AUCUN DIPLÔME À LA CLÉ

977928_6_34bb_ludmilla-tcherinaPhoto de Ludmilla Tcherina

Alors que les mois de février et mars ont été consacrés aux enfants en souffrance, alors que avril et mai reviennent sur l’emprise, la violence psychologique, et l’éventuel pardon, il me semble essentiel une fois de plus de dire que l’objet de CVP est de se consacrer aux victimes de violences psychologiques, et aux potentielles victimes, aux proies, en informant, en dénonçant, en tenter de prévenir et en accompagnant lors de de la (re)construction de la personne en souffrance.

Pour ma part, il n’est pas question de délivrer un diagnostic sur l’auteur des violences. Diagnostic qui ne peut être que tronqué, l’auteur desdites violences ne se présentant jamais comme auteur. S’il vient à parler, c’est bien pour se victimiser, et faire accuser l’autre. Aussi, dire : « En effet, untel ou unetelle est sans conteste un(e) manipulateur pervers narcissique » est à la fois difficile et dangereux.

Difficile, ainsi que ce vient d’être dit, car porter un diagnostic sans avoir reçu la personne « à diagnostiquer » va à l’encontre de toute déontologie. Un avis, une opinion, est possible. Les faits, paroles, actes rapportés fournissent un faisceau d’indices à partir duquel il devient possible, de considérer qu’il y a en effet violence psychologique, comportements destructeurs, intentionnels ou non. De même, il faut prendre en considération la souffrance de la personne reçue et entendue. Il faut être capable d’appréhender un état de stress post traumatique, un état d’anxiété généralisée, une dissociation, des troubles qui se développent, comme la claustrophobie, l’agoraphobie, les intentions suicidaires.

Dangereux, car le diagnostic une fois porté, celui-ci peut plonger la victime dans divers états :
– convaincue d’être victime d’un « PN » (terme trop médiatisé qui empêche tout recul), elle peut focaliser sur ce terme, justement, et ne pas arriver à effectuer pour elle le travail nécessaire de deuil et de reconstruction. Elle devient victime « par définition » et consacre sans s’en rendre compte son énergie à lutter contre le (la) PN, ou à vouloir faire entendre que l’autre est un monstre. Ce qu’elle fait essentiellement, si son psychisme ne se détache pas de « l’autre », c’est continuer de lui consacrer et son temps, et son énergie, et sa vie.
– elle peut également se mettre à chercher comment prouver que l’autre est « PN ». Comment le prouver aux yeux de son entourage, mais aussi comment le prouver devant la société et en justice. Là encore, elle se consacre à « l’autre ». Pas à elle, la victime. Elle se plonge dans un combat presque perdu d’avance en justice. S’il est vrai que devant un juge on peut aujourd’hui arguer de la violence psychologique subie, des conséquences et du traumatisme, et qu’il est même possible de prouver cette violence, il est bien plus risqué et hasardeux de vouloir montrer que « l’autre » est PN, psychopathe, fou et dangereux, et souvent tout à la fois. La justice jugera sur des faits. Sur des éléments concrets.
C’est le travail des avocats, c’est aussi celui de la victime, c’est enfin celui de celles et ceux qui accompagnent la victime, que de lui permettre d’ordonner des faits chronologiquement, de mettre en avant l’intention de nuire, de montrer la répétition de comportements destructeurs.
Et contrairement à ce que pensent de trop nombreuses victimes, c’est possible.
En outre, cette réflexion permet de se recentrer sur « soi », de s’attacher à ce qui est concret, et de se détacher de « l’autre », le bourreau.
– il ne faut pas oublier non plus que si certaines personnes peuvent dire : « je suis victime d’un PN », et le démontrer, d’autres n’en sont pas encore là dans leur parcours, n’arrivent pas encore à prendre pleinement conscience de leur vécu, à le « ressentir », ou à l’exprimer. Parfois, la mémoire occulte des faits, des moments, des périodes. C’est au thérapeute de permettre à la victime de retrouver un accès à ses émotions et à son vécu. Mais tant qu’elle ne le peut pas, la victime va considérer que « finalement ce que j’ai vécu c’est pas si grave que ça, je dois pas être vraiment victime… »

Se rattache à cela un autre élément à prendre en considération : le terme « pervers narcissique » est devenu tellement médiatisé, sur employé, commercialisé et demeure si contextuel, que se développe aujourd’hui une méfiance presque légitime face à l’utilisation de ce « présupposé ». La décision de justice ne sera pas plus lourde pour le bourreau, que le juge développe une intime condition de la perversion narcissique (ou non) de celui qui en est accusé. Et le suremploi du terme aurait même tendance à rendre les magistrats d’autant plus prudents et défiants. « Tiens, « encore » un cas de PN… ». Car aujourd’hui, ils sont pléthore…

En revanche un dossier détaché de l’affect lié, qu’on le veuille ou non, au terme de « PN », un dossier reposant sur des comportements destructeurs et sur la mise en place d’une relation fondée sur la violence psychologique, donc, de fait, une relation où il y a abus, maltraitance, dénigrement de l’individu… est entendu devant la Cour.

Mener un combat pour se faire entendre, mener un combat pour être reconnu(e) victime – ce qui est un état et non un statut, mener également un combat personnel pour sortir de cet état de victime pour faire reconnaître sa souffrance et ses conséquences, mener en somme un combat pour être validé(e) comme individu à part entière et non objet d’un autre, et réhabilité(e) dans son droit à être, est essentiel.
Mener un combat pour entendre que effectivement, l’autre est PN, est secondaire. Encore une fois, c’est continuer à lui consacrer du temps. Or, la seule personne qui compte, c’est celle en souffrance. C’est lui permettre de dire : « Je suis victime, j’ai été victime de violences ». C’est l’amener sur la voie d’une vie libérée de ces contraintes, de ces incompréhensions, de ces violences. Une vie faite de vie, et non d’inexistence.

©Anne-Laure Buffet

4 réflexions sur “AUCUN DIPLÔME À LA CLÉ

  1. je pense que c’est une des grandes « forces » qu’on peut découvrir dans cette sale expérence: le droit de juger par soi même une série de comportements qui prouvent la toxicité du « bourreau »
    D’ailleurs, celui-ci reproche(ra) souvent cette faculté de « jugement » à sa victime, qui peut donc longtemps s’empêcher/s’interdire ce « jugement », par culpabilité « bien entretenue »…Elle le fera pour ne pas lui donner « raison », pour ne pas passer pour la « vilaine » qui oserait « juger »…
    Or c’est précisément ce qu’il cherche: entretenir cette confusion, chez la victime, entre « juger » indûment ET, ce qui est totalement différent et salvateur dans la vie en général: s’autoriser, enfin, à récupérer ses « facultés » de jugement, mais dans le bon sens du terme…
    Enfin, oui, s’autoriser ce que, souvent, l’histoire personnelle de la victime l’a empêchée de pratiquer: ne pas (plus?) attendre qu’un « avis » (jugement, diagnostic, peu importe le terme choisi, en faits) soit « validé » par qui que ce soit (ami e s, famille, ça c’est dur, très dur, c’est vrai) pour s’offrir ce vrai cadeau, qui est d’avoir le sien, avec u sans « reconnaissance » extérieure!
    Moi, depuis, je me suis libérée de cette attente de « validation », et pas qu’avec le PN, avec tout le monde, et quel(s) changement(s) dans ma vie, depuis!
    Même la « voix » intérieure sadique, héritée de ma mère manipulatrice ne m’atteint plus, et ne m’empêche plus de vivre et de m’accorder le droit de dire « non, je mérite mieux que ce que je peux supporter »
    Dans mon « cas », c’est cette voix, qui me rabaissait constamment, qui m’a empêchée de me voir/sentir victime de mon « ex », puisqu’il ne faisait qu’appuyer sur cet ancien traumatisme et les sentiments de culpabilité/de « non valeur » qui en ont découlé. Comme un truc d’hypnose, je suis retombée dans les mêmes automatismes. C’est ce « phénomène » d’anéantissement de mes capacités de jugement qui me laisse encore « sidérée » de la puissance de ce genre d’automatismes « conditionnés ».
    Mais, pour le reste, quelle leçon de vie, (très, trop) chèrement payée, mais inestimable pour la suite de ma vie, car:
    J’y ai ENFIN appris à me fier à MES « avis », quoiqu’en pensent les autres, et à MES ressentis (ça, c’était ma part du déni, celui qui « couvrait » cette lamentable histoire, le fameux « mais non, ce n’est pas si grave »).
    Et, évidemment, à me fier aux faits (et à me méfier des méfaits…), pour sortir de mon « déni du négatif », celui qui me faisait basculer d’un bel optimisme (que j’ai conservé malgré l’envie de me réfugier dans le cynisme et la rancoeur…comme lui, tiens donc!) à la naïveté, dangereuse face aux personnes « toxiques » en général.
    C’est un long cheminement qu’il faut faire accompagné-e d’un-e bon-ne psy, de préférence! Je ne sais pas si ça vaut le(s) coup(s), mais autant en retirer ce qui peut l’être, et réapprendre à être et ressentir sans attendre la « permission » de quiconque.
    Le coeur en miettes, oui, encore des mois après, ça se recolle petit à petit…
    mais la conscience en paix, de moi même à moi m’aime 😉
    et ça ME va mieux que le contraire!

  2. Le deuil ne peut pas être dans l’oubli. Le silence ne veut pas dire nier ce qui a été. Les victimes, comme vous, ont un besoin vital de reconnaissance ; et quand elles ne l’ont pas, elles doivent ainsi que vous le dites faire le deuil de cette possibilité. Le seul deuil à ne pas faire, c’est le sien, celui de la vérité.
    Vous avez du fuir ; et je n’aime pas le mot fuir, car il est toujours ressenti comme une faute pour lui qui l’entend, alors qu’il est tout le contraire. Vous avez pris le parti de vivre, malgré tout.

  3. Et quand le manque de preuves (les maladies développées, la dépression, les tentatives de suicide n’en sont pas, ce serait même des preuves de la « folie » de la victime), quand le manque de preuves ne permet pas d’aller en justice, quand tous les proches, y compris les enfants adultes manipulés, pensent que la victime, c’est lui et que vous êtes une égoïste, une ingrate, une folle, parce que vous sous êtes échappée dans un ultime sursaut de survie, quand vous avez enfin compris que se battre pour être reconnue, c’est dépenser son énergie pour rien, alors comment faire le deuil de cette reconnaissance, le deuil de toute sa famille? J’ai reconstruit un monde d’amies autour de moi, et de relations moins proches. Je refuse de parler de ma vie,(sauf aux professionnels) je ne sais pas si c’est ainsi que je peux me protéger.

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