L’INCESTE LATENT

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L’incestuel est une notion conçue par P.-C. Racamier à partir de son travail avec les familles au sein de son institution pour patients psychotiques.

L’incestuel, pour P.-C. Racamier qualifie « ce qui dans la vie psychique individuelle et familiale porte l’empreinte de l’inceste non fantasmé, sans qu’en soient nécessairement accomplies les formes génitales ». L’accent doit porter ici sur « non fantasmé ». L’inceste fantasmé, comme le meurtre fantasmé définit en effet l’œdipe.

À l’œdipe, P.-C. Racamier oppose l’inceste : « L’inceste n’est pas l’œdipe, il en est même tout le contraire. »

La relation incestuelle se définit comme « une relation extrêmement étroite, indissoluble, entre deux personnes que pourrait unir un inceste et qui cependant ne l’accomplissent pas, mais qui s’en donnent l’équivalent sous une forme apparemment banale et bénigne »

La banalisation apparaît comme un obstacle majeur à la possibilité de repérer l’incestuel dans la clinique : la banalisation à voir avec ce que P..C. Racamier appelait « dénis diaphragmés ». Cette banalisation est fréquente chez les pervers qui tentent de faire passer pour normales, voire naturelles des conduites ou des situations familiales dans lesquelles des liens incestuels, voire incestueux sont à préserver à tout prix et qu’il faut soustraire au regard du clinicien. Le plus souvent, cette banalisation entretient un lien avec le déni de sens.

Il y a aussi des objets qui expriment le caractère incestuel d’une relation. Ces objets incestuels ont l’intérêt de mettre en évidence un fonctionnement mental régi par la concrétude. Ce sont bien souvent les objets échangés, les comportements qui se substituent à la pensée et à l’affect.Parmi ces objets, l’argent occupe une place centrale, mais on peut également citer les vêtements, les bijoux, la nourriture : ces objets d’échange sont une façon d’entretenir une relation incestuelle à défaut d’entrer dans un inceste proprement dit. Le travail scolaire peut être utilisé comme prétexte d’un rapprochement physique ou d’une relation d’emprise entre un enfant et un parent.

L’atmosphère qui règne dans les familles incestuelles est à la fois saturée de sexualité latente et marquée de la plus grande pudibonderie : c’est ainsi qu’on pourra éteindre la télévision pour épargner aux enfants la vue d’une scène d’amour, mais aller avec toute la famille passer régulièrement les vacances dans un camp de nudistes.

L’autorité n’y est pas reconnue de même que l’altérité. Les enfants de ces familles sont des enfants mais en même temps ils peuvent se poser comme parents des parents ou du moins remplir telle ou telle fonction parentale.

Ainsi l’incestualité présente dans une famille a-t-elle des effets traumatiques et marque-t-elle de son empreinte le fonctionnement psychique individuel qui l’internalise.

Racamier fait dériver l’incestuel d’une relation de séduction narcissique vouée à ne pas se résoudre. La séduction narcissique apparaît ainsi comme un concept central susceptible dans certaines conditions d’être à l’origine d’incestualité.

Mais il faut distinguer séduction sexuelle et séduction narcissiqueLe sexuel n’intervient pas dans la séduction narcissique. L’ordre libidinal dont elle émane est étale, presque uniforme, non pulsionnel. Cette séduction se constitue comme l’antidote du deuil originaire et du fait du développement, elle peut se sexualiser au point de pouvoir se transformer parfois en relation incestueuse.

C’est pourquoi Racamier dit que l’incestuel « accomplit l’exploit remarquable de cumuler en lui attrait sexuel et attrait narcissique ».

A côté de la violence perverse qui consiste à détruire l’individualité d’un enfant, il existe des familles où règne une atmosphère malsaine faite de regards équivoques, d’attouchements fortuits, d’allusions sexuelles.

Les barrières entre les générations ne sont pas clairement posées. Il n’y a pas de frontière entre le banal et le sexuel. Marie-France Hirigoyen parle d’inceste soft. La violence perverse est présente sans signe apparent. Certaines attitudes induisent un climat de complicité malsaine. Les enfants ne sont pas laissés à leur place d’enfant mais intégrés comme témoins de la vie sexuelle des adultes.

Les gestes considérés comme banaux, dès lors qu’ils sont intrusifs et instaurent un climat érotisant, deviennent incestuels. Le parent s’approprie le corps de son enfant sans le différencier de lui-même en toute bonne foi, sous couvert de principes éducatifs ou pour la santé de son enfant. Le parent n’est pas forcément conscient, ni de son érotisation si c’est le cas, ni des dégâts infligés à son enfant.

Sur un mode paradoxal, cette attitude peut coexister avec d’autres principes éducatifs stricts, comme préserver la virginité de la fille.

L’emprise perverse empêche la victime de voir clairement les choses et d’y mettre fin.

Cette note a été rédigée grâce aux travaux de Jeanne Defontaine et de Marie-France Hirigoyen

Crédit photo Holly Andres