ET QUAND L’AUTRE PARAÎT…

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… Il est souvent trop tard.

Il n’est pas question ici de philosopher. Qui est l’autre ? Qui est mon autre ? Qui est cet autre, derrière l’autre…? Le sujet n’est pas là.

Concentrons-nous sur la personnalité manipulatrice. Telle Janus, elle a deux faces, ou deux visages. Celui qu’elle montre, et celui qu’elle dissimule. Celui que l’on est à même de voir, mieux encore de percevoir, et celui qui n’est que façade. Celui que l’on aime, et celui qui détruit.

La personnalité manipulatrice, toxique, n’exhibe que l’un des deux. L’affable, le séduisant, le charmeur, le tendre, le compréhensif. À l’écoute, et prêt à recevoir vos confidences. Toutes vos confidences. Pour mieux vous connaître. Pour mieux s’en nourrir. Pour ls transformer à volonté quand il en aura l’utilité. Pour inverser vos propos, en modifiant parfois simplement une virgule. Si l’on s’amuse, parfois, des jeux grammaticaux sur l’emplacement des virgules, et sur le sens des phrases, la personnalité toxique manipule les phrases et les tournures de style comme un acrobate de haut vol. Et Vol est bien adapté : il vous vole vos pensées sans que vous puissiez vous en rendre compte, il les aspire, les broie, et vous les renvoie, en vous accablant.

La personnalité toxique ne le fait pas tout de suite… Nombreuses sont les victimes qui disent – hurlent – Quelle idiote j’ai été ! Quel imbécile je fais ! Je suis faible, je suis nulle, j’aurais pu m’en rendre compte. À cela il ne m’est possible de leur apporter qu’une seule réponse : non.

Non, vous ne pouviez ni le voir ni le deviner. Non, vous n’êtes ni nul, ni faible, ni stupide, ni malade. Vous avez été séduit par l’essence même de cet individu qui aujourd’hui vous détruit, peu ou prou. Par son charme. Par sa séduction. Par cette générosité dont il s’est emparé, pour mieux vous convaincre qu’il était là, pour vous, uniquement pour vous. Parce que ce que vous êtes, même si vous l’oubliez, il en a un besoin vital. Il lui faut le posséder pour exister. Et uen fois qu’il le possède, il lui faut vous détruire, pour vous punir d’avoir existé.
C’est le cheminement trop classique, effroyablement classique, de l’emprise.

Et cette même personnalité qui reste si charmante, si agréable, si sympathique aux yeux de tous… Vous en cessez de vous remettre en cause face à cette ambivalence. Pourquoi ne serait-il (elle) monstrueux qu’avec vous ? S’il se comporte ainsi, c’est bien que vous l’avez cherché. Que vous le méritez. Chaque jour on vous le dit : « Ton mari est un homme bien, tu as de la chance. Ta femme est merveilleuse, c’est une mère parfaite… Tu exagères sans doute, tu es fatigué(e) en ce moment… »

Oui, vous êtes fatigué(e).
D’essayer de comprendre. D’essayer d’être à la hauteur de ses attentes, que vous ne comprenez pas. D’essuyer échecs et déceptions, reproches et mises à l’écart. Vous vous fatiguez, pourtant l’autre, lui, ne change pas. Il, elle, demeure le même aux yeux de tous.
Vous vous épuisez.
Si « tous » pensent la même chose, c’est que vous avez tort.
Pourtant, vous le sentez, ce visage inconnu de « tous ». Ce visage que vous en cherchez plus à décrire de peur que l’on vous rit au nez ou que l’on vous fuit. De peur de passer pour malade… vous l’entendez suffisamment ainsi. De peur, tout simplement. De cette peur à laquelle on est conduit lorsque la réalité, l’absolue réalité, nous échappe.

Alors, qui est cet autre ? Celui (celle) qui dissimule ses traits et ne les affiche que pour vous, ou celui (celle), écrasé(e) au fond de vous, rendu(e) muet et seul(e) face à sa culpabilité et ses souffrances ?

 

©Anne-Laure Buffet

QUEL QUE SOIT LE NOM QU’ON LEUR DONNE…

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On les appelle « pervers narcissiques ». Ou encore, pervers narcissique manipulateur. Bourreau. Vampire. Monstre. Champion toute catégorie du harcèlement.

Je retiendrai le terme : « personnalité toxique ».

Parce qu’il est toujours difficile et dangereux de qualifier, de manière catégorique et définitive, un individu, aussi néfaste soit-il. Attribuer une étiquette ne soigne pas le mal, ne diminue ni le syndrome, ni les symptômes, n’allège pas les souffrances. C’est à peine un moyen de se rassurer en pensant avoir compris. Et c’est au risque de généraliser une déviance particulière.

Parce que, également, une personnalité toxique peut se retrouver sous divers visages. Bien évidement, le pervers narcissique semble remporter la palme au concours de la cruauté. Mais un jaloux (ou une jalouse) pathologique, un manipulateur aguerri, qui pour autant n’est pas pervers, peut entraîner bien loin dans la souffrance, la perte de confiance en soi, la dévalorisation, l’annihilation des capacités, les personnes qui lui sont le plus proches.

Ce qu’il faut regarder, pour mieux comprendre, aider, accompagner les victimes, ce n’est pas tant la pathologie de la personne qui les harcèle, mais le mode de harcèlement, la façon dont celui-ci se manifeste, et ce qu’il engendre chez la victime. Car un jaloux, pathologiquement jaloux, qui pour autant n’est pas PN, va harceler son (sa) conjoint, jusqu’à l’empêcher de vivre, et d’avoir goût à la vie. Que dire de ces enfants et adolescents qui prennent pour cible l’un des leurs, le poussant parfois au suicide, plus souvent à abandonner ses études, à tomber malade, à se retrouver en dépression ?
Il s’agit donc bien en premier lieu de constater, puis de combattre, le harcèlement moral, quel qu’en soit l’auteur, et de protéger au mieux les victimes de celui-ci.

C’est pour cela qu’en se plaçant du côté de la protection des victimes de harcèlement, le terme plus général de personnalité toxique me semble mieux adapté. Car il n’est pas question, sous prétexte d’informer sur ce blog de la perversion narcissique, d’écarter d’autres types ou auteurs de harcèlement. Il est d’ailleurs plus judicieux, lors de procédures, de porter plainte pour harcèlement que contre un pervers narcissique…
Personnalités toxiques, car ils insufflent chez leurs victimes un poison mortel : la sous estimation de soi, la perte de confiance, la disqualification de l’individu. Toxiques, car ce qu’ils vont transmettre est étranger à leurs victimes, mais pénètre jusqu’à leur organisme, pouvant entraîner diverses pathologies, parfois mortelles.
Toxiques, si l’on s’en réfère à l’étymologie grecque toksikos : qui convient pour les flèches. Or, ce sont bien des flèches que le manipulateur va envoyer à sa proie, des flèches faites le plus souvent de mots, de phrases destinées à l’abattre.
Comme le dit Paul Valery : « Le mélange de vrai et de faux est énormément plus toxique que le faux pur ».

Pour autant, informer, dénoncer, protéger contre les pervers narcissiques demeure l’objectif de ce blog, tout autant que la volonté d’aider les victimes et leurs proches. Il faut donc à la fois informer sur ces personnalités destructrices, et sur le harcèlement commis par des personnalités toxiques de manière plus globale.

©Anne-Laure Buffet

MORTELLE SÉDUCTION

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La personnalité toxique, le pervers narcissique est « malade ». Pour ne pas développer plus sa maladie, il cherche une proie. Il lui inocule son poison, la rendant soumise, dépendante, la dévalorisant, « pompant » son énergie, sa confiance en elle. Il la vampirise, la chosifie, la réduit à l’état d’une carcasse vide. Il rend l’autre zombie.

Pour ne pas devenir schizophrène, paradoxalement, le PN va adopter un comportement schizophrène. Il va être à la fois cette personne sociable, aimable, chaleureuse, en public. Et ce monstre, car monstre il y a, en privé. Monstre au sens propre : il n’a rien d’humain, même s’il semble l’être.
Caméléon, il s’adapte. Il modifie son apparence et son comportement. Il observe, attentivement.

Il va prendre son temps. Il est patient. Il sait ce qu’il veut. Il sait comment l’obtenir. Il s’en donne les moyens.

Il crée le climat propice à la réussite de son plan. Il va savoir quels mots employer, quels sourires donner, quels regards distribués, comment, et à quel moment. Il prend son temps pour trouver la proie idéale. Il sait, consciemment ou inconsciemment, qu’il en a besoin pour survivre. Il n’est pas pressé.

Il séduit. Et cela doit être dit et répété. LE PERVERS NARCISSIQUE EST DANS LA SÉDUCTION. Il est quasi impossible pour sa victime – car elle est victime dès que choisie par le PN – de s’en rendre compte. Doit-on fuir toute personne aimable, toute personne faisant des compliments, doit-on vivre en perpétuelle méfiance ? Certes non. Le PN le sait. Tout comme il sent la fragilité de la personne qu’il va vampiriser. Il s’appuie sur l’empathie dont il manque complètement mais qui lui est offerte, sur une estime de soi affaiblie et sur une écoute complète. Comme un caméléon, il s’adapte, sentant sans pouvoir le formuler ce qu’il va pouvoir affaiblir encore plus chez sa proie.

Lorsque celle-ci est trop faible – sans s’en rendre compte elle-même – pour pouvoir réagir, il attaque. Il ne séduit plus. Il contrôle. Il soumet. Il impose. Il critique. Il dévalorise en permanence. Il affaiblit totalement.

Il tue, psychiquement, sa proie. Et quand celle-ci est trop atteinte pour pouvoir encore lui servir, il finit de la piétiner, puis la jette. Elle n’a plus d’intérêt. La cruauté du PN ne fait alors qu’augmenter, car la victime ne peut plus même satisfaire les besoins de son bourreau.

NB : le pervers narcissique peut être un homme, ou une femme. La violence n’a pas de sexe.

©Anne-Laure Buffet

LA PEUR PARALYSANTE

Elles se trouvent dans cette contradiction entre amour et révolte qui sera interprétée par les autorités comme folie. Folie que le pervers narcissique va mettre en évidence pour retourner encore la situation à son avantage. La victime se trouve rapidement isolée de son environnement sécure : famille, amis, et même enfants. En l’isolant, le bourreau assure son emprise. Il organise la dépendance financièrement, de telle sorte que, si elle tente de reprendre ses esprits, le manque total de revenus la garde sous son emprise.
La victime se retrouve dans un état d’épuisement moral, émotionnel, et physique.

Le fait que le PN oscille entre le « gentil » et le « pas gentil » fait que sa victime reste dans un stress constant et est obligée d’adapter en permanence son attitude pour tenter de préserver les moments agréables. Elle se sent responsable (coupable) de que que vit « son » PN. La victime ressent une grande  honte de la situation vécue. Car qui peut comprendre que l’on reste apparemment « volontairement » avec celui qui nous détruit ?
Le Pervers Narcissique est un manipulateur hors pair. Consciemment ou non, il sait endormir la vigilance naturelle de la victime potentielle. C’est le trait principal du pervers narcissiques. Il sera toujours manipulateur, et s’adaptera parfaitement à la personne qu’il a en face de lui. Le PN navigue entre deux eaux, n’hésitant pas à adapter, à faire évoluer, et même à modifier son avis pour atteindre son objectif.

Le Pervers Narcissique n’a qu’une réalité, LUI.
Il n’a pas la même vision du bien et du mal que la plupart des êtres humains. La seule et unique chose qui compte pour lui, consciemment ou non, c’est lui ! Pourtant, au début de la relation perverse, il saura donner le change par des gestes d’apparente bonté d’âme. Toute la perfection de son art de la manipulation est en application.

Il est très rare que la victime s’en rendent compte, et cela même si elle est avisée ! Tout au plus elle verra des signes, ressentira des alertes, entendra des mises en garde, mais l’emprise est déjà trop présente pour qu’elle puisse réagir.

Lorsque la victime, « chosifiée » par le PN, réalise, elle réalise également l’étendue de l’emprise et des comportements malveillants qui lui sont infligés. Par peur, elle préfèrera se taire que risquer de subir de nouvelles attaques, qui la mettent chaque fois plus à terre. Elle fait un souvent choix presque suicidaire : ne plus bouger, ne pas parler, supporter, imaginant qu’ainsi la violence à laquelle elle est confrontée va s’arrêter.

Malheureusement, elle se trompe. Elle n’est pas blâmable. Elle est épuisée, vidée de son énergie vitale. Elle ne raisonne plus. Elle ne sait plus que se soumettre. Elle accepte, sans le vouloir, la crainte.
Si elle ne réagit jamais, c’est dans cet enfer que sa vie va se dérouler.

Vous êtes cette personne ? Vous vous reconnaissez ? Alors résistez. Et fuyez. Ne vous laissez pas déshumaniser. Ne vous faites pas détruire.

©Anne-Laure Buffet

LES MANGEURS D’ÂME AU RÉGIME SEC

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Certains vampires, indifférents au sang, opèrent comme des parasites psychiques, capables de cannibaliser à distance la vitalité et les talents de leurs victimes. 

Dans la tradition légendaire, une des conditions minimales pour que l’on puisse identifier un vampire est sa dépendance au sang. Or, dans la littérature fantastique, on rencontre souvent des êtres qui ne s’abreuvent jamais de sang mais qui ont la faculté de capter l’énergie vitale ou psychique des humains sans avoir nécessairement de contacts physiques avec eux. Le grand spécialiste anglais du vampirisme, Montague Summers, auteur de deux ouvrages érudits sur la question, The Vampire: His Kith and Kin (1928) et The Vampire in Europe (1929), a été le premier à leur donner le nom de « vampires psychiques ».

Dans la fiction, les vampires psychiques peuvent être aussi redoutables que les vampires sanguinaires dans la mesure où ils sont capables de provoquer la mort de leurs victimes. L’idée apparaît pour la première fois dans la nouvelle de Henry James « De Grey » (1868), où les représentants masculins de la famille De Grey, victimes d’une malédiction, provoquent sans le vouloir la mort de leur fiancée comme s’ils aspiraient leur vie. Dans le roman de la britannique Florence Marryat, The Blood of the Vampire, publié en 1897 – la même année que Dracula – , contrairement à ce que semble indiquer le titre, l’héroïne vampire, Harriet Brandt, ne suce pas le sang de ses victimes, mais provoque involontairement leur mort à distance ou par simple contact. Ses victimes s’affaiblissent progressivement comme si elles souffraient d’une anémie pernicieuse et ne tardent pas à mourir. Après la mort de son amant, Harriet prend conscience de son funeste pouvoir et décide de mettre fin à ses jours.

Contrairement à de tels personnages de tragédie qui sont en définitive plus à plaindre qu’à blâmer, les vampires psychiques, en général, savent parfaitement ce qu’ils font, et c’est avec cynisme qu’ils dépouillent leurs victimes de leur jeunesse, de leur santé, et même de leur vie. Ce sont souvent des personnes âgées qui refusent de vieillir, comme l’héroïne de la nouvelle de W.F.Harvey, « Miss Avenal » (1928). Miss Avenal est une très vieille femme qui fait de fréquents séjours dans les hôpitaux, où elle absorbe la jeunesse et la vitalité des infirmières qui la soignent, retardant ainsi indéfiniment l’heure de sa propre mort. Dans « La Dame aux biscuits » (« The Cookie Lady« , 1953) de Philip K.Dick, une affreuse mégère décrépite, Mrs Dew, attire chez elle un petit garçon sous le prétexte de lui donner des biscuits. L’enfant tombe malade tandis qu’elle rajeunit et, lorsque le petit Bubber finit par disparaître emporté par le vent comme une feuille morte, Mrs Dew est redevenue une jeune femme d’une éclatante beauté.

Imposteur, mère abusive…

Certains vampires psychiques ont la faculté d’absorber les dons et les talents des personnes qu’ils fréquentent fin de se les approprier. C’est le cas de Reginald Clarke, dans le roman de G.S.Viereck, La Maison du Vampire (The House of the Vampire, 1907). Ecrivain médiocre devenu frauduleusement auteur à succès auprès du public new-yorkais, Clarke n’a cessé de puiser le talents des artistes, poètes, romanciers, peintres ou sculpteurs qui font partie de son cénacle. Dépouillées de toute inspiration, ses victimes deviennent des sortes de zombies, tandis que leur terrible parasite triomphe en s’appropriant leurs oeuvres.

La fable du vampirisme psychique permet aussi de représenter métaphoriquement les conflits, bien connus des psychologues et des psychanalystes, qui opposent des êtres autoritaires à ceux qu’ils dominent, et le conflit oedipien n’est pas le moindre d’entre eux. D.H.Lawrence s’en sert ainsi pour illustrer le thème de la mère abusive qui refuse de traiter ses enfants en adultes et les maintient sous dépendance dans « La belle dame » (« The Lovely Lady« ), nouvelle publiée en 1927. Pauline Attenbourough est une femme âgée qui a gardé miraculeusement la beauté et la jeunesse. Le secret de cette éternelle jouvence est qu’elle puise son énergie de ses deux fils adultes, sur lesquels elle exerce une autorité despotique, les traitant comme des enfants et les condamnant au czléibat. Lorsque son fils cadet finit par se révolter et décide d’assumer son propre destin, le charme est rompu, et la « belle dame » retrouve en quelques jours l’aspect de la vieille femme qu’elle est vraiment. (1)

Le vampire psychique de la littérature fantastique est un prédateur, un dominateur et un parasite dont le comportement n’est pas sans rappeler celui de certaines personnes bien réelles du monde où nous vivons. Montague Summers a fait remarquer l’extraordinaire ascendant de certains orateurs qui parviennent, de façon quasi hypnotique, à capter totalement l’attention de leur auditoire, et d’une certaine manière, à le vampiriser. On se souvient des discours enflammés d’Adolf Hitler qui parvenaient à fanatiser des foules énormes. Chacun de nous, enfin, a pu rencontrer dans sa vie de tous les jours un être exerçant sur autrui une autorité naturelle ou un talent de persuasion auxquels il était difficile de résister. Plus discret et plus subtil que son cousin aux dents pointues, le vampire psychique est en même temps plus proche de nous, car il se situe aux limites du fantastique.

Jean Marigny

Le Magazine Littéraire

Mars 2013

(1) Voir aussi le conte de Raiponce, des frères Grimm