L’INTERDICTION DE DIRE

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La personne victime de comportements toxiques et de violence psychologique se retrouve prise, entre autres, dans une double injonction : d’une part, l’obligation de dire, et d’autre part, l’interdiction de dire.

L’obligation de dire revient à devoir livrer tout de soi, en toutes circonstances, sans raison apparente. Qu’elle en soit consciente ou non, la personne confrontée à la violence psychologique va dévoiler tout ce qui lui appartient, du plus anodin au plus important. Le jardin secret est interdit, le rêve empêché, la pensée contrôlée. Elle doit raconter par le menu son passé, son présent, et jusqu’à l’avenir qu’elle projette. Elle livre ses joies et ses peines. Elle raconte ses succès et ses échecs. Elle dévoile ses histoires de famille, de santé, d’argent. Ses doutes, ses peurs, ses goûts et ses dégoûts… rien  n’échappe à celui ou celle à qui elle se livre, sans s’en rendre compte, et qu’elle nourrit peu à peu.

L’interdiction de dire va de pair avec l’obligation.
Ce qui est interdit, ce n’est pas de se dévoiler… puisque c’est en se racontant que la personne victime donne de la matière à son « bourreau ». Ce qui est interdit, c’est d’imaginer exister. Imaginer avoir un avis, une opinion, un sentiment. Ce qui est interdit, c’est d’exprimer ce sentiment, cet avis ou cette opinion, s’ils ne vont pas dans le sens décidé par le bourreau. S’ils ne sont pas destinés à glorifier le bourreau, à asseoir cette toute-puissance qu’il s’attribue.
Le « non » n’est pas admis.
Le « je ne pense pas comme toi » est réfuté.
Le « je ne suis pas d’accord » est jugé à la fois comme une atteinte et un défaut d’intelligence. Puisque le bourreau, lui sait. Aussi, penser autrement, dire autrement, c’est se tromper tout autant que le dénigrer, lui qui possède LA pensée juste, et prouver une fois de plus sa propre bêtise, à s’enfermer dans des pensés jugées « stupides » (pour le moins, et pour rester polie).

Seuls les sentiments autorisés par le bourreau, les pensées validées par lui, ou elle, les décisions prises par lui, ou elle, et appliquées par la victime, sont valables. Le reste, ce qui appartient aux victimes, n’est que fumisterie, mensonge, manifestation de bêtise et d’incapacité.

Aussi, la victime de ces violences, qui peut parler d’elle et longuement, d’elle en ce qui concerne ses faits et gestes, afin de satisfaire son bourreau mais aussi de se justifier pour ne pas donner prise à la critique, va également apprendre à se taire pour ne pas contrarier. Pour ne pas risquer d’entendre qu’elle se trompe. Et que, si elle n’est pas à peine de juger sainement de ses propres pensées, c’est bien qu’elle est malade…
Parce qu’il lui faut penser « pareil », parce qu’il lui faut dire « pareil », elle finit par adopter un mode de pensées qui ne lui correspond pas. Elle se retrouve interdite de compréhension, de parole, d’émotions qui ne vont pas dans le sens du bourreau. Elle est mise petit à petit à l’écart d’elle-même.

Et, s’éloignant de ses émotions et de leur expression afin de ne pas devoir supporter de nouvelles critiques et de nouveaux reproches, elle finit par ne plus y avoir accès, par ne plus les reconnaître possibles, réelle, et surtout autorisées et existantes.
Pour nombre de victimes, c’est ainsi que se développe la dissociation, mécanisme de défense qui, en éloignant de ses propres émotions, permet de ne pas ressentir directement la souffrance et de se croire à l’abri, ou, pour le moins, de se croire capable de supporter.

« Tu penses ressentir ce que tu dis ressentir, mais tu te trompes ; car je sais ce que tu ressens, et ce que tu ressens n’est pas ce que tu exprimes. Tu n’es donc même pas capable toi-même de te connaître vraiment, et de le partager… Et tu voudrais que je te fasse confiance ? Tu pourras être digne de confiance quand tu auras été soigné(e). Et c’est pour cela, pour corriger ce que tu ressens si mal, que je vais t’aider à consulter, à être hospitalisé(e). C’est pour toi que je fais cela… »

©Anne-Laure Buffet

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