CONFLIT DE LOYAUTÉ ET CONFUSIONS CHEZ L’ADOLESCENT

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 » Le conflit de loyauté peut se définir comme un conflit intra-psychique né de l’impossibilité de choisir entre deux situations possibles, ce choix concernant le plus souvent les sentiments ou ce que nous croyons en être, envers des personnes qui nous sont chères. »

De façon générale, la violence conjugale est gardée secrète et les enfants y étant exposés sont souvent clairement avertis (par le parent violent et manipulateur, par le parent agressé et culpabilisé) qu’ils ne doivent pas révéler à quiconque la présence de cette violence. Ces enfants doivent ainsi sceller leurs souvenirs et ne pas aborder le sujet, bien que les conséquences de la violence continuent d’affecter leur vie quotidienne. Ils occultent, peuvent se retrouver en état dissociatif. Ils sont alors clivés. Certains, les « résilients », vont surmonter en se créant leurs propres structures de pensée.

Les travaux de Boszormenyi-Nagy (1), systémicien, évoquent la loyauté entre enfants et parents et des situations hors normes où l’enfant est parentifié, ce qui engendre une loyauté verticale non maintenue. Le conflit de loyauté amène alors une indifférenciation générationnelle favorisant un contexte incestuel voire l’inceste lui-même. Le conflit de loyauté, tout comme le conflit psychique, amène l’individu à ne plus savoir se positionner face à des contradictions entre ses désirs et ses devoirs.

Il a été démontré que ce « conflit de loyauté » dans lequel est durablement plongé l’enfant est très destructeur pour la construction de la personnalité future de l’enfant. Pour l’enfant, ce conflit intra-psychique naît de la profonde impossibilité de choisir entre le père et la mère.

Le conflit de loyauté est un trouble majeur auquel se trouvent confrontés de nombreux enfants de parents divorcés et qui doivent constamment composer entre les désirs des parents souvent contradictoires, et entre les obligations et interdictions diverses de ces deux parents qui ne parviennent plus à s’entendre.
Ce conflit parental est une forme de violence psychologique, et devient destructeur de part la répétitivité des messages contradictoires que peut recevoir l’enfant de la part de ces deux parents.

Comme le secret de la violence est gardé aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur de la famille, l’enfant qui désire comprendre la situation et ses sentiments face à celle-ci est forcé de le faire seul, ce qui augmente son sentiment d’isolement . Cette situation peut présenter des risques émotionnels et physiques pour les enfants, les jeunes n’étant pas totalement conscients de la sévérité de la violence ni du risque actuel ou du potentiel de danger physique y étant associé.

Les rapports avec les parents sont modifiés, inversés, et déstructurants. L’enfant est souvent parentalisé. Ses repères trop faibles et trop mouvants l’empêchent de se structurer sereinement. Les jeunes peuvent percevoir leur mère comme étant faible et éprouver du mépris envers cette dernière. Ils peuvent alors percevoir leur père comme la personne détenant le pouvoir dans la famille, ce qui peut provoquer l’admiration des enfants.
Parfois, la mère peut aussi désirer quitter cet environnement violent et les enfants peuvent alors percevoir celle-ci comme la cause de la séparation de la famille et se ranger du côté de leur père. Les enfants peuvent donc éprouver des sentiments contradictoires alternants fréquemment entre l’amour et la haine, l’attachement et le détachement, la proximité et le rejet à l’égard de l’un ou l’autre de leurs parents. Par ailleurs, cette ambivalence est un processus normal du développement caractérisant le plus souvent les enfants autour de deux ans. Chez les enfants exposés à la violence conjugale, l’ambivalence est nettement présente et ce, à tous les âges.  Si l’exposition à la violence conjugale perdure, le conflit de loyauté de l’enfant peut devenir de plus en plus intense et ce jusqu’à devenir carrément insoutenable. L’enfant peut alors prendre position pour l’un ou l’autre de ses parents afin d’atténuer l’intensité de ses émotions déchirantes.

Un contexte de domination et d’agressivité

Il est aussi probable que le jeune prenne position en faveur du conjoint exerçant la violence et reproduise dans ses relations interpersonnelles, actuelles et futures, les comportements de domination et d’agression appris au sein de sa famille.
Les enfants s’alliant à leur père éprouvent de l’admiration envers la supériorité de ce dernier. Ils développent une vision dichotomique des conflits, caractérisée par la présence de gagnants et de perdants, et en viennent à concevoir la violence comme un moyen légitime d’obtenir la victoire lors de désaccords. La rage et la colère sont des éléments centraux du vécu émotionnel de ces jeunes.
Les enfants ayant intégré ce modèle sont également susceptibles de devenir eux-mêmes des agresseurs dans leurs futures relations intimes.

La recherche d’une image parentale. 

Le jeune pris dans le contexte conflictuel et de fait soumis au conflit de loyauté peut vouloir trouver dans son entourage une figure emblématique capable de remplacer celle défaillante. Il va se tourner vers un proche (membre de la famille, frère ou soeur aîné(e), éducateur, parent d’amis…), accordant alors à celui qu’il va désigner comme le remplaçant de son parent violent ou défaillant les qualités et les compétences qu’il veut. Le plus souvent ces qualités et ses compétences sont exagérées, fantasmées, compensant la souffrance tue du jeune en souffrance. Il va se montrer d’autant plus exigeant qu’il est en recherche de perfection, et ne fera de ce fait aucune concession à celui ou celle qu’il va désigner comme « remplaçant », comme figure emblématique.
Il faut cependant noter qu’un jeune particulièrement soumis à la violence sera d’autant plus fragilisé… Devenant à son tour une proie si la figure emblématique choisie par lui n’est pas bienveillante. Lui accordant une pleine et entière confiance, il ne se tiendra pas à l’écart de dangers qu’il ne peut deviner ou comprendre.

C’est à l’adulte pris comme figure emblématique de faire preuve de discernement. Quel que soit le comportement du père ou de la mère de l’enfant pris dans un intense conflit de loyauté, l’adulte « élu » doit savoir rester à sa place et rappeler à cet enfant qu’il n’est si son père, ni sa mère. Qu’il peut être un repère (attention, ce mot devient ici ambivalent : re-père…), qu’il peut l’accompagner, le guider, lui donner des limites. Qu’il accepte l’amour et la confiance de l’enfant tout comme il lui en donne. Mais il ne pourra jamais être celui ou celle que, de fait, il n’est pas : le géniteur de l’enfant.

(1)Avec la thérapie contextuelle, Yvan Boszormenyi-Nagy inaugure un nouveau paradigme en thérapie familiale : l’enfant n’est plus – selon la représentation en vigueur chez les psychanalystes – ce pervers polymorphe, tout-puissant, aux fantasmes incestueux et meurtriers, il est désormais capable de discernement, de réciprocité positive (logique du don) ou négative (logique de représailles), d’engagement face à ses parents souvent vulnérables et en conflit. L’enfant parentifié, se pose en premier tribunal de l’humanité ; il tente de réparer, au-delà de toute dette, ses parents ou ses ancêtres maltraités par la vie, par l’histoire ou par leurs liens.

Anne-Laure Buffet

LES MANGEURS D’ÂME AU RÉGIME SEC

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Certains vampires, indifférents au sang, opèrent comme des parasites psychiques, capables de cannibaliser à distance la vitalité et les talents de leurs victimes. 

Dans la tradition légendaire, une des conditions minimales pour que l’on puisse identifier un vampire est sa dépendance au sang. Or, dans la littérature fantastique, on rencontre souvent des êtres qui ne s’abreuvent jamais de sang mais qui ont la faculté de capter l’énergie vitale ou psychique des humains sans avoir nécessairement de contacts physiques avec eux. Le grand spécialiste anglais du vampirisme, Montague Summers, auteur de deux ouvrages érudits sur la question, The Vampire: His Kith and Kin (1928) et The Vampire in Europe (1929), a été le premier à leur donner le nom de « vampires psychiques ».

Dans la fiction, les vampires psychiques peuvent être aussi redoutables que les vampires sanguinaires dans la mesure où ils sont capables de provoquer la mort de leurs victimes. L’idée apparaît pour la première fois dans la nouvelle de Henry James « De Grey » (1868), où les représentants masculins de la famille De Grey, victimes d’une malédiction, provoquent sans le vouloir la mort de leur fiancée comme s’ils aspiraient leur vie. Dans le roman de la britannique Florence Marryat, The Blood of the Vampire, publié en 1897 – la même année que Dracula – , contrairement à ce que semble indiquer le titre, l’héroïne vampire, Harriet Brandt, ne suce pas le sang de ses victimes, mais provoque involontairement leur mort à distance ou par simple contact. Ses victimes s’affaiblissent progressivement comme si elles souffraient d’une anémie pernicieuse et ne tardent pas à mourir. Après la mort de son amant, Harriet prend conscience de son funeste pouvoir et décide de mettre fin à ses jours.

Contrairement à de tels personnages de tragédie qui sont en définitive plus à plaindre qu’à blâmer, les vampires psychiques, en général, savent parfaitement ce qu’ils font, et c’est avec cynisme qu’ils dépouillent leurs victimes de leur jeunesse, de leur santé, et même de leur vie. Ce sont souvent des personnes âgées qui refusent de vieillir, comme l’héroïne de la nouvelle de W.F.Harvey, « Miss Avenal » (1928). Miss Avenal est une très vieille femme qui fait de fréquents séjours dans les hôpitaux, où elle absorbe la jeunesse et la vitalité des infirmières qui la soignent, retardant ainsi indéfiniment l’heure de sa propre mort. Dans « La Dame aux biscuits » (« The Cookie Lady« , 1953) de Philip K.Dick, une affreuse mégère décrépite, Mrs Dew, attire chez elle un petit garçon sous le prétexte de lui donner des biscuits. L’enfant tombe malade tandis qu’elle rajeunit et, lorsque le petit Bubber finit par disparaître emporté par le vent comme une feuille morte, Mrs Dew est redevenue une jeune femme d’une éclatante beauté.

Imposteur, mère abusive…

Certains vampires psychiques ont la faculté d’absorber les dons et les talents des personnes qu’ils fréquentent fin de se les approprier. C’est le cas de Reginald Clarke, dans le roman de G.S.Viereck, La Maison du Vampire (The House of the Vampire, 1907). Ecrivain médiocre devenu frauduleusement auteur à succès auprès du public new-yorkais, Clarke n’a cessé de puiser le talents des artistes, poètes, romanciers, peintres ou sculpteurs qui font partie de son cénacle. Dépouillées de toute inspiration, ses victimes deviennent des sortes de zombies, tandis que leur terrible parasite triomphe en s’appropriant leurs oeuvres.

La fable du vampirisme psychique permet aussi de représenter métaphoriquement les conflits, bien connus des psychologues et des psychanalystes, qui opposent des êtres autoritaires à ceux qu’ils dominent, et le conflit oedipien n’est pas le moindre d’entre eux. D.H.Lawrence s’en sert ainsi pour illustrer le thème de la mère abusive qui refuse de traiter ses enfants en adultes et les maintient sous dépendance dans « La belle dame » (« The Lovely Lady« ), nouvelle publiée en 1927. Pauline Attenbourough est une femme âgée qui a gardé miraculeusement la beauté et la jeunesse. Le secret de cette éternelle jouvence est qu’elle puise son énergie de ses deux fils adultes, sur lesquels elle exerce une autorité despotique, les traitant comme des enfants et les condamnant au czléibat. Lorsque son fils cadet finit par se révolter et décide d’assumer son propre destin, le charme est rompu, et la « belle dame » retrouve en quelques jours l’aspect de la vieille femme qu’elle est vraiment. (1)

Le vampire psychique de la littérature fantastique est un prédateur, un dominateur et un parasite dont le comportement n’est pas sans rappeler celui de certaines personnes bien réelles du monde où nous vivons. Montague Summers a fait remarquer l’extraordinaire ascendant de certains orateurs qui parviennent, de façon quasi hypnotique, à capter totalement l’attention de leur auditoire, et d’une certaine manière, à le vampiriser. On se souvient des discours enflammés d’Adolf Hitler qui parvenaient à fanatiser des foules énormes. Chacun de nous, enfin, a pu rencontrer dans sa vie de tous les jours un être exerçant sur autrui une autorité naturelle ou un talent de persuasion auxquels il était difficile de résister. Plus discret et plus subtil que son cousin aux dents pointues, le vampire psychique est en même temps plus proche de nous, car il se situe aux limites du fantastique.

Jean Marigny

Le Magazine Littéraire

Mars 2013

(1) Voir aussi le conte de Raiponce, des frères Grimm