RÉPONSE À : RACONTER N’EST PAS FAIRE COSETTE – TÉMOIGNAGE

Robert-Doisneau-enfant-dessinant-sur-un-mur

Hier, je postais sur le blog cet article « Raconter, ce n’est pas faire Cosette« .
Le titre venait d’un échange avec une amie – victime de violences sexuelles, victime de la violence aveugle des hommes, et de l’Homme, victime d’un système.
Quant au contenu de l’article, il disait la difficulté et la souffrance de toutes ces victimes qui ne peuvent dire, ne peuvent parler, ne peuvent être entendues. Qui se retrouvent rejetées, mises au banc de la société, exclues de toute défense et de tout droit. La bienveillance est chose rare, l’écoute encore plus. Quant à l’aide concrète, elle est souvent difficile à trouver lorsque la souffrance étouffe le quotidien.

Cette amie, cette victime, s’appelle Anne-Claire.
Elle a répondu à l’article cité.
Voici sa réponse – en espérant que le lecteur voudra bien l’entendre ; en espérant qu’elle permette à d’autres de dire, à certains de comprendre, au plus grand nombre de commencer à tendre l’oreille et la main.

« C’est vrai qu’une victime doit réussir à raconter ses traumatismes.
C’est vrai que je dois réussir à raconter l’horreur, mais comment, avec quels mots quand chaque mot me fait vomir, quand chaque mot me fait baisser la tête, de honte. Oui je sais la honte c’est pas moi c’est eux, ces hommes qui m’ont violée. Mais eux, ils vivent leurs vies tranquillement, avec leurs épouses aveugles et leur gosses adorables ; mais eux ils ont été accusés et libérés, leurs avocats étaient meilleurs … Mais eux, ils m’ont laissée agonisante, perforée, déformée, semi-morte sous leurs rires gras qui hantent mes nuits.
Alors oui, se raconter sans faire Cosette est possible mais inimaginable, car quand on raconte un peu, une once de ce qu’il s’est juste passé, de manière froide et méthodique, on lit le regard de l’autre se remplir d’effroi, on dérange, cela ne se raconte pas, cela met mal à l’aise, l’autre accuse de mensonge. Alors je recule, je reprends mes mots, je reprends ma vie et je l’enferme dans une boite bouillonnante, qui va exploser. Mais quand ?
Alors je me referme comme une huitre, pesant chaque geste de mes viols comme des kilos de fardeau. Mais les mots sont lourds, me paralysent, créent des vertiges, me coupent du monde. Quel monde ? Personne ne cherche à comprendre, je crie, je hurle mais non je ne fais pas Cosette.
Se raconter c’est trouver une oreille bienveillante, un fauteuil en cuir, une cheminée, un cocon refuge où poser les mots sont un soulagement, enfin, peut-être quand les mots auront décidé de sortir. Lorsque ma colère laissera couler la parole hémorragique. Quand je m’autoriserais à parler, à me raconter, à m’identifier dans ces mots. Ils ne parleront que de moi, que de mon corps effacé, que de mon esprit embrumé à vie, de ma rage enfermée sous mon sourire retrouvé pour l’image acceptable.
Les mains tendues, il faut oser les accepter. J’ai peur de chacune de ces mains, j’ai peur de parler et que ces mains se retirent en courant, j’ai peur d’ouvrir ma boite de mots, que cela jaillisse dans tous les sens, sans fil conducteur, sans logique, sans chronologie, sans coeur, sans corps, ou même si cette boite de mots était vide, paralysée, bloquée. Comme quand je rencontre des psys qui me prennent pour une folle puisque les mots ne viennent pas ; juste de l’eau sort de mes yeux, un torrent de douleurs sans mots, sans nom, sans image, juste de l’eau.
Alors en attendant de trouver la clé pour se raconter ou pas, en être capable ou pas, s’ouvrir au monde ou pas, ouvrir son cœur ou pas, s’entourer de gens comme moi, cassés ou pas, de garder nerveusement mes larmes au bord des yeux, j’essaierai de me raconter sans faire Cosette. Ou pas. »

Anne-Claire a raconté sa vie. Dans ce livre : Mes années barbares (La Martinière), elle livre son parcours. Elle raconte comment une enfant peut être abusée, comment cette enfant va errer dans les rues en quête de survie, offerte en pâture aux ogres qui hantent les trottoirs. Si aujourd’hui elle est encore en vie, elle se le doit. Si aujourd’hui elle veut transmettre, c’est pour informer ce qui veulent bien entendre, c’est pour dénoncer ces violences, et c’est pour se rendre son identité, dont elle a été privée. Elle s’expose à la bienveillance. Tout autant à la critique de ceux qui sont dérangés – pourquoi le sont-ils ? De ceux qui ne comprennent pas, ne le peuvent pas ou en le veulent pas.
Pourtant, elle mérité le plus grand respect.
Comme toutes les victimes dont les mots restent bloqués entre le coeur et la gorge.
Toutes méritent le plus grand respect.
Et une écoute véritable.

Anne-Laure Buffet

UN PRIX FÉMININ, POÉTIQUE ET ENGAGÉ : LE PRIX A.RIBOT

Le 11 juin prochain, au marché de la Poésie, place St Sulpice (75006 Paris), sera remis à 17h le 2eme prix A.Ribot. Anne-Laure Buffet présidera le jury qui décerne ce prix.
C’est non seulement en tant que femme, mais aussi en tant que présidente de l’association CVP, qu’elle préside et participe avec passion à ce prix.

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Il sera remis cette année exclusivement à des femmes qui, toutes, au travers de leurs oeuvres mais également dans leurs actions militantes, humaines, quotidiennes, ont entrepris de lutter contre le sexisme, contre les discriminations, contre les injustices, contre la violence latente et nourrie par une société bien peu consciente de ses valeurs.
Quatre femmes qui usent avec passion de leurs talents pour porter des messages, pour être des voix, pour s’opposer, pour ramener aussi, là où il le faut, et quand il le faut, de la tendresse, de la douceur, de la poésie.
Alors que l’actualité, chaque jour, nous rappelle la violence sourde qu’est le harcèlement, la violence encore plus sourde qui s’enferme dans des huis-clos familiaux, la nécessité de réveiller encore et toujours des esprits étriqués, enfermés dans des principes datant d’autres siècles, ce prix est une ouverture tant sur le plaisir des belles lettres et des beaux arts, que sur la triste réalité du quotidien.
C’est pour ces diverses raisons qu’Anne-Laure Buffet a encouragé et accepté de présider ce deuxième prix A.Ribot.

« La poésie est une arme chargée de futur. » (« La poesia es un arma cargada de futuro »), titre d’un poème de Gabriel Celaya

Ces quatre femmes – artistes sont :

Claudine Bertrand : Poète, essayiste et pédagogue, née à Montréal, Claudine Bertrand a publié  une œuvre importante doublée d’une forte activité éditoriale – Femme engagée, marquée par la pensée féministe et humaniste, elle est considérée comme l’une des ambassadrices de la poésie à l’étranger. Son écriture voyageuse nous mène sur plusieurs continents, cherchant à s’ancrer dans un univers lumineux.

Extrait de MEMORY
elle 
assise par terre
à l’orientale
très asiatique comme toujours

une pièce rose
un miroir
une musique en cage

après elle lira un roman allongée de très loin

la folie de l’inceste
quelque chose que
je n’avais
jamais vu dans la langue

Cécile A.Holdban : Après avoir grandi en France, elle décide à l’adolescence, de rejoindre, en Bavière, un internat dédié aux enfants de la diaspora hongroise. Elle entreprend des études de paysagiste, s’essaie aux Beaux-Arts, avant de suivre, pendant quatre ans, des études de linguistique (hongrois, finlandais et quechua) à l’École des langues orientales. En 2016, paraît son troisième recueil, Poèmes d’après suivi de La Route du sel (Arfuyen) : « Une voix parle, singulière, étrange même, mais c’est limpide, sans artifice, sans bavure. […]Avec ce livre une nouvelle voix est née dans la grande galaxie des Edith Södergran, Kathleen Raine, Karin Boye, Janet Frame, Sylvia Plath, Pierre-Albert Jourdan, Loránd Gáspár et Sándor Weöres. » Elle a également traduit un choix de poèmes d’Attila József (Le mendiant de la beauté)

Mère, j’ai quitté les ténèbres de ton ventre
pour les fruits et le sucre de l’été
le soleil blanc, long comme le fleuve de nos ancêtres, coulait.
Je n’eus pas à apprendre le sourire, qu’inscrivit sur moi
l’éblouissement du jour.
Dans le jardin, les pins tendaient leurs aiguilles
comme de minuscules ennemis
que sans cesse il fallait repousser
pour ne pas qu’ils pénètrent dans le royaume lumineux
de mes yeux et de ma bouche.
Les paons du jour et les piérides protecteurs
voletaient dans les rayons :
alors les aiguilles retournaient à la nuit des arbres.

Valérie Rouzeau : Valérie Rouzeau est une poétesse extrêmement reconnue dans le monde des lettres, depuis le bouleversant Pas revoir, qui est l’un des livres les plus justes écrits sur l’expérience du deuil. Rouzeau dit (et, en le disant, implicitement le blâme) ce monde qui étouffe les individualités pour les clouer à l’impératif du paraître, duquel nous ne pouvons sortir qu’en étant aussitôt déconsidérés par nossemblables. Valérie Rouzeau s’inscrit dans le présent le plus présent, dans le quotidien le plus quotidien, composant des sonnets qui sont des instantanés de trajets, de rendez-vous…, d’événements infimes qui font toute la circulation du sang d’une journée…, et qui, en tant qu’instantanés, se veulent le plus justement possible proches de ce dont ils parlent.

Orpheline Innombrable Orpheline.
J’ai sept ans Je me sens Comme petite vieille en fleur.
De quoi les rêves sont-ils faits
Quelqu’un m’a-t-il jamais aimée.

Sapho : Sapho est née à Marrakech. Issue d’une famille juive, elle passe son enfance et son adolescence dans ce pays jusqu’à l’âge de 16 ans, date de la décolonisation du Maroc. Avec ses parents, elle part pour la France. Militante depuis maintenant de nombreuses années pour le rapprochement israélo-palestinien, Sapho se produit en mars 98 à Gaza, territoire palestinien occupé par Israël. La situation est tendue et les conditions dans lesquelles se déroule le spectacle sont difficiles. Pourtant la chanteuse est déterminée. Le succès qu’elle rencontre à cette occasion, ne fait que confirmer ses sentiments et ses opinions.

La page tentante
Le silence
Le temps blanc

S’abstenir ?

Non
Aucun homme ne s’abstient

Un prix spécial sera remis à la maison d’édition Janus et à ses deux éditrices, Luce et Eléonore James, pour un recueil – collectif  : « Dehors, recueil sans abri », conçu à l’intention et au profit d’une association humanitaire d’aide aux sans abri.

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