AUCUN DIPLÔME À LA CLÉ

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Photo de Ludmilla Tcherina

Alors que les mois de février et mars ont été consacrés aux enfants en souffrance, alors que avril et mai reviennent sur l’emprise, la violence psychologique, et l’éventuel pardon, il me semble essentiel une fois de plus de dire que l’objet de CVP est de se consacrer aux victimes de violences psychologiques, et aux potentielles victimes, aux proies, en informant, en dénonçant, en tenter de prévenir et en accompagnant lors de de la (re)construction de la personne en souffrance.

Pour ma part, il n’est pas question de délivrer un diagnostic sur l’auteur des violences. Diagnostic qui ne peut être que tronqué, l’auteur desdites violences ne se présentant jamais comme auteur. S’il vient à parler, c’est bien pour se victimiser, et faire accuser l’autre. Aussi, dire : « En effet, untel ou unetelle est sans conteste un(e) manipulateur pervers narcissique » est à la fois difficile et dangereux.

Difficile, ainsi que ce vient d’être dit, car porter un diagnostic sans avoir reçu la personne « à diagnostiquer » va à l’encontre de toute déontologie. Un avis, une opinion, est possible. Les faits, paroles, actes rapportés fournissent un faisceau d’indices à partir duquel il devient possible, de considérer qu’il y a en effet violence psychologique, comportements destructeurs, intentionnels ou non. De même, il faut prendre en considération la souffrance de la personne reçue et entendue. Il faut être capable d’appréhender un état de stress post traumatique, un état d’anxiété généralisée, une dissociation, des troubles qui se développent, comme la claustrophobie, l’agoraphobie, les intentions suicidaires.

Dangereux, car le diagnostic une fois porté, celui-ci peut plonger la victime dans divers états :
– convaincue d’être victime d’un « PN » (terme trop médiatisé qui empêche tout recul), elle peut focaliser sur ce terme, justement, et ne pas arriver à effectuer pour elle le travail nécessaire de deuil et de reconstruction. Elle devient victime « par définition » et consacre sans s’en rendre compte son énergie à lutter contre le (la) PN, ou à vouloir faire entendre que l’autre est un monstre. Ce qu’elle fait essentiellement, si son psychisme ne se détache pas de « l’autre », c’est continuer de lui consacrer et son temps, et son énergie, et sa vie.
– elle peut également se mettre à chercher comment prouver que l’autre est « PN ». Comment le prouver aux yeux de son entourage, mais aussi comment le prouver devant la société et en justice. Là encore, elle se consacre à « l’autre ». Pas à elle, la victime. Elle se plonge dans un combat presque perdu d’avance en justice. S’il est vrai que devant un juge on peut aujourd’hui arguer de la violence psychologique subie, des conséquences et du traumatisme, et qu’il est même possible de prouver cette violence, il est bien plus risqué et hasardeux de vouloir montrer que « l’autre » est PN, psychopathe, fou et dangereux, et souvent tout à la fois. La justice jugera sur des faits. Sur des éléments concrets.
C’est le travail des avocats, c’est aussi celui de la victime, c’est enfin celui de celles et ceux qui accompagnent la victime, que de lui permettre d’ordonner des faits chronologiquement, de mettre en avant l’intention de nuire, de montrer la répétition de comportements destructeurs.
Et contrairement à ce que pensent de trop nombreuses victimes, c’est possible.
En outre, cette réflexion permet de se recentrer sur « soi », de s’attacher à ce qui est concret, et de se détacher de « l’autre », le bourreau.
– il ne faut pas oublier non plus que si certaines personnes peuvent dire : « je suis victime d’un PN », et le démontrer, d’autres n’en sont pas encore là dans leur parcours, n’arrivent pas encore à prendre pleinement conscience de leur vécu, à le « ressentir », ou à l’exprimer. Parfois, la mémoire occulte des faits, des moments, des périodes. C’est au thérapeute de permettre à la victime de retrouver un accès à ses émotions et à son vécu. Mais tant qu’elle ne le peut pas, la victime va considérer que « finalement ce que j’ai vécu c’est pas si grave que ça, je dois pas être vraiment victime… »

Se rattache à cela un autre élément à prendre en considération : le terme « pervers narcissique » est devenu tellement médiatisé, sur employé, commercialisé et demeure si contextuel, que se développe aujourd’hui une méfiance presque légitime face à l’utilisation de ce « présupposé ». La décision de justice ne sera pas plus lourde pour le bourreau, que le juge développe une intime condition de la perversion narcissique (ou non) de celui qui en est accusé. Et le suremploi du terme aurait même tendance à rendre les magistrats d’autant plus prudents et défiants. « Tiens, « encore » un cas de PN… ». Car aujourd’hui, ils sont pléthore…

En revanche un dossier détaché de l’affect lié, qu’on le veuille ou non, au terme de « PN », un dossier reposant sur des comportements destructeurs et sur la mise en place d’une relation fondée sur la violence psychologique, donc, de fait, une relation où il y a abus, maltraitance, dénigrement de l’individu… est entendu devant la Cour.

Mener un combat pour se faire entendre, mener un combat pour être reconnu(e) victime – ce qui est un état et non un statut, mener également un combat personnel pour sortir de cet état de victime pour faire reconnaître sa souffrance et ses conséquences, mener en somme un combat pour être validé(e) comme individu à part entière et non objet d’un autre, et réhabilité(e) dans son droit à être, est essentiel.
Mener un combat pour entendre que effectivement, l’autre est PN, est secondaire. Encore une fois, c’est continuer à lui consacrer du temps. Or, la seule personne qui compte, c’est celle en souffrance. C’est lui permettre de dire : « Je suis victime, j’ai été victime de violences ». C’est l’amener sur la voie d’une vie libérée de ces contraintes, de ces incompréhensions, de ces violences. Une vie faite de vie, et non d’inexistence.

©Anne-Laure Buffet

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