DEUIL ET DISTANCE

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La personnalité toxique est particulièrement douée dans l’art de la manipulation.
Elle vous a observé ; elle connaît donc vos points faibles, les mots qui font mouche, les gestes qui mettent à terre (et pas que physiquement), les silences qui effraient… Elle sait jouer sur la gamme de ces diverses possibilités et varie ses plaisirs au gré de ses envies, et de ses besoins.

Face au manipulateur, plusieurs attitudes sont possibles. La fuite est souvent la plus recommandée, mais on ne fuit pas ainsi du jour au lendemain, les valises sous la main, et les enfants sous les bras. Ce serait tellement plus simple. Un post-it sur la table : « Tu m’as bien manipulé(e) mais c’est fini adieu ne cherche jamais à me revoir… », et bye bye au manipulateur… Ça ne marche pas ainsi. La fuite, c’est l’éloignement, la mise à distance. C’est tenir la personnalité toxique au silence, ne plus lui donner aucune information, aucune nouvelle… aucune prise.

Mais avant de pouvoir fuir, il faut s’armer. Pour supporter la période qui précède la fuite. Pour la rendre d’autant plus efficace qu’une personnalité toxique ne lâche jamais sa proie, ne se lasse jamais. Pour retrouver de l’énergie, et, indispensable, la confiance en soi qui a été tellement mise à mal.

Avant toute chose, il faut déjà passer par une étape de deuil.
Comme dit bien souvent, la personnalité toxique a repéré chez sa victime un instinct de « sauveur ». Elle joue sur cette corde sensible. Du fameux « Ce n’est pas ma faute! », aux arguments les plus divers : « Avec ce que j’ai vécu enfant… », « Je croyais que toi, tu m’aimais, que toi, tu saurais m’aider! », « Tu avais promis de ne jamais me quitter. »… elle va perpétuellement réveiller chez sa victime l’instinct de protéger et la culpabilité, qui vont de pair.

De plus, la victime est convaincue que parler normalement, communiquer réellement, sans heurt, avec la personnalité toxique, demeure possible. Il lui faut nécessairement deux étapes pour pouvoir avancer : comprendre qu’elle est sous emprise – donc vouloir en sortir , et renoncer à toute communication normale.

En psychologie, le deuil ne concerne pas que la période qui suit un décès. C’est aussi la phase de renonciation à des croyances, des convictions, des certitudes.
Si la victime a la conviction de pouvoir retrouver une communication normale, c’est qu’elle est dans l’attente, l’attente d’un changement. Et ce changement, elle l’attend dans le comportement du pervers manipulateur. Or, celui-ci ne changera jamais. Cette prise de conscience est indispensable, vitale, car elle permet d’attendre un autre changement, un changement intrinsèque à la victime, un changement dans sa propre attitude. La recherche de la relation idéale n’étant plus possible.
Et le changement, dans la communication, c’est la victime elle-même qui va finir par le décider, à son rythme, et cette fois, avec son propre tempo. 

La phase de deuil, ou renonciation aux croyances et aux principes que la victime s’était fixée dans sa recherche de relation idéale, ne se fait pas en quelques jours… car plus l’emprise a été forte, plus il faut du temps pour s’en dégager. Pour avancer dans cette phase de deuil, il faut commencer par se rendre imperméable, et devenir sourd aux attaques et aux reproches. Le deuil commence quand la prise de conscience a eu lieu, la victime sait donc comment agit le manipulateur. Ce sont ces actions auxquelles elle va petit à petit résister.
La phase de deuil peut faire appel à la notion de refoulement ou de résilience. Avoir constaté et résisté aux chocs psychologiques permet d’avancer plus vite dans cette période.

Cette phase de deuil est plus complexe à vivre encore lorsque le manipulateur est un parent. Il faut renoncer non seulement à toute communication normale, mais « tuer » l’image d’Epinal qui veut qu’un parent soit protecteur, aimant, présent pour permettre à l’enfant de s’épanouir et de trouver un parfait équilibre en tant qu’adulte.

Pour progresser dans la phase de deuil, certains moyens sont possibles, qui sont les prémisses de la contre-manipulation, arme redoutée des… manipulateurs ; elle les déstabilise, elle casse leur construction mentale, et vous reprenez la main.
Ainsi, s’opposer de manière claire est à éviter. En revanche, exprimer son propre ressenti est tout à fait possible :

 – Tu ne devrais pas faire ceci, ça ne te réussit pas…
– Tu as raison. Je vais tout de même le faire, et je te remercie de t’inquiéter pour moi. Mais c’est important pour moi d’essayer.

Ici, il s’agit uniquement d’exprimer votre ressenti.

De même, réduire le temps de discussion, diminuer les échanges, fait que, à son tour, le manipulateur aura le sentiment de parler dans le vide. Moins vous en direz, moins la prise, sur vous, sera possible.

– Tu as l’air fatigué(e). Tu ne devrais pas travailler sur ce dossier… Tu ne devrais pas sortir ce soir…
– Je vais très bien. Mais je te remercie pour ta sollicitude.

Quoiqu’il arrive, contrôlez votre colère et votre langage. Votre politesse face aux attaques déstabilise le manipulateur qui ne peut pas / plus dire de vous que vous êtes dingue, hystérique…
Évitez tout autant de vous justifier :

– Pourquoi as-tu fait ça ? Tu te rends compte de ce que tu as fait ?
– Oui. Je me suis trompé(e). Mais comme le dit l’adage : « l’erreur est humaine », et il n’y pas mort d’homme…
(Attention à l’ironie ; elle ne doit être utilisée que lorsque vous êtes sûr(e) de vous…)

La contre-manipulation s’apprend. Elle devient réflexe, mais il faut être patient. Observez la personnalité toxique. Votre première arme se trouve dans ses mots. Et tout comme elle use de l’effet miroir, vous allez apprendre à en faire de même.

Voir aussi : La peur paralysante, Faute n°2, et l’Aide aux victimes de manipulateurs et de pervers narcissiques.

©Anne-Laure Buffet

AU SECOURS DOCTEUR !

« Peut-on soigner un pervers narcissique ? » La question revient souvent…
Il serait tellement plus agréable de pouvoir répondre : « Oui. Une pilule matin et soir, et le tour est joué. » Mais ça ne fonctionne pas ainsi. Pour soigner un malade, pour aider une personne qui souffre d’une pathologie – quelle que soit la pathologie – il faut que cette personne l’accepte.
Le problème, c’est que le pervers narcissique refusant de considérer qu’il est malade, les thérapies n’ont pas de prise sur lui.

S’il accepte de s’y soumettre, pour pouvoir dire qu’il a fait « tous les efforts possibles », pour pouvoir argumenter auprès de son entourage « qu’une fois de plus il se soumet à des caprices, en espérant que la situation s’améliore ensuite », il va vite considérer le thérapeute comme nul et incompétent et la thérapie comme totalement inutile.

Il arrive également – et c’est encore plus pernicieux – qu’il retourne le thérapeute contre celui ou celle déjà victime. La « proie », qui pendant un temps a pu se sentir rassurée, soulagée, se disant qu’elle allait, enfin ! , être entendue, se retrouve non seulement à devoir supporter de nouvelles réprimandes et autres brimades, mais à devoir assumer le regard méfiant du thérapeute, certes prêt à l’aider, mais complètement abusé par une personnalité toxique.
Et le PN gagne deux fois : il ne sera pas suivi ; il passe à nouveau pour victime, lorsqu’il est le bourreau.

Le refus de se considérer comme malade pousse encore plus loin le PN.
Non seulement il ne suivra aucun conseil de thérapeute, non seulement il pourra retourner la situation contre sa victime, mais plus encore, il s’instruira du jugement du psychiatre/psychologue… rencontré, apprendra de lui les mots et les termes utiles pour mieux les resservir en plats chauds, et trois, à sa victime, lorsqu’il aura choisi de lui faire un peu plus mal. De lui dire à nouveau que c’est elle, la folle. De faire en sorte qu’elle se croit malade.