LE BRUIT EST SOUVENT TROMPEUR

Mégaphone (3)

Les victimes de violences psychologiques sont fragilisées. Elles n’ont plus de « radar », plus de limites ; elles sont incapables de se distancier de la réalité, prêtes à croire le premier venu, ou au contraire à fuir toute main tendue, aussi bienveillante soit elle.
Elles ne parlent pas – pourquoi le feraient-elles, alors que personne ne les croit ?
Elles ne se plaignent pas – se plaindre de quoi, alors qu’elles sont convaincues d’avoir tort, au moins en partie ?
Elles ne gémissent pas, n’accusent personne, se font discrètes, se tiennent en retrait, en silence. Elles ne pavoisent pas.
Quand elles s’expriment, c’est souvent confusément, cherchant leurs mots, leurs idées, le fil conducteur, qu’elles n’arrivent ni à tenir ni à suivre.
Elles n’ont pas de hargne, pas de colère, pas de revanche.

Il faut du temps pour que la colère s’exprime. Une colère légitime, qui est bien plus un cri, un hurlement, et même, pardon de la comparaison, le cri d’une mère en train d’accoucher, de mettre au monde un être destiné à vivre et grandir, et si possible, librement. Cet être que les victimes – hommes ou femmes – mettent au monde, c’est elles-mêmes. Elles expulsent le meilleur d’elles-même, trop longtemps en gestation, interdit de respirer par la volonté d’un autre.

Les victimes dissimulent leur souffrance. Elles ne la trouvent même pas injuste. Elles ne trouvent pas leur situation injuste. Elles l’acceptent, jusqu’au jour où une vraie prise de conscience leur permet de mettre en place un changement. Et ce changement prend du temps.

En revanche, certaines personnes se qualifient de victimes. Elles le font haut et fort. Elles crient, hurlent et gémissent, et tel un dramaturge de film muet, portent leur main sur le front, se déforment le visage dans des grimaces à faire cauchemarder tous les enfants du voisinage, se désespèrent de leurs « malheurs », invectivent tant qu’elles peuvent, dénoncent sans rien redouter et nommément celui ou celle qu’elles accusent.
C’est une inversion, destinée à attirer le regard, la complaisance et la compassion.
C’est un jeu dont les manipulateurs savent se servir avec brio.
Pendant qu’ils semblent mourir dans des souffrances aussi atroces que bruyantes, ils étouffent avec leur vacarme le peu de bruit que la VRAIE victime essaie de faire… Imaginez, pour faire une comparaison, une brise de fin de journée qui tenterait de recouvrir le fracas d’une tempête.

A ce jeu cruel, c’est bien souvent la FAUSSE victime qui gagne.
Et si elle se retrouve prise le « doigt dans le pot de confiture », si sa manipulation est décelée, elle fait encore plus de bruit, ne redoutant ni Dieu ni diable, mais simplement de perdre l’aura qu’elle s’était créée de toute pièce. Comme on imagine un enfant capricieux, orgueilleux et colérique, vexé d’avoir été surpris pendant sa bêtise, et qui cherche à se dédouaner en pleurant, gesticulant et niant, ces FAUSSES VICTIMES ne tardent pas, dès qu’elles sont dévoilées, à tenter toute manoeuvre, bruyante, spectaculaire, pour retourner la situation. Et projeter sur la victime ce qu’elles sont, elles.

La vie n’est pas un spectacle. Nous en sommes les acteurs, pas les comédiens.
Comme disait une marionnette dans une célèbre émission : « Méfiez-vous des contrefaçons ».
Méfiez-vous de ceux qui, ici ou là, sur le net ou ailleurs, crieraient au scandale, drapés dans leur prétendue bonne foi, n’hésitant pas à nommer le responsable de leurs maux, et à lui faire porter un sac rempli d’accusations mensongères et farfelues – mais ô combien cruelles. Leur bruit inquiète et fait fuir. Elles restent seules, ou avec la pitié et l’amitié de ceux qui veulent les croire. Elles continuent de courir. Et si personne ne fait rien, la VRAIE victime, celle qui est vraiment en souffrance, le reste, et s’y enfonce encore plus.
Silencieusement. Sans laisser de trace.
Ce qu’elle vit est invisible.
Et le manipulateur ne cesse de s’en servir.

©Anne-Laure Buffet

L’INTERDICTION DE DIRE

silence

La personne victime de comportements toxiques et de violence psychologique se retrouve prise, entre autres, dans une double injonction : d’une part, l’obligation de dire, et d’autre part, l’interdiction de dire.

L’obligation de dire revient à devoir livrer tout de soi, en toutes circonstances, sans raison apparente. Qu’elle en soit consciente ou non, la personne confrontée à la violence psychologique va dévoiler tout ce qui lui appartient, du plus anodin au plus important. Le jardin secret est interdit, le rêve empêché, la pensée contrôlée. Elle doit raconter par le menu son passé, son présent, et jusqu’à l’avenir qu’elle projette. Elle livre ses joies et ses peines. Elle raconte ses succès et ses échecs. Elle dévoile ses histoires de famille, de santé, d’argent. Ses doutes, ses peurs, ses goûts et ses dégoûts… rien  n’échappe à celui ou celle à qui elle se livre, sans s’en rendre compte, et qu’elle nourrit peu à peu.

L’interdiction de dire va de pair avec l’obligation.
Ce qui est interdit, ce n’est pas de se dévoiler… puisque c’est en se racontant que la personne victime donne de la matière à son « bourreau ». Ce qui est interdit, c’est d’imaginer exister. Imaginer avoir un avis, une opinion, un sentiment. Ce qui est interdit, c’est d’exprimer ce sentiment, cet avis ou cette opinion, s’ils ne vont pas dans le sens décidé par le bourreau. S’ils ne sont pas destinés à glorifier le bourreau, à asseoir cette toute-puissance qu’il s’attribue.
Le « non » n’est pas admis.
Le « je ne pense pas comme toi » est réfuté.
Le « je ne suis pas d’accord » est jugé à la fois comme une atteinte et un défaut d’intelligence. Puisque le bourreau, lui sait. Aussi, penser autrement, dire autrement, c’est se tromper tout autant que le dénigrer, lui qui possède LA pensée juste, et prouver une fois de plus sa propre bêtise, à s’enfermer dans des pensés jugées « stupides » (pour le moins, et pour rester polie).

Seuls les sentiments autorisés par le bourreau, les pensées validées par lui, ou elle, les décisions prises par lui, ou elle, et appliquées par la victime, sont valables. Le reste, ce qui appartient aux victimes, n’est que fumisterie, mensonge, manifestation de bêtise et d’incapacité.

Aussi, la victime de ces violences, qui peut parler d’elle et longuement, d’elle en ce qui concerne ses faits et gestes, afin de satisfaire son bourreau mais aussi de se justifier pour ne pas donner prise à la critique, va également apprendre à se taire pour ne pas contrarier. Pour ne pas risquer d’entendre qu’elle se trompe. Et que, si elle n’est pas à peine de juger sainement de ses propres pensées, c’est bien qu’elle est malade…
Parce qu’il lui faut penser « pareil », parce qu’il lui faut dire « pareil », elle finit par adopter un mode de pensées qui ne lui correspond pas. Elle se retrouve interdite de compréhension, de parole, d’émotions qui ne vont pas dans le sens du bourreau. Elle est mise petit à petit à l’écart d’elle-même.

Et, s’éloignant de ses émotions et de leur expression afin de ne pas devoir supporter de nouvelles critiques et de nouveaux reproches, elle finit par ne plus y avoir accès, par ne plus les reconnaître possibles, réelle, et surtout autorisées et existantes.
Pour nombre de victimes, c’est ainsi que se développe la dissociation, mécanisme de défense qui, en éloignant de ses propres émotions, permet de ne pas ressentir directement la souffrance et de se croire à l’abri, ou, pour le moins, de se croire capable de supporter.

« Tu penses ressentir ce que tu dis ressentir, mais tu te trompes ; car je sais ce que tu ressens, et ce que tu ressens n’est pas ce que tu exprimes. Tu n’es donc même pas capable toi-même de te connaître vraiment, et de le partager… Et tu voudrais que je te fasse confiance ? Tu pourras être digne de confiance quand tu auras été soigné(e). Et c’est pour cela, pour corriger ce que tu ressens si mal, que je vais t’aider à consulter, à être hospitalisé(e). C’est pour toi que je fais cela… »

©Anne-Laure Buffet

FAUTE N°4

Vous faites confiance. Vous ne voyez pas les sous-entendus. Vous répondez aux questions que « votre » pervers narcissique vous pose. Vous vous dévoilez. Lentement.
Vous parlez de vous. De ce que vous êtes. De qui vous êtes.
Sans vous en rendre compte, vous lui donnez des armes.
Ces armes, il les retournera contre vous. Il usera et utilisera tout ce que vous avez pu lui dire. En le déformant.

Et vous aurez beau répéter : c’est faux, tu n’as pas compris, je n’ai jamais dit ça… , il arrivera toujours à trouver les arguments pour prouver que vous avez tort.
Et vous ne saurez plus où se situe la vérité.
Votre vérité.