J’EN APPELLE À LA JUSTICE – TÉMOIGNAGE

Aujourd’hui, 8 mars 2016, journée internationale du droit des femmes.
A cette occasion, nous partageons ce témoignage d’une femme abîmée, abusée par la violence conjugale, sous toute ses formes ; et surtout avec elle nous en appelons à la Justice bien trop lente, longue, qui n’entend pas, qui refuse de voir, qui trop souvent laisse des femmes – des familles – dans une situation de grande souffrance sans agir et juger de quoi que ce soit.

La prise de conscience, si longue et douloureuse.

« Aujourd’hui je suis ou plutôt je ne suis pas…J’ai honte de ce que je vais écrire, mais la seule issue qui pourrait me délivrer c’est la mort : la mienne ou la sienne ! Cette pensée est horrible mais à la hauteur de ma souffrance et de ma peur. 

Et s’il était le plus fort ? Et pourquoi cela changerait ?

Si j’osais je porterais plainte, car même si je suis toujours terrorisée par son emprise et ses réactions, même si l’affect n’est pas totalement effacé, cette démarche me semble légitime. Il m’a démolie, vidée de toute substance de vie, de mon énergie…mais aurais-je la force et le courage de l’affronter, je ne sais pas, cela fait si peur, comment faire, comment croire que l’on me croira ?

Mourir serait moins épuisant pour moi. Alors lui ou moi ?

L’appréhension, l’inquiétude, l’angoisse, de devoir à nouveau raconter mon histoire, mes silences, mes souffrances, mes non-dits…Mon incompréhension devant cette violence infligée petit à petit par celui que je croyais être l’homme de ma vie !

La prise de conscience devrait être une délivrance, mais l’évidence du traumatisme me donne envie de disparaître tellement la honte et la culpabilité sont présentes. Mais au fond, honte et coupable de quoi ? De n’avoir rien vu, d’avoir accepté, d’avoir douté, d’avoir tenté de fuir et de m’être laissée mieux rattrapée, sans menotte, ni chaîne, mais pourtant complètement ligotée, ficelée, cadenassée, tout en croyant disposer d’une grande liberté ! Même les chaînes enfin brisées, je n’ai toujours pas retrouvé la liberté qui au fond il y a longtemps s’est égarée.

Un prince charmant est censé venir vous délivrer, celui que je croyais être le mien n’a fait que m’emprisonner, me façonner, me modeler à coups de « je t’aime mais… » ou « mais tu sais bien que je t’aime… ». Alors, telle une figurine en pâte à modeler, je le laisse me rouler, m’aplatir, m’étaler ou m’étirer, m’admirer ou me flatter, me caresser, me toucher, me secouer ou me jeter…de toute façon, quoi qu’il dise ou quoi qu’il fasse, il finira par me récupérer, et j’irai même jusqu’à le supplier.

Aujourd’hui, j’ai mis des mots sur mes maux : c’est un manipulateur pervers, le malade, c’est lui, c’est une pathologie !

…Quoi, lui, le malade ? Mais c’est moi qui suis hospitalisée, c’est moi qui me fais suivre par un psy ! A ça, le corps médical me répond : mais vous n’êtes pas malade, vous, vous êtes suivie car vous avez subi un gros traumatisme psychologique, vous êtes une victime.

La victime se fait soigner, le pervers est en liberté…mais où est la logique, où est la justice ? En clair, je vais devoir guérir en silence car la violence psychologique est improuvable…En clair, il faut guérir mais sans prévenir, sans se reconstruire, en sachant qu’il récidivera. Il faut ouvrir les tiroirs que j’ai fermés mais sans pour autant les vider de toute leur vérité qui de toute façon ne sera pas écoutée.

Il cherchera une autre proie qui lui permettra d’exister, car sans proie il n’existe pas. »

 

La plainte, tellement difficile…

« Une nouvelle étape voit le jour et quelle étape ! Il y a quelques jours j’ai écrit au procureur de la république et j’ai osé porter plainte contre mon bourreau, contre mon mari. Une démarche qui, bien que terrorisante pour moi, est totalement légitime et essentielle pour peut-être enfin tenter de me reconstruire.

Comment ai-je pu me laisser autant berner, autant duper, je ne parviens pas encore à l’admettre. C’est insoutenable, insupportable, injustifiable, inacceptable, et totalement incroyable. Pourtant c’est la triste vérité et réalité, si j’ai mis 18 ans avant d’en prendre conscience, preuve à l’appui, ce n’est pas en quelques minutes qu’un juge qui ne l’a pas vécu en sera convaincu. 

Et puis, j’ai mis si longtemps avant d’en parler qu’il y a vraiment de quoi douter.

Ce n’est pas possible, comment ai-je pu ne rien voir, ne rien comprendre, tant le préserver, et comment ai-je pu résister autant d’années sans vouloir m’évader ? Quoique j’ai essayé. Mais je ne savais pas, je ne comprenais pas, je ne pouvais pas, je croyais que le problème c’était moi.

C’est dur d’être victime, même entourée, même soutenue, toujours cette peur de ne pas être crue par ceux qui ne l’ont pas vécue, et qui n’ont rien vu parce que je me suis tue. Qui ne dit mot consent…C’est faux, je ne pouvais que me taire sans être consentante. Je n’ai pas choisi ma vie, il m’a imposé la sienne, lui le maître, moi sa chienne.

Mon sort n’est plus entre ses mains, mais entre celles de la Justice, s’il en existe une, tout comme le sien.

 

La convocation et l’audition : espoir et angoisse.

Les gendarmes sont passés à la maison…Ni ma fille, ni ma nièce, alors présentes, n’ont compris cette arrivée en renfort. Elles ont eu peur : mais qu’avais-je bien pu faire ? Moi, j’étais au travail, et ma fille de m’appeler : « maman, la police est venue à la maison, ils étaient 4, j’ai eu peur, mais qu’est-ce qu’il se passe ? »

Mon audition durera 3 heures. Trois heures de questions très précises, souvent dures, très dures, crues, très crues…Et je ferai de mon mieux pour y apporter des réponses précises. 

J’ai mis le temps, trop de temps, mais aujourd’hui je ne regrette pas d’avoir enfin brisé le mur du silence. Il m’a vendu du rêve et m’a fait vivre un cauchemar. Je ne cesse désormais de me dire : ce n’est pas de ma faute, ce n’est pas de ma faute, ce n’est pas de ma faute…

Mais ça le deviendra si je baisse les bras et si je le laisse faire en continuant de me taire. Alors je ne me tais plus, alors j’ose parler, quitte à prendre le risque de ne pas être crue, moi je sais que tout ce que je dis, ce que j’ai subi, est vrai. 

Je suis coupable de n’avoir pas pu ou su agir plus tôt, coupable de m’être laissée emprisonner, coupable de l’avoir aimé au point d’en crever. 

Depuis mon audition, la machine s’est enclenchée, au début très rapidement, mais depuis, même si de nouvelles auditions ont eu lieu, je trouve le temps long, très long, trop long…Il n’a toujours pas été entendu.

Et là encore, en tant que victime, je devrais me sentir libérée et protégée, mais il n’en est rien. Cette attente interminable n’est source que de peur, d’angoisse, de doute, de cauchemars à répétition. Mon calvaire est toujours présent. Le paradoxe, c’est que j’aimerais qu’il soit rapidement convoqué, mais la peur de sa réaction me tétanise : et s’il pétait un plomb ? »

 

L’attente de la décision de justice : un enjeu au-delà des mots.

« Je dois y arriver et je vais y arriver parce qu’après tant d’années, j’ai enfin pris conscience de la vérité, celle que j’ai réussi à évacuer, celle qu’aujourd’hui j’ose aborder, j’ose évoquer sans me sentir coupable. Même si la démarche est longue et douloureuse, j’ai fait ce qu’il fallait faire, j’ai porté plainte. Cela fait un mois que je me suis adressée par courrier recommandé au procureur de la république. L’attente est longue, très longue. Eprouvante, très éprouvante, angoissante, très angoissante. Mais ma démarche est légitime, et même si je m’interroge et même si je doute de la suite que la Justice voudra y donner, je garde un espoir d’être enfin entendue, écoutée et respectée.

Même si j’ai peur, moi la victime…C’est un comble. Il est temps et important qu’il cesse d’agir en toute impunité. Une telle cruauté ne doit pas perdurer encore pendant des années. 

Bientôt un an que j’ai été auditionnée suite à la plainte que j’ai osé déposer…Une interminable et épouvantable attente. Une infernale attente. Qu’enfin il soit entendu…

Un an, ce n’est pas si long aux dires des enquêteurs, le dossier n’a pas stagné, il n’a fait qu’avancer, à la demande du procureur, de nombreuses auditions ont eu lieu tant mon dossier serait pris au sérieux.

Un an…moi j’ai le sentiment que cela fait 10 ans, mon corps crie au secours. J’ai beau manger et remanger, le poids n’a fait que dégringoler.

En plus de victime, je me sens clandestine, pas de changement d’adresse, pas de nom sur l’interphone ni sur la boîte aux lettres…

Je fais tout pour tenir le coup en attendant que la justice aille jusqu’au bout pour me redonner confiance et réparer mes souffrances. Je n’ai aucun désir de vengeance, je veux juste éviter le pire, qu’il recommence.

Le seul moyen de l’arrêter dans sa folie meurtrière et dans sa conviction de toute puissance, c’est que la Justice le condamne à enfin prendre conscience qu’il est grand temps qu’il se fasse soigner et j’ose même penser qu’il soit condamné. 

Je m’accorde encore ce droit de rêver que ma cause sera entendue et ce pour toutes les victimes qui n’ont pu l’être, soit parce qu’elles ne sont plus là, soit parce qu’elles n’ont pas pu alors qu’elles auraient toutes voulu. 

Il n’est pas facile d’être une victime, c’est très difficile, plus aisé d’être le coupable parce qu’il bénéficie de la présomption d’innocence.

Aujourd’hui je le dis encore il est plus facile d’être coupable, le coupable lui se sent invulnérable, ne doute de rien, n’a peur de rien, alors que moi victime je me sens coupable d’avoir subi ces maltraitances dans le silence de cette spirale infernale et diabolique.

Moi victime j’ai peur de tout, moi victime je ne vis pas je survis, alors que lui ne s’est vu poser aucun interdit. Je ne suis ni folle, ni menteuse, ni perverse, je n’attends pas d’argent, mais que ma cause soit entendue. Mon bourreau aura tout le temps et peut continuer tranquillement à se sentir tout puissant, pendant que moi sa victime je m’éteins doucement et que j’inflige cela à mes enfants. J’ai vécu l’enfer et l’horreur à cause de mon mari pervers et manipulateur, ma punition est de ne plus avoir droit au bonheur. 

J’ai bien conscience qu’il s’agit d’un dossier long et complexe, mais pour autant, épuisée, à bout de force, j’en appelle à la Justice… »

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