Si chaque victime est une personne différente qu’il faut écouter, comprendre et accompagner individuellement, elles ont pour autant entre elles un certain nombre de caractéristiques communes – conséquences de manipulation, harcèlement et comportements destructeurs. Parmi ces caractéristiques, la peur.
La peur qui non seulement maintient dans une contrainte et sous l’emprise de la personnalité toxique, mais qui de plus provoque un effet paradoxal.
– peur de ce que la personnalité toxique va « encore » faire, dire, inventer, imaginer…
– peur de ce qu’elles vont vivre en quittant cette personnalité toxique.
Les victimes en viennent à ne plus pouvoir se projeter dans un quelconque avenir sans la personnalité toxique. Le quotidien d’une vie équilibrée et saine leur étant interdit depuis des années, pour certaines depuis l’enfance, elles ne peuvent concevoir une réalité sans l’emprise. C’est-à-dire sans contrôle et remise en cause permanents, sans reproches et critiques.
Le travail d’accompagnement et de reconstruction porte entre autres sur ces points : permettre à la victime de franchir le pas après la prise de conscience. Lui donner le droit de s’autoriser à être. À être vraiment. Non pas cette personne forgée au long des années par des comportements manipulateurs, mais celle qui se tait, qui se trouve enfouie sous un amoncellement de craintes, de doutes, de culpabilité et de honte. Il s’agit donc d’aller à la rencontre d’une inconnue. De reprendre possession de ce qui est interdit, à commencer par l’usage du « je ». « Je n’ai pas envie », « je ne veux pas », « je n’aime pas » paraissent si difficiles à prononcer bien souvent… pourtant ils n’expriment pas une opposition à ce qu’est « l’autre », mais une affirmation de ce que l’on est soi.Cette affirmation justement interdite pendant si longtemps.
Pendant le travail d’accompagnement, la victime qui se reconstruit va partir à la rencontre d’une personne inconnue. Elle-même. Qui est cette inconnue ? Comment peut-elle se comporter ? Que peut-elle dire ou faire ? C’est également sur ces quelques points (et tant d’autres) qu’il faut être présents auprès des victimes.
Aussi, je préfère parler aujourd’hui non pas de reconstruction, mais de nouvelle construction. Car il ne s’agit pas de reconstruire sur un terrain miné. Il s’agit de mettre en lumière un nouveau terrain, de nouvelles fondations, de nouveaux piliers. De construire une personne qui a été totalement empêchée. Il s’agit de permettre à la victime non seulement de ne plus l’être, mais de devenir elle, et non la marionnette – bien malgré elle – de comportements toxiques.
Il s’agit de lui donner le goût et l’envie de vivre.
©Anne-Laure Buffet
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