« JE ME SUIS RÉFUGIÉE DANS LE SILENCE » TÉMOIGNAGE

Woman standing behind cloth sheet, silhouette (B&W)

Woman standing behind cloth sheet, silhouette (B&W)

Témoignage reçu suite à l’article « Le bruit est souvent trompeur« 
Très bel article aux mots exacts. Je me suis, comme sans doute beaucoup d’autres femmes, à travers chacune de vos phrases. Victime de violences psychologiques, et physiques, je me suis réfugiée dans le silence. A qui aurais-je pu en parler ?  Débordée émotionnellement, j’ai vécu ainsi entre la souffrance morale, les meurtrissure physique, jusqu’au jour où j’ai eu très peur de lui et comme il l’avais exigé dans un moment d’extrême violence, je suis partie.
Sans aucun moyen financier, je franchissais la porte de cet appartement pour me retrouver à la rue. Durant des mois, j’ai été hébergée, ou je dormais à l’hôtel quand mon RSA arrivait, je me nourrissais de peu, juste pour tenir debout. Autour de moi, aucune aide, les gens m’ont tourné le dos. Je me suis domiciliée auprès d’un CCAS pour recevoir mon courrier, seul élément qui me donnait encore l’illusion d’être humaine.
Un dimanche, j’ai voulu faire cesser cette souffrance insoutenable, ne plus entendre mon désespoir hurler. Vivre ainsi n’étais que survivre, et survivre ainsi n’était pas une vie décente.
J’ai avalé un tube de comprimés. Suicide loupé.
Il m’a fallu du temps et l’amour de ma fille, à qui je cachais tout, pour avoir de nouveau l’envie de vivre. Mais, la mémoire est éternelle. En perdant ma dignité, mon intégrité, j’ai perdu l’espoir. Je me compare souvent à une marionnette au cœur vide.
J’ai porté plainte, puis rencontré le psy de la police, puis celui du tribunal. Depuis je n’ai aucune nouvelle et je pense que mon dossier va rejoindre une énorme pile aux archives.
Pour le moment je vis dans un logement social à la limite de l’insalubrité, je ne mange pas tous les jours. Ma vie se résume à cela et à 59 ans, ce n’est pas grand chose, juste de la médiocrité.

L’INTERDICTION DE DIRE

silence

La personne victime de comportements toxiques et de violence psychologique se retrouve prise, entre autres, dans une double injonction : d’une part, l’obligation de dire, et d’autre part, l’interdiction de dire.

L’obligation de dire revient à devoir livrer tout de soi, en toutes circonstances, sans raison apparente. Qu’elle en soit consciente ou non, la personne confrontée à la violence psychologique va dévoiler tout ce qui lui appartient, du plus anodin au plus important. Le jardin secret est interdit, le rêve empêché, la pensée contrôlée. Elle doit raconter par le menu son passé, son présent, et jusqu’à l’avenir qu’elle projette. Elle livre ses joies et ses peines. Elle raconte ses succès et ses échecs. Elle dévoile ses histoires de famille, de santé, d’argent. Ses doutes, ses peurs, ses goûts et ses dégoûts… rien  n’échappe à celui ou celle à qui elle se livre, sans s’en rendre compte, et qu’elle nourrit peu à peu.

L’interdiction de dire va de pair avec l’obligation.
Ce qui est interdit, ce n’est pas de se dévoiler… puisque c’est en se racontant que la personne victime donne de la matière à son « bourreau ». Ce qui est interdit, c’est d’imaginer exister. Imaginer avoir un avis, une opinion, un sentiment. Ce qui est interdit, c’est d’exprimer ce sentiment, cet avis ou cette opinion, s’ils ne vont pas dans le sens décidé par le bourreau. S’ils ne sont pas destinés à glorifier le bourreau, à asseoir cette toute-puissance qu’il s’attribue.
Le « non » n’est pas admis.
Le « je ne pense pas comme toi » est réfuté.
Le « je ne suis pas d’accord » est jugé à la fois comme une atteinte et un défaut d’intelligence. Puisque le bourreau, lui sait. Aussi, penser autrement, dire autrement, c’est se tromper tout autant que le dénigrer, lui qui possède LA pensée juste, et prouver une fois de plus sa propre bêtise, à s’enfermer dans des pensés jugées « stupides » (pour le moins, et pour rester polie).

Seuls les sentiments autorisés par le bourreau, les pensées validées par lui, ou elle, les décisions prises par lui, ou elle, et appliquées par la victime, sont valables. Le reste, ce qui appartient aux victimes, n’est que fumisterie, mensonge, manifestation de bêtise et d’incapacité.

Aussi, la victime de ces violences, qui peut parler d’elle et longuement, d’elle en ce qui concerne ses faits et gestes, afin de satisfaire son bourreau mais aussi de se justifier pour ne pas donner prise à la critique, va également apprendre à se taire pour ne pas contrarier. Pour ne pas risquer d’entendre qu’elle se trompe. Et que, si elle n’est pas à peine de juger sainement de ses propres pensées, c’est bien qu’elle est malade…
Parce qu’il lui faut penser « pareil », parce qu’il lui faut dire « pareil », elle finit par adopter un mode de pensées qui ne lui correspond pas. Elle se retrouve interdite de compréhension, de parole, d’émotions qui ne vont pas dans le sens du bourreau. Elle est mise petit à petit à l’écart d’elle-même.

Et, s’éloignant de ses émotions et de leur expression afin de ne pas devoir supporter de nouvelles critiques et de nouveaux reproches, elle finit par ne plus y avoir accès, par ne plus les reconnaître possibles, réelle, et surtout autorisées et existantes.
Pour nombre de victimes, c’est ainsi que se développe la dissociation, mécanisme de défense qui, en éloignant de ses propres émotions, permet de ne pas ressentir directement la souffrance et de se croire à l’abri, ou, pour le moins, de se croire capable de supporter.

« Tu penses ressentir ce que tu dis ressentir, mais tu te trompes ; car je sais ce que tu ressens, et ce que tu ressens n’est pas ce que tu exprimes. Tu n’es donc même pas capable toi-même de te connaître vraiment, et de le partager… Et tu voudrais que je te fasse confiance ? Tu pourras être digne de confiance quand tu auras été soigné(e). Et c’est pour cela, pour corriger ce que tu ressens si mal, que je vais t’aider à consulter, à être hospitalisé(e). C’est pour toi que je fais cela… »

©Anne-Laure Buffet

L’OBLIGATION DE DIRE

main-tendue

« Je ne sais plus quoi dire… »
« Il me pousse à bout et je dois toujours lui répondre, sinon il m’insulte.. »
« J’ai l’impression de devoir tout le temps me trouver des alibis… »
« Elle passe son temps à me poser des questions même quand il n’y a pas de réponse à apporter… »
« Je n’ai pas intérêt à me tromper sur mon emploi du temps, sinon j’ai droit à des remarques, et tout ce que je dis est contrôlé, plusieurs fois… »

La personnalité toxique exerce un contrôle totale et permanent. Parfois, sans que la victime ne s’en rende compte. Elle commence cette intrusion virulente dans la vie et dans le jardin privé de sa victime de manière parfaitement anodine et discrète. Elle donnera même le sentiment d’un intérêt, d’une attention, d’une volonté de partager les moments pendant lesquels elle n’est pas avec sa victime. L’illusion est parfaite, la victime est convaincue que ce qu’elle vit intéresse « l’autre ». Et en effet il y a bien intérêt. Mais cet intérêt est tout aussi sournois que destructeur et de ce fait pervers, dans le sens où il est par nature perverti et sans aucune bienveillance.

La proie devenue victime va se confier sans aucune méfiance. Elle va raconter sa journée, y ajoutant des anecdotes a priori anodines et sans conséquences, du collègue avec lequel elle va partager un café, à le voisine croisée à la boulangerie. Elle va parler d’elle, de ce qu’elle vit, de qui elle voit, de ce qu’elle aime, quand, comment, pourquoi…

La personnalité toxique face aux paroles de sa victime se comporte alors comme un enregistreur. Si elle donne une image souriante, se montrant curieuse, posant mille petites questions en apparence sans conséquence, elle ne fait en fait que nourrir sa mémoire, infaillible. Elle la cultive en lui fournissant moult renseignements sur la victime. Dont elle se resservira. Un jour. Et ce jour peut-être bien longtemps après.

Ainsi, un matin, alors que la victime tente de sortir du sommeil et de boire son café encore bouillant, elle se verra demander qui était donc ce fameux collègue avec lequel elle aimait tant prendre un café, si elle le voit encore, ce qu’ils ont bien pu se dire, car depuis ce jour, elle a bien changé, si ce genre de café se produit souvent, pourquoi elle n’en parle pas… Les questions pleuvent, inondent la victime qui ne peut pas comprendre ce qui lui arrive.
Qu’a t’elle vraiment dit ? De quoi est-on en train de parler ? Qu’a t’elle fait ? Est-ce une faute que de prendre un café pendant les heures de travail ? Aurait-elle une attitude puissant laisser imaginer quoi que ce soit ?
Et il va lui falloir répondre. Précisément.
Face à elle , la personnalité toxique change de ton. Si les premières questions sont posées aimablement, presque avec un sourire, donnant encore une fois l’illusion de l’intérêt, la bouche se crispe en même temps que le ton se durcit. Si la victime fait mine de se lever pour couper court à cette discussion accusatrice et malveillante, la personnalité toxique lui fera comprendre, par une simple attitude, qu’elle ne peut pas bouger. Qu’elle ne DOIT pas bouger. Conseil formulé de manière non verbale, conseil qui exerce une pression violente, la victime l’entend et se tait, ne bouge plus, ne sait plus quoi dire ou quoi faire. Elle est  une souris pris au piège, coincée contre un mur. Elle DOIT dire ce que la personnalité toxique veut entendre. Et elle ne sait pas ce qu’elle doit dire…

Aussi, elle tombe dans le piège de cette parole détournée et insultante. Espérant retrouver un peu de calme et gagner du temps pour mieux comprendre des attentes dont elle ne comprend pas le sens, elle est prête à dire n’importe quoi. Elle est prête à mentir. Elle pense se protéger. Elle ne fait que se perdre un peu plus. Ce qu’elle va dire sera à nouveau retenu contre elle. reformulé, interprété, redit, au moment où, à nouveau, elle s’y attendra le moins.
Et ne sachant plus précisément ce qu’elle a pu répondre la première fois, elle va se perdre dans de nouveaux détails, qui ne coïncident pas. Mais que la personnalité toxique va relever, pour mieux accuser, une fois de plus.

Pourquoi la victime n’a t’elle pas la force de dire NON ? Pourquoi reste t’elle ainsi à chercher à se disculper, pourquoi laisse t’elle s’installer tant de pressions dans son quotidien, pressions qui au regard de bien des gens la font passer pour faible et stupide ?
Parce que le comportement toxique ci-dessus schématisé ne se dévoile pas en quelques jours, mais après plusieurs mois, voire parfois plusieurs années. Comme déjà dit, la personnalité toxique est patiente. Elle a tout son temps pour s’accaparer sa proie, pour en tirer le plus grand bénéfice, puis pour la mettre à terre.
A coup de remarques blessantes, de phrases anodines dénigrantes, de réflexions soulignant la « chance » que cette victime a d’être ainsi « aimée » et « supportée » malgré ses travers, elle impose son emprise malsaine et meurtrière de manière froide et implacable. Et sans que cela ne soit visible ou compréhensible. Elle le fait sans témoin. Seule la victime subira les remarques et autres comportements ravageurs.

La personnalité toxique ne se contentera pas de ce genre de comportements violents psychologiquement. Elle saura alterner avec les compliments, les encouragements, la douceur feinte, la gentillesse simulée, pour toujours mieux enfermer sa proie. Celle-ci, abimée par la violence de ce qu’elle peut entendre, se réfugie alors dans ces moments de calme apparent, comme on se blottit sous une couverture en cherchant un peu de chaleur. Et une fois blottie, la victime se critiquera, seule, s’accusant de mal juger, de mal comprendre, de mal aimer.
C’est alors que le nouveau coup de poignard va intervenir. Au moment précis où la victime, engourdie par la douceur qu’elle croit avoir trouvée et culpabilisant de ce qu’elle imagine être sa propre méchanceté, se fera à nouveau blesser.
À en perdre ses forces vives, ses capacités de recul et de réflexion.
À s’épuiser totalement.
À ne plus savoir ni qui elle est ni ce qu’elle dit.
Et parfois, à aller jusqu’à tenter de mourir pour ne plus souffrir.

©Anne-Laure Buffet

LE MATRICIDE PSYCHOLOGIQUE

mm_closeup

Elles parlent de matricide.
De matricide psychologique.

Elles, ces femmes qui contactent CVP. Qui viennent en groupe de parole, en rendez-vous. Qui demandent un accompagnement.

Ces femmes qui ont donné la vie. Une ou plusieurs fois.
Le temps passe.
Elles ont connu l’emprise. Elles en sortent, ou en sont sorties. En faisant un long travail, de prise de conscience, de deuil, de reconstruction. En étant combattantes, pour se retrouver, pour s’estimer, pour exister à nouveau. Elles ont bâti une autre vie. Avec des espoirs et des rêves différents. Avec un rapport à elles, et aux autres, différent. Avec des enfants. Différents.

Différents, car si elles ont pu sortir de l’emprise, les enfants sont devenus victimes à leur tour. Victimes de l’instrumentalisation d’un parent malveillant. Écoutant une parole qu’ils croient évangélique, ils se laissent peu à peu enfermer dans un schéma de pensée qui les éloigne de leur mère, qui les transforme en arme afin de mieux la détruire, et qui les dépersonnalise à leur tour. Certains s’éloigneront d’elles, se taisant, transformant la vérité, niant actes et pensées. D’autres nieront bien plus ; ils nieront jusqu’à leur amour et leur attachement naturel, maternel et légitime. Ils nieront des vérités, ils nieront des instants. Ils se feront accusateurs et juges de fausses vérités.

Ils refuseront petit à petit de la voir, de lui parler, de communiquer.
Ils refuseront d’en parler.
Elles n’existeront plus.

Ou si peu.
Ou après un long combat, pour faire entendre LA vérité. Pour être crues.

À ces femmes, à ces mères, il leur est retiré une partie de leur existence. Une partie de leur être.
Elles se retrouvent, aux yeux d’une société trop prompte à critiquer et discréditer, des coupables. Elles vont être stigmatisées. « S’il n’y avait pas de problème, les enfants seraient encore avec leur mère… »

Il leur faut se racheter d’une faute qu’elles n’ont pas commises à leurs propres yeux, à ceux de leurs enfants, et à ceux d’un environnement incrédule et cruel, par défaut.
Certaines, après un long combat, retrouveront leur place de mère. Elles commenceront par aller à la rencontre d’un(e) inconnu(e) ; elles feront à nouveau connaissance. Elles grandiront avec un enfant qu’elles retrouvent, qu’elles n’ont jamais cessé d’aimer.

D’autres devront faire un nouveau deuil. Celui de l’enfant désiré, porté, bercé, aimé. Et qui les a reniées, sans savoir pourquoi.

©Anne-Laure Buffet

N.B. : Le parricide psychologique existe aussi. Il a les mêmes causes, les mêmes procédés et les mêmes conséquences.

Meurtres psychologiques, ils ne sont que rarement compris, et presque jamais condamnés.

NON AUX CONCLUSIONS TROP RAPIDES

_c009c46bc4_7ef158b8cd1e39be-post

 

Il me paraît important de revenir une fois de plus sur un sujet déjà abordé sur ce blog : la nécessité à ne pas chercher à qualifier l’autre, mais à mettre un terme à des comportements qui nous sont toxiques et de fait destructeurs.

Je continue de lire dans la presse, dans des publications récentes, sur les réseaux sociaux, les critères permettant de repérer le parfait MPN (manipulateur pervers narcissique), de s’en méfier, de le fuir. Ces écrits ont pour avantage d’informer. Ils ont donc bien sûr un intérêt.
Ils ont également un inconvénient majeur : la chasse aux sorcières sous-entendue.
S’ils permettent d’éclairer une situation, s’ils permettent de se remettre en question, de s’interroger, de commencer à comprendre qu’une situation vécue est anormale est dangereuse, ils ne font pas loi, ni foi, de manière catégorique.

Ils invitent à la réflexion et à l’action ; ils invitent aussi et surtout à consulter des professionnels de l’accompagnement, des juristes, des personnes objectives, neutres et compétentes.

Leur prêter parole d’évangile ne permet pas de se sortir d’une situation d’emprise, mais de qualifier « l’autre », le bourreau ou celui vu comme tel, de monstre, de vampire, de malade, de danger. Ils font naître à la fois la compréhension d’une situation et la peur de celle-ci, en la démultipliant.
De plus, ils poussent à des conclusions parfois rapides, et elles-mêmes dangereuses pour ceux ou celles qui les tirent.

– Je sais que c’est un PN, je l’ai lu… (ah bon ? son nom était dans le journal ? Vous avez consulté un professionnel ? Vous avez eu un diagnostic précis ?)
– J’ai compris que j’étais manipulée… Au début de notre relation il y a quelques mois il sortait les poubelles et me rapportait des fleurs ; aujourd’hui c’est fini. Je n’ai rien d’autre à dire, si ce n’est que maintenant qu’il n’a plus à me séduire, il va me détruire… (et si tout simplement il était fatigué ? S’il avait en ce moment plus de travail, ou plus de soucis ? Si vous-même vous montrez moins réceptive, mois attentionnée…)
– Il m’a fallu à peine un an et j’ai su qu’elle était comme une mante religieuse ; depuis la naissance du petit elle ne s’occupe que de lui et ne me donne pas de temps (donc elle ne s’occupe que d’un enfant de 3 mois, qu’elle nourrit, lave, berce, soigne, protège… ne remplirait-elle pas simplement avec amour son rôle de mère ? )
– Sa mère est castratrice et je sais qu’il va me faire du mal (attention aux projections et aux anticipations négatives)

En règle générale et quelle que soit la situation d’emprise ou de violence psychologique, si elle est avérée, il n’en demeure pas moins qu’un travail sur soi est indispensable. Savoir QUI est l’autre ne suffit pas à sortir d’une relation d’emprise, à se protéger et se reconstruire. Comprendre ses propres failles, ses fragilités, analyser ce qui a permis à une personnalité toxique de voir en vous une proie est indispensable. Pour se renforcer, pour s’apprécier, pour s’aimer à nouveau, pour avancer et construire.

Lisez, lisez, il en restera quelque chose… Mais ne restez pas sur des conclusions trop rapides. Lisez. Analisez. Consultez.
Et recommencez à penser à vous, et non à l’autre.

©Anne-Laure Buffet