QUESTION DE TEMPS

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©Agnes Baillon

« J’ai honte,  je ne vous ai pas donné de nouvelles depuis longtemps. »

« Vous devez penser que la folle c’est moi, puisque je vous ai demandé des conseils, et ensuite j’ai disparu… »

« Vous avez raison, mais je n’ai pas voulu vous écouter. Aujourd’hui, je me rends compte que j’ai pris beaucoup de retard, et que j’aurais pu agir beaucoup plus rapidement. Peut-être que mes enfants auraient été plus protégés. »

« je vous ai beaucoup sollicitée l’année dernière ; après je suis resté silencieuse. Pourtant j’ai appliqué vos conseils et les choses ont changé. Est-il possible de reprendre un rendez-vous et d’en parler… »

À quelque chose près, voici le genre de phrase qu’il m’arrive d’entendre régulièrement au téléphone, lorsqu’une personne en souffrance, ou au moment de sa prise de conscience, me contacte à nouveau.

Il faut admettre, que ce soit en tant que thérapeute, en tant qu’avocat, entend que personnel soignant, ou encore tout simplement comme proche comme membre de la famille ou en tant qu’ami, une personne qui se retrouve confrontée à de la violence psychologique a besoin de temps pour admettre que ce qu’elle perçoit est LA vérité. Lorsque l’on commence à comprendre la situation que l’on traverse face un conjoint ou un parent dont les comportements sont toxiques, l’acceptation prend nécessairement du temps, et d’autant plus de temps que la relation d’emprise s’est installée dans la durée, ou encore qu’elle est liée un affect particulier. L’acceptation en tant que conjoint, compagne, ou amis, ne peut être la même que celle d’un enfant, même devenu adulte, qui prend conscience des comportements maltraitants et toxiques d’un de ses parents, ou des deux.

Avant même la prise de conscience, il existe un sentiment, diffus, et pour autant étouffant. La personne confrontée à la violence psychologique ressent cette violence sans pouvoir la nommer, sans pouvoir la palper. Elle sait que ce qu’elle vit n’est pas normale, elle s’est que les choses devraient être autrement, et pour autant elle semble paralysée. L’un des facteurs qui causent cette paralysie elle a peur. L’autre, le plus important à ce stade, elle doute. La question qui revient le plus fréquemment est : « ai-je raison de me méfier ? Ai-je vraiment conscience de ce que je vis ? Ai-je raison de me sentir victime ? Est-ce qu’on est victime toute sa vie ?… »

C’est souvent à ce stade que les premières interrogations sont formulées. La personne en souffrance se tourne alors vers ses proches, quand elles le pourront encore, vers sa famille, vers des professionnels. Pour autant elle a encore du mal à exprimer ce qu’elle ressent. Il faut alors être particulièrement à l’écoute, savoir entendre entre les mots, ou comprendre entre les lignes, pour tenter d’apporter la première réponse la plus réaliste et la plus objectif possible à celui ou celle qui se trouve alors dans le questionnement. Il ne faut jamais non plus perdre de vue que cette personne vient avec un questionnement, mais que la réponse à son questionnement peut bouleverser l’intégralité de sa vie, de ce qu’elle a mis en place, de ce qu’elle a construit, même si cela la fait souffrir au quotidien.

Aussi, lorsqu’il est dit à cette personne qu’elle a parfaitement compris ce qu’elle vit, qu’elle a parfaitement raison de vouloir de nommer comme de la maltraitance ou de la violence psychologique, ou encore comme de la manipulation et du harcèlement, quand il faut lui dire qu’elle est effectivement victime de comportement toxique qui à terme l’amèneront à une destruction psychique voire physique, qui dans certains cas la pousseront aux tentatives de suicide, il faut à la fois être lucide, prudent, patient, toujours dans l’écoute, essentiellement dans la compréhension et l’acceptation du temps qu’il va falloir à  ladite victime pour être dans l’action positive et combative dans son intérêt, et souvent celui de ses enfants.

Si les paroles formulées par un proche ou encore par un professionnel peuvent être brusque pour la victime, il n’est pas pour autant question de la brusquer. Il est question de l’amener à une prise de conscience, de l’amener à accepter que ce qu’elle ressent est la réalité. Il n’est pas question de la forcer à une action dont elle n’est pas encore capable.

Aussi, il peut arriver que des victimes se présentent, avec une bonne conscience de ce qu’elle traverse, capable d’exprimer leurs souffrances, leurs craintes, et leurs besoins que la situation, leur situation, soit qualifiée.  Elles en ont besoin car c’est un premier pas vers la réhabilitation, vers le sentiment d’exister, ce qui est totalement retiré à une victime de violences psychologiques.
Cela dit, une victime en grande souffrance qui prend conscience ou qui est amenée à prendre conscience de ce qu’elle traverse, se retrouve face à un abîme : que faire ? Quelle action doit être menée ? Comment agir ? Comment sera demain ? Et ce qui contraint essentiellement sa réflexion c’est la peur, et même la terreur, que le harcèlement et les violences ne cessent jamais, et au-delà de ça être incapable de pouvoir se reconstruire.

C’est pour cela que de nombreuses victimes, alors que l’entourage ou les professionnels les informes, les accompagnent, tente de leur offrir les conseils et l’aide des plus judicieux possible, semble s’enfermer dans une situation de souffrance pourtant exprimée, et donne le sentiment à ce qui les observe de ne rien faire, voir même de se complaire dans cette situation.

Porter un tel regard sur les victimes : « finalement, ça doit bien lui convenir. Elle devrait arrêter de gémir, elle devrait se prendre en main. Il y a sûrement des choses à faire, mais elle ne le fait pas… » ne fait qu’aggraver la souffrance, ne fait que participer à la violence psychologique déjà en place, ne fait que condamner une fois de plus ladite victime. Entre le moment où pour la première fois l’exprimer sa souffrance et sa peur, et le moment où elle va mettre en action et en œuvre ce qui va lui permettre de se libérer de se reconstruire, il peut se passer des mois, parfois des années. Des mois, des années qui seront alors faites de silence, de repli, pendant lesquelles la victime peut se renfermer d’autant plus. C’est souvent dans cette période-là que les proches se retirent ou s’éloignent, paradoxalement c’est dans cette période-là qu’il faudrait qu’il soit le plus présent, aussi difficile que ce soit, aussi incompréhensible que ce soit.

Et si parfois la victime peut se montrer un peu « envahissante » par ce qu’elle a particulièrement besoin d’aide à un moment précis, et que la même victime, semble ensuite se renfermer ou se taire, lui fermer la porte ne plus vouloir l’écouter lorsqu’elle revient, c’est la condamnée. Il faut essayer de se mettre un petit instant à la place de cette victime, essayer de comprendre son fonctionnement et son psychisme. L’un des sentiments les plus présents chez les victimes de violences psychologiques et le doute. L’incompréhension. Et la honte. Honte de vivre, de « supporter » ce qu’elle supporte, honte de ne pas réagir, (car elle pense qu’elle devrait en avoir les moyens…), Honte d’avoir demandé de l’aide, d’avoir le sentiment d’avoir dérangé, et en ces temps tu d’avoir fait preuve d’ingratitude ou de lâcheté.

Ce qui doit rester essentiel, c’est cette volonté qu’elles manifestent de nouveau non seulement de comprendre, mais aussi et surtout d’être aidée, d’être accompagné, de s’en sortir, de mettre en œuvre l’essentiel pour dire enfin stop ! à la violence subie.

Ainsi, à toutes celles et ceux qui ont prient contact avec des amis, avec de la famille, avec des professionnels, à toutes celles et ceux qui ont demandé  de l’aide, qui ont appelé « au secours », puis qui se sont tus, il est urgent de dire : « n’ayez pas honte ! N’ayez pas honte du doute qui vous a habité, n’ayez pas honte du temps passé, n’ayez pas honte d’être devenu mutique ou taiseux. » et ce qu’il est encore plus urgent de leur dire, c’est : « bravo ! Le temps passé est passé, ce qui compte aujourd’hui c’est que tu veuilles transformer ton présent et ton avenir. Et n’oublie pas si on ne peut modifier le passé, le futur construit le présent. »

N’ayez pas honte. La famille, les amis, mais encore plus et surtout les professionnels, avant tout, sont à même de comprendre. Et doivent comprendre. Ils ne sont pas là pour juger, ils ne doivent jamais juger. Ils doivent répondre présent.

©Anne-Laure Buffet

NON AUX CONCLUSIONS TROP RAPIDES

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Il me paraît important de revenir une fois de plus sur un sujet déjà abordé sur ce blog : la nécessité à ne pas chercher à qualifier l’autre, mais à mettre un terme à des comportements qui nous sont toxiques et de fait destructeurs.

Je continue de lire dans la presse, dans des publications récentes, sur les réseaux sociaux, les critères permettant de repérer le parfait MPN (manipulateur pervers narcissique), de s’en méfier, de le fuir. Ces écrits ont pour avantage d’informer. Ils ont donc bien sûr un intérêt.
Ils ont également un inconvénient majeur : la chasse aux sorcières sous-entendue.
S’ils permettent d’éclairer une situation, s’ils permettent de se remettre en question, de s’interroger, de commencer à comprendre qu’une situation vécue est anormale est dangereuse, ils ne font pas loi, ni foi, de manière catégorique.

Ils invitent à la réflexion et à l’action ; ils invitent aussi et surtout à consulter des professionnels de l’accompagnement, des juristes, des personnes objectives, neutres et compétentes.

Leur prêter parole d’évangile ne permet pas de se sortir d’une situation d’emprise, mais de qualifier « l’autre », le bourreau ou celui vu comme tel, de monstre, de vampire, de malade, de danger. Ils font naître à la fois la compréhension d’une situation et la peur de celle-ci, en la démultipliant.
De plus, ils poussent à des conclusions parfois rapides, et elles-mêmes dangereuses pour ceux ou celles qui les tirent.

– Je sais que c’est un PN, je l’ai lu… (ah bon ? son nom était dans le journal ? Vous avez consulté un professionnel ? Vous avez eu un diagnostic précis ?)
– J’ai compris que j’étais manipulée… Au début de notre relation il y a quelques mois il sortait les poubelles et me rapportait des fleurs ; aujourd’hui c’est fini. Je n’ai rien d’autre à dire, si ce n’est que maintenant qu’il n’a plus à me séduire, il va me détruire… (et si tout simplement il était fatigué ? S’il avait en ce moment plus de travail, ou plus de soucis ? Si vous-même vous montrez moins réceptive, mois attentionnée…)
– Il m’a fallu à peine un an et j’ai su qu’elle était comme une mante religieuse ; depuis la naissance du petit elle ne s’occupe que de lui et ne me donne pas de temps (donc elle ne s’occupe que d’un enfant de 3 mois, qu’elle nourrit, lave, berce, soigne, protège… ne remplirait-elle pas simplement avec amour son rôle de mère ? )
– Sa mère est castratrice et je sais qu’il va me faire du mal (attention aux projections et aux anticipations négatives)

En règle générale et quelle que soit la situation d’emprise ou de violence psychologique, si elle est avérée, il n’en demeure pas moins qu’un travail sur soi est indispensable. Savoir QUI est l’autre ne suffit pas à sortir d’une relation d’emprise, à se protéger et se reconstruire. Comprendre ses propres failles, ses fragilités, analyser ce qui a permis à une personnalité toxique de voir en vous une proie est indispensable. Pour se renforcer, pour s’apprécier, pour s’aimer à nouveau, pour avancer et construire.

Lisez, lisez, il en restera quelque chose… Mais ne restez pas sur des conclusions trop rapides. Lisez. Analisez. Consultez.
Et recommencez à penser à vous, et non à l’autre.

©Anne-Laure Buffet

POURQUOI, POURQUOI… POURQUOI ?

Lise-Anne-Marsal9

C’est inévitable. Le « pourquoi » est lancinant. Il revient de façon permanente.

Pourquoi me fait-il / elle tout ça ?
Pourquoi me fait-il / elle ça, à moi ?
Pourquoi je ne m’en suis pas rendu(e) compte plus tôt ?

Nous avons besoin de comprendre, de savoir, car rien n’est plus terrifiant que d’avancer dans le noir. Donner un sens aux évènements qui se produisent dans notre vie est plus que légitime. Et quand ces évènements sont destructeurs, quand ils entraînent vers la maladie, la dépression, la perte de l’estime de soi, la perte de ses repères, la question se répète de plus en plus, et le besoin de savoir avec.

Le discours de la personnalité toxique nous plonge dans la plus complète confusion. Ai-je dit cela ? Ai-je fait cela ? Ai-je le doit de penser ainsi, d’agir ainsi ? Et, n’ayant pas de réponse évidente, on en trouve, pour se soulager, ou tout du moins, pour ne pas rester dans le vide.
Apparaît alors le : « Parce que… ». Or, il n’y a pas de parce que à chercher ou à donner. C’est ainsi. Et s’essayer aux « parce que » entraîne d’autant plus de confusion.

Commencer à ne plus chercher ni donner de raison est un premier pas pour sortir de la confusion. Il faut donc absolument ce sortir de ce cercle vicieux du « pourquoi… parce que ». Il faut indiscutablement ne plus chercher de raisons. Il n’y en a qu’une : la personnalité toxique a un objectif : détruire sa victime. Pourquoi ? Il est fait ainsi. Point. Il n’y a pas à aller chercher plus loin.

Dans le même temps, il faut apprendre à chasser la culpabilité – inévitable. N’ayant pas de réponse à nos « pourquoi », nous nous demandons si les torts ne sont pas les nôtres, ni ce que nous sommes n’a pas induit chez l’autre son attitude. C’est, consciemment ou non, ce que recherche la personnalité toxique. Car qui dit culpabilité, dit affaiblissement. Et la victime sera d’autant plus enclin à se soumettre.

Il n’y a pas de parce que à donner. Il n’y a pas de culpabilité à avoir. La personnalité toxique est ainsi faite. Comme certains sont blonds ou bruns, petits ou grands, elle est toxique. Vous n’y êtes pour rien. Vous n’avez rien fait. Même si elle est douée pour vous faire croire le contraire.

©Anne-Laure Buffet