25 NOVEMBRE 2015 – JOURNÉE DE LUTTE CONTRE LA VIOLENCE FAITE AUX FEMMES

mocanu-bw-blackwhite-tremendo-artistic-black-and-white-photography-woman-sadness-sad-beauty_large… faites aux femmes, mais pas qu’aux femmes.
Faites aux hommes aussi.
Aux enfants. Aux enfants, filles et garçons, qui un jour seront des hommes, des femmes , des parents peut-être, des conjoints, des citoyens et des citoyennes.

Journée de lutte contre les violences, psychologiques, physiques, sexuelles.

Et la violence psychologique se décline presque toujours ainsi : psychologique, physique – car même en l’absence de coups portés, le corps en reçoit, le corps souffre, le corps est meurtri, parfois durablement. Violence sexuelle, quand l’inceste s’inscrit dans cette emprise, lorsque l’incestuel embrouille, trompe, trahit la confiance naturelle d’un enfant pour son parent, quand cet enfant est interdit de repères.

Ces enfants grandissent dans un climat conflictuel, violent. Ils en sont témoins et/ou victimes. Quoiqu’il en soit, ils sont TOUJOURS exposés. Exposés, et tellement peu entendus. Tellement peu soutenus. De ces phrases stupides telles que « il oubliera en grandissant », à « avec le temps il saura pardonner », à ces décisions implacables, accusatrices et déresponsabilisées « dans l’intérêt majeur de l’enfant monsieur et madame sont invités à réinstaurer une communication saine »… Et comme dirait Pilate « Je m’en lave les mains ».

Or, ces enfants exposés, qui voient, entendent, supportent, subissent, se mettent en danger, ces enfants qui, parfois dès le plus jeune âge, peuvent être séparés d’un parent bienveillant, le temps d’une procédure, ou pendant un temps bien plus long, ces enfants qui sont confiés à la bienveillance d’éducateurs, de foyers, de décisions arbitraires prises en fonction de dossiers, d’expertises rédigées rapidement, après un, deux, parfois trois rendez-vous, ces enfants encore dont la parole est truquée, manipulée pour servir la cause d’un parent toxique, que vont-ils devenir ? Comment vont-ils, comment peuvent-ils se construire ? C’est l’inquiétude majeure de ces parents bienveillants, ces parents qui veulent protéger et sont démunis, face à l’incompréhension d’un système souvent débordé, largement enraciné dans des principes, et qui, toujours comme Pilate, semble faire de son mieux, sans jamais s’impliquer.

Or, ces enfants, c’est notre société de demain. Qui va se construire sans repères, sans valeurs, sans principes, si nous tous laissons faire. Si nous restons à constater les errances judiciaires, les silences des professionnels, les bras baissés et les incompréhensions des diverses instances en jeu.

Bien sûr, plus que jamais, particulièrement dans ces périodes dramatiques que nous traversons, il faut écouter, entendre, s’entre aider, porter secours. Aux femmes et aux hommes en souffrance, en danger. Et à leurs enfants, qui ne sont pas protégés. Et qui, victimes aujourd’hui, peuvent le rester, bien trop longtemps.

Le 25 novembre, c’est sur ce thème : les conséquences sur les enfants, que j’interviendrai lors du colloque « Guerre et paix dans les familles », à l’espace Landowski, Boulogne Billancourt. Informations et inscription (gratuite) :

©Anne-Laure Buffet

VOIX ACTIVE ET VOIX PASSIVE

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Quand une victime de violence psychologique prend la parole, elle se place au centre de cette violence en s’en faisant le sujet ou plus exactement l’acteur principal. « C’est ma faute ». « J’ai honte ». « Je n’avais qu’à faire autrement ». « Je n’ai rien dit. » « Je ne réagis jamais. »
Et quand les tiers échangent avec elle, elle reste acteur et sujet principal : « Qu’as-tu dit ? Qu’as tu fait ? Comment as-tu réagis ? Pourquoi tu ne réponds pas ? Pourquoi tu ne pars pas ? »

Je, Tu, comme nous avons appris à l’école. Comme nous avons appris l’ordre des conjugaisons et de la grammaire. Comme nous sommes depuis tout petit conditionnés à le faire, car nous devons être responsables, maîtres de nos vies et de nos choix, doués de réflexion et de raison.

Or, en restant dominé par l’obligation d’utiliser le « Je », le schéma est simple :

Je vais mal à Je ne fais rien à Je suis nul(le)

Simple, efficace, et qui provoque un conditionnement du langage. Pourquoi parler de moi, alors que moi est nul(le) ? Pourquoi dire je, alors que je n’est rien ?
La personnalité toxique a obtenu ce qu’elle recherche : sa proie, sa victime, est dépersonnalisée sans s’en rendre compte. Elle utilise toujours le je, convaincue d’agir, de pense, d’être et de faire. Elle est en réalité parfaitement conditionnée. Elle est impropre à agir autrement que sous l’ordre et la volonté de son bourreau. Et elle est rendue impropre à s’en rendre compte.

Or, un objet ne pense pas. N’agit pas. N’est pas. Il sert. Il est utilisé par un ou une autre. Il est instrumentalisé, puis posé, rangé, jeté, oublié. Il a une fonction qu’il doit remplir, à moins d’être remplacé.
La victime est comme cet objet. Elle remplit une fonction. Quand elle ne la remplit plus, elle est jetée comme on jette un vieux mouchoir en papier – avec un air dégouté.

Alors, revenons-en aux conjugaisons. De l’utilité de la voix active et de la voix passive – petit manuel pour se sortir de l’emprise. Et pour bien s’en servir, il faut sans cesse rester dans ce qui est concret. Une victime ne se soumet pas. Elle est soumise par un autre. Une victime n’accepte. Elle est façonnée de telle manière qu’elle ne peut agir autrement. Une victime ne parle pas. Elle rapporte la parole d’un autre. Une victime ne dort pas, elle est tenue éveillée ; elle ne mange pas, elle est nourrie. Une victime ne fait pas l’amour, elle sert à assouvir les besoins sexuels, primaires, souvent bestiaux de la personnalité toxique.
Une victime ne pense pas.
Elle est soumise à une lobotomie invisible, sans douleur, sans cicatrice. Radicale. Elle exécute, elle répète, elle reproduit ce qui est attendu d’elle. Elle est vidée de sa substance humaine. Elle devient microphone, marionnette, robot ménager, portefeuille. Quand elle est vidée, quand elle n’enregistre plus, quand elle n’a plus d’automatisme, elle est mise à la benne. Ou au broyeur.

Je suis nul(le) n’existe pas. Il (elle) m’a privée de mon humanité est réel.
Je vais retrouver cette humanité est possible.
Et rend enfin fin à une victime ce qu’elle est : le statut d’être humain.

©Anne-Laure Buffet

LES QUATRE PRINCIPES MAJEURS EN VICTIMOLOGIE

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Il existe quatre principes majeurs en victimologie.

Il s’agit de principes que le professionnel de la criminologie doit toujours garder à l’esprit car ils doivent en permanence guider sa réflexion et sonaction.

Ces quatre principes tiennent dans quatre phrases :

–       « Le ressentide la victime l’emporte sur la gravité des faits ». Il s’agit du principe de victimologie le plus important.

En effet, le rôle ducriminologue dans son action auprès des victimes est de soulager leur souffrance, que cette souffrance soit issue d’une infraction ou non. Il est tout à fait possible qu’une personne s’estime victime alors que les faits dont il est question ne sont pas socialement ou juridiquement réprimés.

Mais ce n’est pas pour cette raison que la souffrance de la victime n’est pas réelle et qu’elle ne doit pas être traitée. C’est peut être sur ce point que la criminologie se différencie le plus du droit dans la mesure où ce dernier s’intéresse exclusivement aux infractions pénalement réprimées alors que la victimologie (qui est une branche de la criminologie), s’intéresse avant tout à la souffrance de la victime, peu important son origine.

–       « Tout agresseur a été victime et toute victime peut devenir agresseur ».

Ce principe signifie que tout agresseur a été victime par le passé. L’agresseur n’aura pas forcément été victime des mêmes agressions que celles qu’il va infliger. Peut-être même aura-t-il simplement eu le sentiment d’être une victime, à la suite de moqueries répétées par exemple.

Quoi qu’il en soit, toute victime pouvant devenir agresseur, le fait de soigner les victimes et de les aider à dépasser leur traumatisme contribue à la prévention des agressions.

–       « On n’est jamais victime par hasard ».

Le plus important est ici de noter que ce principe ne signifie en aucune façon que la victime a « bien cherché ce qui lui est arrivé » ou qu’il existerait une sorte de prédisposition génétique qui ferait que certaines personnes seraient plus susceptibles d’être victime que d’autres. En réalité, ce principe signifie simplement que quelque chose chez la victime a amené l’agresseur à passer à l’acte. Cet élément déclencheur peut tout à fait être inconscient. Il est également possible d’être victime en raison de sa propre vulnérabilité. C’est notamment le cas d’une victime qui n’aura pas reçu un suivi et une aide adaptés et qui va se mettre inconsciemment dans des situations susceptibles de la faire redevenir victime.

–      « Qui se ressemble s’assemble, se complète et se reconnait ».

Ce principe comprend l’idée qu’il y a parfois une complémentarité entre l’auteur d’une agression et sa victime. Ainsi, les deux protagonistes se complètent. De plus, une victime reconnaitra plus facilement les autres victimes dans la mesure où elle aura pris l’habitude de sonder les gens et de déceler en eux la même souffrance qu’en elle. La victime préférera alors se tourner vers des personnes ayant elles aussi vécu un traumatisme afin de pouvoir être comprise et supportée sans lire la tristesse dans les yeux de ses interlocuteurs, tristesse qui la renvoie sans cesse à sa condition de victime.

 

LA RAGE NARCISSIQUE

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Mise en garde : cet article ne se veut pas scientifique mais informatif. Il est destiné à vulgariser une notion afin de permettre au(x) lecteur(s) d’en prendre connaissance et conscience. S’il exprime un schéma de pensées et de comportements, et met en lumière un acte dangereux et criminel, il est surtout fondé sur l’écoute, l’observation en consultation et/ou en groupe et les témoignages reçus.

– Pourquoi tu ne dis rien ? Quand il te pousse à bout, quand il ment, pourquoi tu te tais ?
– Parce que j’ai peur de ce qu’il pourrait faire…

Une personne qui se retrouve victime de violences psychologiques vit dans la peur. La peur de son quotidien, la peur de ce qu’elle connait ; mais aussi la peur de ce qu’elle imagine, anticipe, prévoit. Et ce qu’elle imagine, anticipe, est toujours le pire. Aussi, elle se tait. Elle se contraint au silence pour éviter de se mettre en danger, psychologiquement et physiquement.
Ce que la victime ne peut décrire précisément, mais ce qu’elle pressent, c’est la possibilité d’un passage à l’acte. La possibilité que la situation qu’elle croit pour le moment encore maîtriser, même dans la souffrance, ne se transforme, et ne se transforme à son complet désavantage.
Ce qu’elle pressent, c’est que son agresseur, qui, à l’instant, exerce essentiellement de la violence psychologique, ne supporte pas d’être démasqué, critiqué ou rejeté ; et dans ce cas, qu’il s’en prenne à elle jusqu’à la tuer.

Et la victime a raison.

Une personne qui fait acte de violence psychologique afin de nourrir uniquement son ego, son narcissisme déconstruit souvent depuis l’enfance, une telle personne qui a avancé dans la vie en se sublimant au travers de celles et ceux qu’elle a réussi à duper et manipuler à son seul profit, sans tenir un instant compte des potentielles conséquences sur les autres, une personne, donc, qui n’a aucune compréhension réelle de l’altérité dans la relation, si ce n’est pour mettre l’autre en situation d’objet et s’en servir pour assouvir ses uniques ambitions, ne peut supporter de perdre ce qui lui permet d’exister.

Car sans l’autre, il n’st plus rien. Sans l’autre, l’image construite afin de justifier de sa toute-puissance, de son existence même, s’effondre. Et n’ayant rien d’autre pour exister, il disparaît avec . Ce qu’il ne put supporter.

Le pervers narcissique vit en étant toujours « sur le fil du rasoir ». Il est constamment mis en danger, par lui-même, car il peut à tout instant être découvert. C’est pour cela qu’il isole la victime, construisant un mur réel ou virtuel afin d’éviter les regards extérieurs, et les influences qui lui feraient perdre son emprise.
À la question de la conscience qu’aurait un pervers narcissique de ses actes, il est difficile de répondre, car il faudrait pour cela qu’il ait avant tout conscience des notions de bien et de mal.
En revanche, il est certain que le PN a conscience de l’absolue nécessité qu’il a de l’autre pour pouvoir être lui-même.
S’il l’autre n’est plus, il n’est plus.
Mais ne pouvant s’imputer la responsabilité du départ de l’autre (départ qui est le plus souvent une fuite pour survivre), il va le vivre comme le plus terrible des abandons. Et ne pouvant se reprocher de ne pas savoir vivre sans l’autre, et sans glorifier son self sublime si mal nourri, il va projeter sur l’autre, sur la victime, sa colère. Sa rage.

« Il est maintenant évident que la rage narcissique survient quand le soi ou l’objet déçoivent les aspirations absolues qui font appel à leur fonction – que ce soit pour l’enfant, qui, plus ou moins conformément au stade approprié, reste attaché à la mégalomanie et à l’omnipotence du soi et du soi-objet, ou pour l’adulte, narcissiquement fixé, dont les structures archaïques narcissiques sont restées inchangées, séparées du reste du psychisme en cours de croissance, après que les demandes narcissiques infantiles appropriées au stade ont été traumatiquement frustrées. » Heinz Kohut

C’est ce que devine la victime. Et c’est ce pressentiment qui ne fait que renforcer le sentiment d’être attaché à son bourreau par une chaîne invisible mais terriblement solide et serrée, une chaîne avec un collier étrangleur qui maintient en place, empêche de parler, et empêche même de respirer.

Les victimes qui ont pris la parole face au bourreau, qui ont exprimé leur volonté de partir, de le quitter, de ne plus être dépendante, ont vécu ce raptus(1). face à elle, le bourreau n’est plus le même. Qu’il soit homme ou femme, il est surtout envahi par une rage (2), une fureur que rien ne peut calmer. Il ne voit plus du tout sa victime comme un être humain, mais uniquement comme un objet, et un objet qui le met face au plus grand des dangers : celui de perdre définitivement non seulement tout ce qu’il a acquis pendant des années, mais encore toute crédibilité et tout pouvoir.
ce qui est insupportable et insurmontable.

Les victimes qui décrivent le passage à l’acte parle d’une force inhumaine qui traverse alors le bourreau, et que rien ne semble pouvoir arrêter. Elles décrivent aussi une transformation physique. Ce n’est pas la simple colère qui fait pousser des hurlements, ou encore qui tend les traits du visage ou fait rougir la peau de l’individu énervé.
C’est ce qu’on pourrait appeler un « morphing » un temps réel. Les yeux exorbités, la face transformée par la haine et l’envie de détruire, allant parfois jusqu’à baver… comme si l’image réelle du bourreau reprenait le dessus, et, une fois le masque « social » retiré, seule l’image du monstre subsistait.
La force déployée est surhumaine. Les hommes victimes voient leur compagne, en apparence petite chose fragile, capable de les frapper, de les repousser, de les soulever de terre. Les femmes sont écrasées par la violence, et la force projetée en l’instant.

Et le bourreau ne cessera son geste qu’à condition qu’une force plus importante le domine Ou lorsque l’objet de sa colère, sa victime, ne sera plus.

C’est ce que savent sans pouvoir le verbaliser les victimes de pervers narcissiques.
C’est ce qui les retient de parler.
C’est pour cela qu’il faut les entourer, les écouter, les accompagner. Les aider à préparer leur départ. Dans le silence et le secret.

©Anne-Laure Buffet

(1)Raptus : Impulsion paroxystique à type de décharge explosive, souvent violente, à la limite de l’activité volontaire et du réflexe : agression meurtrière, suicide, automutilation, fuite éperdue.

(2)Rage : état mental le plus extrême du spectre de la colère. Lorsqu’un patient est sujet à la rage, cela se termine lorsque la menace n’est plus oppressante ou que le patient atteint de rage est immobilisé.

LA VICTIME FACE AUX TIERS – LE RISQUE DE LA DOUBLE PEINE

« Tu dois exagérer »
« Tu ne vivais quand même pas avec un monstre… »
« Tu devrais te prendre en main, faire quelque chose… C’est de l’histoire ancienne maintenant… »
« Arrête de ruminer… Tu nous fatigues à parler tout le temps de la même histoire… »
« L’important c’est que les enfants aillent bien ! »

Une victime de comportements toxiques sort de cette relation abîmée. Qu’elle soit enfant ou adulte, il lui manque des repères, des valeurs. Elle s’est construite avec de fausses croyances, avec des messages contraignants, et avec une interdiction de plus en plus forte de dire, de faire ou de penser. Que l’interdiction soit verbalisée ou non, il faut tenir compte du ressenti de cette victime.
De plus, la violence psychologique a entre autres particularités d’être insidieuse, sournoise, invisible aux yeux extérieurs. Elle se déroule en huis-clos, ce qui la rend encore plus violente pour la victime qui n’a rien de palpable, de concret, à présenter pour sa défense.

À l’issue d’une telle relation, la victime éprouve le besoin d’être comprise, soutenue. Et avant tout, réhabilitée. Disqualifiée en tant qu’être humain pendant des années, elle recherche entre autres à recouvrer cette part d’humanité essentielle dont elle a été privée en devenant l’objet de celui ou celle qui fut son bourreau.
Il lui est alors indispensable d’être entourée par ceux qui peuvent l’entendre.
Et indispensable également de pouvoir dire, d’en avoir la capacité, la compréhension et le champ lexical.

C’est face à ces difficultés entre autres qu’elle se retrouve, seule, à nouveau.

Permettre à une personne victime de se réapproprier son histoire, de lui donner un sens, de la rendre compréhensible et intelligible, est indispensable.
Aujourd’hui de nombreux professionnels (de la justice, du corps médical…) ne sont pas assez informés et ne savent pas recevoir la souffrance.
Parallèlement, les victimes ne savent pas ce qu’elles peuvent dire, ou taire parfois. Avant tout, elles ne savent pas se présenter… puisqu’elles ne savent plus qui elles sont.

Et, incomprises, elles sont condamnées une deuxième fois. C’est la double peine.

©Anne-Laure Buffet