin, la parole la plus légère, peut réveiller chez elles des peurs, des angoisses, des traumatismes qui semblent depuis longtemps effacés ou guéris. Elles n’ont pas (que) une fragilité à fleur de peau. Elles n’ont pas (toujours) une hypersensibilité. Elles ont été éduquées ainsi. Comme les victimes de lavages de cerveau, d’attentats, comme certains cas d’hypnose exagérés par le cinéma ou les séries populaires, elles sont conditionnées, elles ont des comportements-réflexes. Elles ne peuvent pas les contrôler, même si elles ont compris ces conditionnements et en partie accepté de ne pas être responsables.

Le savoir permet non pas de s’en prémunir, mais de l’analyser lorsqu’une telle situation se produit. L’analyser retire l’affect de la situation, ne lui conservant que son aspect théorique, concret.  il n’est alors pas question de dissociation, mais de prise de recul. Il n’y a pas de honte à ressentir. Il n’y a pas non plus à se dire « Ce n’est pas ma faute ».

Pour progresser, il faut surtout penser : « C’est ainsi. Ça peut m’arriver encore. Mais ce n’est rien qu’un détail. Le reste de ma vie, l’essentiel de ma vie, c’est maintenant moi, et moi seul(e), qui la dirige. »