LORSQUE L’ENFANT DEVIENT TYRAN

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Il n’est pas toujours facile de dire non à un enfant. Chaque parent a un jour au moins été confronté à cette difficulté. Fatigue, stress, manque de temps, peur de mal faire, peur de faire mal, crainte du regard des autres… Chacun(e) a ses raisons pour ne pas avoir su ou pu dire non à un moment à son enfant.

Dans un cas de séparation conjugale, l’enfant peut alors jouer de cette séparation. « Si maman dit non, je demanderais à papa…. », « Maman me donne tout ce que je veux… »… ce genre de pensées est également classique chez l’enfant de parents divorcés. Classique, et la tentation pour un parent de céder est évidente. « Il est déjà assez malheureux comme ça, je peux bien lui faire un peu plaisir ». De plus, face à un conjoint ou ancien conjoint toxique, l’autre parent essaiera consciemment ou non, mais d’autant plus, de se montrer gentil, de compenser les comportements toxiques du parent inadapté. Le piège étant alors de tomber dans le déni parental, c’est à dire d’oublier que l’enfant a besoin d’un cadre doublement inexistant et destructeur chez le parent toxique.

Ce à quoi chaque parent doit aussi savoir rester vigilant, c’est à cette place donnée à l’enfant. Enfant victime d’un divorce, c’est vrai, qui en subit les conséquences et en souffre, c’est également vrai. Mais qui peu à peu va prendre ou va se retrouver attribué une place qui n’est pas la sienne. Il demande… il obtient. Alors pourquoi ne pas demander ? Pourquoi, si la demande n’est pas satisfaite, ne pas se mettre à exiger ? Pourquoi, si l’exigence a eu gain de cause, ne pas la renouveler ?

Le passage entre enfant protégé – enfant roi – enfant tyran se fait insidieusement. Pourtant il contribue à fabriquer une personnalité toxique lorsqu’elle sera adulte à son tour… et qui sera déjà très vite toxique, jeune, pour son entourage. Un enfant qui compare, qui râle, qui traîne, qui refuse, qui repousse, qui demande, constamment… Oui, ce peut-être un adolescent. Le laisser faire, pour autant, n’est pas l’aider mais le piéger. Un enfant, chaque enfant, quelle que soit sa vie, a besoin de limites. A besoin d’apprendre et de se contraindre à quelques valeurs sociales et morales. Il doit faire l’apprentissage de l’altérité. La non reconnaissance, la méconnaissance, le mépris de l’autre, sont destructeurs dans le schéma relationnel d’un enfant, qui va très vite se sentir tout puissant et sans limite.

Ces fondements à une future tyrannie, et sans aller jusqu’à la tyrannie, à un comportement nocif pour les autres, rendent également acte d’une stratégie que l’enfant met en place sans s’en rendre compte. Il calcule les bénéfices à tirer de ses actes ou de ses paroles, avant de réfléchir à comment obtenir ce qu’il souhaite.
Là encore, on peut penser que chaque enfant manipule plus ou moins, un jour ou l’autre, ses parents. Pour obtenir un gâteau ou un cadeau, pour avoir droit à une sortie, ou en éviter une… Et c’est encore au(x) parent(s) de faire preuve de vigilance et de savoir reconnaître ce comportement. La petite manipulation infantile est souvent touchante. La laisser se développer, s’installer, l’encourager sous prétexte que c’est « tellement mignon » est s’engager et engager son enfant sur la voie de la tyrannie.

Il ne s’agit pas de blâmer les parents. Chacun fait avec sa propre construction, ses propres défenses, son propre regard aux autres. Il s’agit cependant de faire acte d’amour. Aimer son enfant, c’est aussi lui apprendre la frustration, l’attente, le refus. Il n’est jamais trop tard pour dire « non », pour s’opposer. Sauf à devenir le bâtisseur de la tyrannie à laquelle il faudra bientôt se soumettre.
Ces individus font un choix existentiel. Ils décident de nier l’autre, de ne pas tenir compte de lui. Et cela peut conduire aux comportements les plus graves, dès lors que cet autre existe “trop” ou pas assez, ou encore se rebelle. Alors le tyran se fait bourreau.  Les codes sociaux sont un langage commun. Lorsqu’ils disparaissent ou ne sont pas enseignés, le langage de la violence prend le dessus. Nous devons absolument réfléchir à cela. Nous avons raté la transmission de ces valeurs.
L’enfant « tyran » n’a pas connu la frustration et ainsi n’a pu intégrer l’acceptation de celle-ci. Dès les premiers mois, le tout-petit cherche à satisfaire son « Moi » ; l’entourage n’est là que pour satisfaire ses besoins : nous dirons qu’il fait l’expérience de sa toute puissance. L’intolérance à la frustration est admise jusqu’à deux ou trois ans, elle est considérée comme un comportement naturel. Durant cette période, l’enfant met en place des stratégies pour asseoir sa volonté. Par contre, au-delà, la prise de pouvoir sur la maisonnée deviendra progressive mais inéluctable si l’enfant ne rencontre pas de résistance.

L’enfant ou l’adolescent tyrannique se présente généralement comme un individu doté d’une violence physique et/ou verbale inappropriée s’exerçant à l’encontre de ses parents. Plus spécifiquement, c’est son excès d’autorité, assorti d’exigences incessantes et souvent de menaces et de chantage en tous genres, qui lui confère ce statut de tyran. Les exigences de l’enfant deviennent intolérables dès lors que, outrepassant les limites de ce qui est acceptable pour tout un chacun, elles contraignent les parents à réaménager leur vie en fonction de celle de l’enfant tyrannique, les obligeant ainsi, et contre leur gré, à s’aligner sur les désirs de celui-ci.

Il existe une autre forme d’exercice de tyrannie, celle-ci n’étant pas souvent perçue comme telle : il s’agit de la tyrannie qu’adopte implicitement et de manière détournée celui que l’on nomme l’enfant roi. L’enfant-roi n’est pas violent physiquement. C’est son manque de reconnaissance, son sentiment d’insatisfaction exprimé de manière exacerbée, et surtout sa grande intolérance à la frustration, qui caractérisent sa tyrannie, toujours invivable aux yeux de ses parents, et perçue comme pouvant menacer le bien-être et l’équilibre de la famille.

Le silence des parents sur la maltraitance dont ils sont victimes relève sans doute d’une honte, d’une humiliation d’avoir échoué là où d’autres réussissent (ou semblent réussir) si bien dans l’éducation de l’enfant, de n’avoir pas su lui apporter les bases solides nécessaires à un développement harmonieux pour lui-même, mais aussi pour son entourage. Par ce silence, les parents dénient le fait qu’ils n’ont pas tout mis en œuvre ou tout simplement qu’ils ne sont pas qualifiés en tant que parents, et ils tentent de se prouver qu’ils peuvent s’en sortir sans avoir recours à un soutien extérieur.

On peut dire d’un tel enfant, tyrannique, qui pousse à bout, qu’il est à la fois un grand enfant omnipotent et un gros bébé immature : il est les deux en même temps. Lorsqu’il est le tyran qui impose sa loi, il fait taire le bébé. Il écrase le bébé en détresse, comme il tape souvent les petits à l’école qui représentent sa propre partie « bébé », sa propre partie « bébé dépendant » dont il essaie de se défaire pour être un grand, fort, tout-puissant qui contrôle le monde. On peut dire qu’un tel enfant va souvent développer une sensibilité aiguë à l’égard de l’humeur parentale, de l’humeur maternelle. Il s’oppose de manière tyrannique pour faire réagir la mère, pour ne pas qu’elle déprime. Par son comportement, l’enfant fait exister une mère, à l’intérieur de laquelle il peut entrer, comme cet enfant qui voulait entrer dans la tête de la mère ; une mère qui peut le contenir, une mère qui peut l’accueillir. On peut dire qu’il cherche à créer la mère qu’il a perdue, dont il a manqué, parce qu’elle était elle-même abandonnée, déprimée. Il cherche à vérifier que sa mère est bien là, qu’elle est bien vivante afin qu’elle puisse rester vivante à l’intérieur de lui. (Albert Ciccone)

Le tyran est-il un pervers ?

L’adulte tyran est dans une dynamique de plaisir tel un enfant qui aurait oublié de grandir. Il ne souffre pas forcément de traumatisme infantile ni de carence affective. Il refuse de renoncer aux fantasmes de toute-puissance de son enfance, ce qui le pousse à se croire tantôt le centre du monde, tantôt moins que rien. D’où le besoin d’emprise sur les autres pour se sentir exister.

Il n’a jamais réellement intériorisé les limites du possible. Aussi ne supporte-t-il pas de s’entendre dire « non ». Seule la réalité, quand il se heurte à elle, peut l’arrêter. Ni psychotique ni pervers, il doit entreprendre de faire le deuil de ses désirs d’omnipotence et accepter ses failles pour évoluer. L’adulte tyran n’est pas une victime, il est dans un choix existentiel, qu’il peut décider de laisser tomber.

©Anne-Laure Buffet

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