Quand une victime de violence psychologique prend la parole, elle se place au centre de cette violence en s’en faisant le sujet ou plus exactement l’acteur principal. « C’est ma faute ». « J’ai honte ». « Je n’avais qu’à faire autrement ». « Je n’ai rien dit. » « Je ne réagis jamais. »
Et quand les tiers échangent avec elle, elle reste acteur et sujet principal : « Qu’as-tu dit ? Qu’as tu fait ? Comment as-tu réagis ? Pourquoi tu ne réponds pas ? Pourquoi tu ne pars pas ? »
Je, Tu, comme nous avons appris à l’école. Comme nous avons appris l’ordre des conjugaisons et de la grammaire. Comme nous sommes depuis tout petit conditionnés à le faire, car nous devons être responsables, maîtres de nos vies et de nos choix, doués de réflexion et de raison.
Or, en restant dominé par l’obligation d’utiliser le « Je », le schéma est simple :
Je vais mal à Je ne fais rien à Je suis nul(le)
Simple, efficace, et qui provoque un conditionnement du langage. Pourquoi parler de moi, alors que moi est nul(le) ? Pourquoi dire je, alors que je n’est rien ?
La personnalité toxique a obtenu ce qu’elle recherche : sa proie, sa victime, est dépersonnalisée sans s’en rendre compte. Elle utilise toujours le je, convaincue d’agir, de pense, d’être et de faire. Elle est en réalité parfaitement conditionnée. Elle est impropre à agir autrement que sous l’ordre et la volonté de son bourreau. Et elle est rendue impropre à s’en rendre compte.
Or, un objet ne pense pas. N’agit pas. N’est pas. Il sert. Il est utilisé par un ou une autre. Il est instrumentalisé, puis posé, rangé, jeté, oublié. Il a une fonction qu’il doit remplir, à moins d’être remplacé.
La victime est comme cet objet. Elle remplit une fonction. Quand elle ne la remplit plus, elle est jetée comme on jette un vieux mouchoir en papier – avec un air dégouté.
Alors, revenons-en aux conjugaisons. De l’utilité de la voix active et de la voix passive – petit manuel pour se sortir de l’emprise. Et pour bien s’en servir, il faut sans cesse rester dans ce qui est concret. Une victime ne se soumet pas. Elle est soumise par un autre. Une victime n’accepte. Elle est façonnée de telle manière qu’elle ne peut agir autrement. Une victime ne parle pas. Elle rapporte la parole d’un autre. Une victime ne dort pas, elle est tenue éveillée ; elle ne mange pas, elle est nourrie. Une victime ne fait pas l’amour, elle sert à assouvir les besoins sexuels, primaires, souvent bestiaux de la personnalité toxique.
Une victime ne pense pas.
Elle est soumise à une lobotomie invisible, sans douleur, sans cicatrice. Radicale. Elle exécute, elle répète, elle reproduit ce qui est attendu d’elle. Elle est vidée de sa substance humaine. Elle devient microphone, marionnette, robot ménager, portefeuille. Quand elle est vidée, quand elle n’enregistre plus, quand elle n’a plus d’automatisme, elle est mise à la benne. Ou au broyeur.
Je suis nul(le) n’existe pas. Il (elle) m’a privée de mon humanité est réel.
Je vais retrouver cette humanité est possible.
Et rend enfin fin à une victime ce qu’elle est : le statut d’être humain.
©Anne-Laure Buffet
Elle (il) m’a privé de mon humanité, je retrouve mon statuts d’être humain, et là, un sentiment particulier d’une véritable renaissance. Apprendre à remarcher en dehors du petit parc et ces barreaux, liberté et épanouissement sont devant nous.