LA JUSTICE – RENCONTRE ET DÉBAT – 2 NOVEMBRE 2016

Cette année l’association CVP propose, en plus des groupes de discussion du samedi, des petits déjeuners – matinées, le mercredi, de 9h à 12h, sur des thèmes qui n’ont pas encore été abordés et qui sont liés directement à la violence psychologique et ses conséquences pour les victimes.
Ces petits déjeuners seront l’occasion d’une rencontre avec un professionnel, d’un échange sur le thème proposé, et d’un débat entre les participants.

LE MERCREDI 2 NOVEMBRE LE THÈME PROPOSÉ EST : LA JUSTICE 
La violence psychologique peut-elle être démontrée en justice ? 
Quand s’adresser à elle ? Comment se déroule une procédure ? Que peut-on demander ? Quelles sont les principales juridictions ? Quelles sont les responsabilités d’un avocat, d’un magistrat, d’un procureur ? Comment faire appel ?
La violence psychologique peut-elle être démontrée en justice ?
Ce petit déjeuner se fera en présence d’un avocat fin de répondre aux diverses questions.


Informations et inscription : ou


Anne-Laure Buffet – Présidente de l’association CVP – Contre la Violence Psychologique

J’AI PRIS CONSCIENCE DE TOUTE L’INCOMPÉTENCE DES SERVICES DE POLICE ET DE LA JUSTICE – TÉMOIGNAGE

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Le témoignage ci-dessous a été communiqué à l’association CVP par une victime de violence conjugale, psychologique, physique, sexuelle, économique. Les victimes sont au nombre de quatre : elle, et ses trois enfants. L’incompréhension des forces de l’ordre, des magistrats, des avocats, l’absence de soutien, l’abandon manifeste de la société, l’ont conduite à une situation de précarité à laquelle s’est ajoutée une détérioration de son état de santé et des manifestations invalidantes et douloureuses.
Cette situation n’est pas unique.
Cette situation traduit le manque de temps, de moyens, de formation, d’implication des professionnels.
Cette situation met en danger non seulement des familles, des enfants, mais l’équilibre de la société fondée sur des valeurs piétinées chaque jour, à huis-clos, dans les commissariats, dans les bureaux des professionnels, dans les tribunaux et salles d’audience.
Et il est à craindre que si personne ne réagisse, cela n’aille qu’en se dégradant encore plus.

A celles et ceux qui pensent que la justice, le droit et le respect de la vie humaine sont des valeurs essentielles à respecter, je dis : Ne baissez pas les bras. Ne soyez pas innocents. Il faut se battre et continuer se combat, chaque jour.

Anne-Laure Buffet, Présidente de l’association CVP – Contre la Violence Psychologique    

J’ai été mariée 13 ans à un pervers manipulateur.

J’ai rencontré M. en mai 1989. Il effectuait son service militaire dans la ville où je vivais.

Il faisait un « service long » et je devais entrer dans l’armée, aussi je suis allée à la caserne qui organisait un week-end porte-ouverte. J’étais en compagnie de ma soeur cadette et nous nous sommes très vite faites abordées par un groupe de jeunes militaires. Parmi eux, il y a avait M.

Je lui trouvais beaucoup de charme, il était de plus souriant et il avait beaucoup d’humour.

Il avait 21 ans et moi 22.

Nous nous sommes très vite mis en couple (4 mois après notre rencontre). Je l’ai fait entrer dans l’agence de voyages où je travaillais. Il est devenu G.O , tout en préparant son concours de gardien de la paix , pour lequel je l’aidais à se préparer.

Il venait d’un milieu modeste, d’une famille recomposée. Ses parents avaient divorcés alors qu’il avait 6 ou 7 ans et sa mère s’est très vite remariée avec un « célibataire endurci » plus âgé qu’elle. J’apprendrai bien plus tard que son père biologique avait été évincé de sa vie.

Je venais d’un milieu aisé, avec une fratrie de 7 enfants, mes parents sont restés mariés 66 ans jusqu’à la mort de mon père en septembre 20xx.

M et moi nous sommes mariés en mai 1991 et notre 1er enfant est né en février 1992.

LIRE LE TÉMOIGNAGE 

L’emprise conjugale, assassin par procuration.

 

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Il n’aura jamais été fait autant de cas de la violence conjugale et de ses nombreuses et dramatiques conséquences que depuis la deuxième condamnation de Jacqueline Sauvage, le 3 décembre 2015.

Une deuxième condamnation qui confirme la première : dix ans de réclusion pour cette femme, âgée de 68 ans, mère de quatre enfants, mariée pendant 47 ans à Norbert Marot.

Le 10 septembre 2012, Jacqueline Sauvage prend le fusil dont son époux et elle se servent quand ils partent chasser. Elle reste sur le pas de la porte à l’intérieur de la maison et tire sur son mari, assis sur une chaise sur la terrasse. Elle l’abat de trois balles dans le dos.

La condamnation pour meurtre est prononcée le 28 octobre 2014, et confirmée en appel, en décembre 2015.

La légitime défense invoquée par les deux avocates de Jacqueline Sauvage, n’a pas été retenue. La violence conjugale répétée pendant les 47 années de mariage n’aurait pas dû conduire Jacqueline Sauvage à un tel geste.

Les trois filles sont aux côtés de leur mère. Elles mettent en avant la violence qu’elles ont également subie, violence psychologique, physique et sexuelle. Toutes les trois, mais également leur frère. Celui-ci se suicide le 9 septembre 2012, la veille du meurtre de son père. Jacqueline Sauvage ne savait pas que son fils était mort lorsqu’elle tire sur son mari.

Depuis la confirmation de la condamnation en décembre dernier, l’opinion publique s’est largement soulevée autour de cette affaire. C’est tout d’abord une pétition qui est lancée, pour demander la grâce présidentielle. Elle recueille aujourd’hui près de 435.000 signatures, un chiffre historique en matière de pétitions.

C’est également cette demande de grâce présidentielle que les filles de Jacqueline Sauvage et ses avocates adressent au président François Hollande. Et très vite, ce sont des parlementaires, des personnalités, des mouvements féministes, des professionnels de la santé et du droit, qui soutiennent cette demande de grâce.

Mais tout le monde ne va pas dans le sens de cette grâce. Au café du commerce – réel ou virtuel – on entend et on lit : « Si c’était si difficile, elle n’avait qu’à partir plus tôt. On ne reste pas 47 ans sans raison ». Et de manière plus argumentée, on peut entendre également qu’il n’y avait pas – au sens juridique du terme – légitime défense. Que les preuves de la violence conjugale sont faibles, et que l’instrumentalisation des trois filles est possible. Qu’une mère qui laisse son mari violer ses enfants et les battre est forcément complice. Que l’emprise psychologique n’est pas démontrée. Jacqueline Sauvage est donc responsable du meurtre de son époux et la condamnation est justifiée.

 

La notion d’emprise psychologique devient le nœud gordien de cette affaire.

Au-delà du geste de Jacqueline Sauvage, il est une réalité méconnue, méprisée, et même souvent réfutée. Encore aujourd’hui, il est courant d’entendre qu’une femme battue qui ne part pas est une femme qui y trouve son compte, qu’une femme qui laisse son mari maltraiter les enfants est victime certes, faible sans aucun doute et complice très certainement. Et même parmi d’anciennes victimes de violences conjugales qui ont pu fuir cette violence, le doute s’installe : « J’ai bien pu partir, moi, alors 47 ans… je n’y crois pas. »

C’est se prononcer sans savoir. Le cas de Jacqueline Sauvage devient emblématique, il est le quotidien de bien des femmes – et d’hommes aussi. En 2014, 134 femmes sont mortes sous les coups de leur conjoint. 223 000 subissent de la violence physique ou sexuelle ; seulement 14 % portent plainte. Comme 86 % des victimes silencieuses, Jacqueline Sauvage n’a jamais alerté les autorités. Parce qu’après une plainte, il faut se protéger, il faut pouvoir le faire, il faut pouvoir fuir avec les enfants, il faut essayer de vivre.

Aujourd’hui, les centres d’accueil sont trop peu nombreux, les plaintes encore peu reçues, les femmes renvoyées dans leurs foyers, abandonnées à la violence d’un compagnon qui sera entendu et laissé en liberté. Les prises en charge remarquables de certains organismes ou associations ne peuvent servir à toutes. Aussi, dépendantes, sans moyens financiers, matériels, médicaux, elles préfèrent se taire, subir, se dire qu’elles peuvent encore protéger leurs enfants, y croire, et risquer d’en mourir.

Or, en 1965, lorsque Jacqueline Sauvage accouche de Sylvie, sa fille aînée, les mesures de protection sont bien loin d’être ce qu’elles sont aujourd’hui. Peut-on dire qu’elles sont nulles ? Ce serait exagéré ; en tout cas elles sont dérisoires. La première campagne de sensibilisation contre les violences faites aux femmes date, en France, de novembre 1989. Sylvie a 24 ans. Sa mère est mariée depuis 24 ans. Elle est conditionnée depuis autant d’années qui se résument en trois mots : un lavage de cerveau.

 

Mais l’emprise ? Que veut dire ce mot, utilisé presque comme un point Godwin ? L’emprise est l’état dans lequel se retrouve une personne qui va subir de manière répétée, quotidienne, implacable, des comportements qui alternent une tendresse simulée ou utile pour manipuler, et la violence, la maltraitance, les injures, le dénigrement, les reproches, le mépris. Le bourreau utilise la victime comme un objet, pour défouler ses diverses pulsions, jusqu’à la dépersonnaliser.

L’emprise s’installe en suivant toujours le même schéma. Mais elle demeure individuelle et entre en résonance avec les personnalités qui la font vivre et qui la subissent ; elle se glisse dans une ou des fragilités de la victime, et les creuse comme une gangrène, inlassablement. Jacqueline Sauvage avait, comme chacun, ses failles. La première : avoir été charmée par le bad boy local alors qu’elle a 15 ans, l’avoir caché à sa famille, avoir fauté avec ce garçon, se retrouver enceinte alors qu’elle a juste 18 ans et un statut d’ouvrière, se marier pour ne pas être fille-mère, le 5 juin 1965. La loi autorisant les femmes à ouvrir un compte en banque et signer un contrat de travail sans avoir besoin du consentement marital date du 13 juillet 1965, avec la réforme des régimes matrimoniaux, rendant effective la capacité juridique de la femme mariée. De fait, à son mariage, elle est déjà (future) mère, dépendante financièrement, avec un statut professionnel fragile, une conscience d’avoir désobéi au schéma familial, un devoir d’être de ce fait parfaite, irréprochable.

Les quatre enfants naissent, grandissent, sont témoins et victimes de la violence de leur père, mari réputé faignant, alcoolique, agressif, instable. Elle a voulu les protéger. D’autres auraient fait autrement, peut-être. Elle n’est pas « d’autres ». Elle est seule avec son histoire, son quotidien violent, son incapacité à demander de l’aide.

Les enfants grandissent, quittent la maison familiale, elle reste. Elle reste alors qu’elle aurait pu partir, comme certains diraient. Si elle en avait encore eu la conscience, la force, la possibilité. Plus de 20 ans de violence, comment imaginer ce que devient psychiquement une personne en tant de temps ? La liberté est-elle imaginable ? Une juste définition du mot « liberté » existe-t-elle même ? Peut-on reprocher à Alexandre Soljenitsyne de ne pas être allé chercher son prix Nobel, d’avoir attendu 4 ans pour le recevoir, par crainte d’être déchu de sa nationalité soviétique après 8 ans dans les goulags…

Alors Jacqueline Sauvage, comme tant d’autres victimes, vit dans cette emprise. Elle vit, en apparence. Elle est en survie. Elle ne sait plus ce que vivre signifie.

 

Et quand l’entourage et la société en rajoutent, à qui faire encore confiance ?

 

Car c’est bien ce dont souffrent toutes ces victimes : le silence et l’immobilisme de ceux qui savent et se taisent, de ceux qui ont le pouvoir juridique, social ou médical d’agir et ne font rien. Jacqueline Sauvage est hospitalisée plusieurs fois. Les médecins, pas assez formés, ou pas assez à l’écoute, n’ont rien vu. Les services sociaux n’ont rien vu. Les instituteurs n’ont rien vu. Là encore, elle n’est pas un – mauvais – exemple. Elle est victime de l’inanité d’une société qui ne veut surtout pas être dérangée car, après tout, « une fois la porte de la maison refermée, ce qui se passe chez les gens… » ?
Jacqueline Sauvage, comme toutes ces femmes et ces hommes victimes, se tait et ne bouge plus. Qui va les entendre ? Qui va les croire ? Et qui va les aider ?

Quand la violence est physique et psychologique, qui va témoigner de paroles qu’il n’aura pas entendu, de gestes qu’il n’aura pas vus ? Pourtant, chaque mot violent est un coup supplémentaire, qui affaisse un peu plus. Un coup invisible et assassin.

 

Alors… Alors heureusement beaucoup arrivent à fuir. Malheureusement beaucoup ne peuvent pas puisque la violence quotidienne leur est particulière et repose sur des éléments individuels.

Jacqueline Sauvage n’est pas partie et pour cette raison elle est encore jugée, par ceux qui ne veulent pas entendre ou ne le peuvent pas, bien après sa condamnation.

 

En la jugeant ainsi, en créant des doutes, en niant son histoire, c’est bien plus qu’une double peine qui est infligée. C’est un refus de s’impliquer, de prendre un risque, d’écouter une histoire, car elle pourrait faire peur. C’est se poser en singes de la sagesse, en se contentant de singer celle-ci.

AUX AVOCATS, AU SERMENT, À L’ENGAGEMENT

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Il y a un an j’écrivais sur ce blog ce texte : Mesdames et messieurs les avocats.
Je l’écrivais pour tenter de dire à ces représentants et défenseurs de la Loi, de la Justice et de ce que certains appellent encore la Morale que la défense d’une victime de violence psychologique équivaut à une guerre, un combat à mort, auquel il faut être prêt. Que ce combat se fera entre mensonges, diffamations, manipulations, faux pleurs, vraies calomnies, au profit d’une seule personne : la personnalité toxique. (Mais, je m’interroge : peut-on qualifier de « personne » un être toxique ?).
C’est un combat dont on connaît le commencement, jamais la durée, jamais l’issue. Il demande d’être aussi patient que stratège, aussi précis que technique. Rien, aucune parcelle de la vie de votre client(e) ne doit vous échapper. Et il ne s’agit pas d’inquisition.
Il s’agit de remplir pleinement votre serment, celui de défendre la personne qui vous amène son dossier.

Qui est cette personne ? Qui est cette victime de violence psychologique ? Que demande t’elle, qu’attend t’elle de vous ? Elle pousse la porte de votre bureau, et se sent déjà coupable. Vos codes de droit civil ou de droit pénal l’effraient. Elle se croit condamnée, là où elle a déjà été accusée par son bourreau. Elle se croit incapable de dire son dossier, son affaire, sa situation. Elle pense qu’elle ne sera pas entendue. Et le plus souvent, malheureusement, elle ne l’est pas. Elle espère que vous aurez les mots, les gestes et les regards qui vont la rassurer, elle, qui vont lui donner un peu de force, mais surtout, qui feront cesser toutes ces violences et qui vont permettre de faire entendre à la Cour son histoire, sa souffrance, et défendre ses droits.
Cette victime, elle a si peur, si honte, qu’elle ne sait pas quoi dire, elle ne sait jamais commencer son histoire.

Face à elle, assis(e) à son bureau, vous. Vous , le « Maître » que la profession vous attribue lorsque vous passez le barreau, la respectabilité, la notoriété parfois, l’image du savoir, éventuellement du pouvoir. Et déjà, voilà la victime à nouveau en posture de soumission. Car vous savez, pas elle.

Mais que savez-vous ? Ce qui est inscrit dans les codes, qu’elle ignore, que le plus souvent elle ne comprend pas. Et que vous ne lui expliquez pas – pour quelle raison ? Est-ce si difficile de dire ses droits à son client ? Est-ce pour vous une perte de temps, ou à distinguer de votre engagement ?
Que savez-vous encore ? Les règles de procédure ? Mais comment la victime peut-elle les connaître ? Comment peut-elle savoir ce qu’attend le civil, le pénal, et le temps exigé, et les contraintes, et la notion de plainte, de requête, ce qu’elles impliquent, ce qu’elles exigent des plaignants ? Comment peut-elle comprendre le principe même de juridiction s’il ne lui est expliqué ? Est-ce à cette victime, désespérée, effrayée, de continuer de chercher, d’essayer de comprendre, de vous orienter, pour pouvoir être correctement défendue ? Ne pourriez-vous pas prendre le temps d’expliquer ce fameux temps de la justice, bien loin du temps des hommes, temps dans lequel se diluent les espoirs et les dernières énergies de femmes et d’hommes déjà étranglés par leur quotidien ?

Oui, que savez-vous d’elles, de ces victimes au passé chargé de soumission et d’emprise ? Comment pensez-vous les défendre, si ce n’est en vous investissant vous aussi sur leurs dossiers, à leurs côtés ? En remontant chronologiquement le temps, l’histoire, les  faits, pour décortiquer et mettre en lumière cette emprise ? Avez-vous si peur de vous engager ? Etes-vous si pressés ? Pensez-vous que le silence est un atout, un gage de crédibilité ? Pensez-vous perdre du temps à préparer la défense ? Pensez-vous que votre considération est suffisante ? Pensez-vous même réellement les considérer ? Comprenez-vous pleinement ce dont elles souffrent ?
Savez-vous qu’à défaut d’être psychologues, il vous faudra faire preuve de psychologie, d’empathie, de compassion ?
Comprenez-vous les conséquences matérielles, financières, pour vos client(e)s, lorsque vous assénez des honoraires inexpliqués, aux montants exorbitants, avant même d’avoir commencé à préparer le dossier ?

Que la victime de violence psychologique soit un homme ou une femme, lorsqu’elle pousse la porte de votre cabinet, la tête basse, fatiguée, terrorisée, elle est à bout de forces après avoir résisté pendant des mois, parfois des années. Elle arrive et cherche un peu d’espoir, un peu d’écoute, un peu de réponse. Elle ne veut pas être trompée par un beau discours. Elle veut entendre des vérités. Elle veut savoir qui elle est, et elle veut que ce soit dit, devant un juge, et devant son bourreau. Elle n’a pas besoin d’effets de manches ou de longs discours savants. Elle a besoin que la main protectrice à défaut d’être amie se tende vers elle.
Elle a besoin de savoir que ce qu’elle va dépenser – parfois, souvent même – le peu qu’il lui reste, sera dépensé pour elle, pour SA cause. Elle a besoin d’être impliquée dans la préparation de SON dossier ; elle a besoin de comprendre comment va se dérouler SA procédure ; elle a besoin d’être rassurée, de se dire qu’elle a fait le bon choix, avec vous pour la défendre, et avant tout, en décidant d’agir. Elle ne veut plus être un jouet. Elle ne veut plus être manipulée – même pour son bien. Elle doit être impliquée complètement, pour ne pas avoir le sentiment d’être laissée une fois de plus sur le bord du chemin.
Cette victime entre en guerre et compte sur vous.
Cette victime est terrorisée d’entrer en guerre mais sent qu’elle ne peut pas faire autrement.
Cette victime a besoin de vous.
Pleinement.

C’est un lourd et difficile, lent et sinueux combat que celui d’accompagner et de soutenir une victime de violence psychologique.
Alors, mesdames, messieurs les avocats, personne ne vous blâmera de trouver ce combat inhumain. Et parfois, d’y renoncer avant même de le commencer. Mais ne vous engagez pas légèrement.
Vous ne recevez pas des dossiers.
Vous recevez des humains, des victimes, des blessés, des mutilés de guerre, des accidentés par la vie.
Vous recevez des pères, des mères, qui n’ont plus rien à perdre, qui cherchent à sauver leurs enfants.
Vous recevez des personnes.

Un jour, vous pourriez avoir besoin, vous aussi, d’être défendu(e)s.
Ce jour-là, en poussant la porte d’un confrère, vous ne serez pas avocat. Vous serez victime. A votre tour vous aurez à dire, à raconter, à espérer, à soupirer, à craindre et à prier.

Pour vos client(e)s, mesdames et messieurs les avocats, ne l’oubliez pas… Car si ce n’est toi, c’est donc ton frère qui, un jour, pourrait se retrouver plus bas que terre. Ce jour-là, vous n’attendrez qu’une chose : une juste et pleine défense.

Anne-Laure Buffet

UN TRAVAIL D’ARCHIVISTE

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« Comment prouver la violence ? Comment prouver le harcèlement ? Depuis que nous sommes séparés, il ne répond à rien, il ne dit rien… je ne sais plus quoi faire. »

Une procédure, que ce soit une procédure de divorce, ou autre, face à une personnalité toxique, est toujours très complexe. Elle implique pour la victime de prendre conscience de ce qui va lui peser terriblement : les délais de la Justice. Si la victime est dans l’urgence de vois son dossier traité, la Justice n’a pas la même urgence ni le même intérêt. La Justice prend son temps, parce qu’elle est débordée, parce qu’elle a trop d’affaires à régler. Parce que les toxiques jouent sur les délais, obtiennent des reports, fournissent leurs pièces au dernier moment, invoquent un incident, demandent des expertises, des contre expertises, des médiations. Parce qu’ils font traîner, et que la Justice se doit de respecter toutes les demandes. Même celles qui sont iniques pour la victime. Car la Justice se veut juste. Et se vouloir juste lui ordonne d’entendre complètement les deux parties.

Aussi, pendant toute la durée de la procédure, la victime va être conditionnée par ces moments où l’avocat ne répond pas ou plus, ces moments où elle attend, ces moments où les reports d’audience détruisent les espoirs. Les victimes constituent un dossier, le trouve bien léger, car elles ne savent quoi donner comme pièces, se concentrent sur tout ce qu’elles ne peuvent pas fournir, ont sous les yeux tout ce qui leur est reproché, et n’arrivent pas à distinguer l’essentiel, l’utile et le superficiel.

C’est pour cette raison que bon nombre de victimes ne prennent pas le temps de conserver les messages reçus, ou encore d’en envoyer. Par peur des réponses qu’elles auront, ou n’auront pas. Parce qu’on leur a dit : « fuyez, et ne cherchez aucun contact ». Par honte et culpabilité, se sentant encore coupables de ce qu’elles ne sont pas, n’ont pas dit, n’ont pas fait. Elles pensent : « encore un message que je vais envoyer, parce qu’il faut prendre une décision pour les enfants, parce qu’il faut que je sache ce qui se passe. Et encore une fois, j’aurai des insultes, mais rien de concret…. s’il me répond. ».
Or, rien de concret est un élément important. Lorsqu’il se répète, il sert à démontrer la mauvaise foi ou la volonté de nuire de la personnalité toxique. Or, encore, le silence est tout autant un élément probant de la violence psychologique. Lorsqu’il s’agit de prendre une décision, par exemple concernant les enfants, pour l’école, pour un médecin, pour l’organisation des vacances… et que la victime n’obtient jamais de réponse, là encore, ce peut être utilisé en justice pour montrer la volonté de nuire en laissant dans le flou et l’interrogation.

Il ne s’agit pas d’un élément, d’un fait qui se produit une seule fois. Il s’agit de leur répétition. Il s’agit encore de tout conserver, les messages envoyés, et ceux reçus. Il s’agit de faire un travail de secrétariat. Un travail long, pesant, psychologiquement couteux. Car il implique que la victime se replonge régulièrement dans ce qu’elle a déjà entendu, lu, et reçu. Il s’agit encore de se faire, à ce moment-là, accompagner, pour acquérir des réflexes. Pour structurer des messages brefs, concis, sans justification, allant droit au but, demandant une réponse tout aussi claire et précise. Il s’agit de fonctionner par dossiers. C’est terrible pour la victime ; sa vie déjà détruite se retrouve classée et archivée, prête à être à nouveau scrutée, dépouillée par des avocats, pour en sortir des éléments probants. Mais c’est essentiel.

Une telle procédure devient une occupation à – quasi – temps plein. C’est un nouvel enfermement pour la victime. C’est celui qui va lui rendre sa liberté. Pour sortir de la violence, il faut malheureusement se faire violence, et en supporter encore. C’est un bouclier très lourd à porter, mais bien réel.

Il ne faut pas oublier que la personnalité toxique, de son côté, agit sans aucun scrupule. Que tout ce qui lui est dit, lui est écrit, elle le garde. Elle le classe. Et elle compte bien s’en resservir un jour, hors contexte.

Les victimes qui osent demander de l’aide pour apprendre à constituer ce dossier qui pourra les aider, les victimes qui apprennent à affronter tant la cruauté de la personnalité toxique que leurs peurs, afin d’accumuler les éléments nécessaires pour leur procédure, les victimes qui réussissent à supporter les délais de procédure pour en faire une arme de défense contre la personnalité toxique ont bien plus de chance d’être enfin entendues.